La précarité, un concept aux définitions et aux approches multiples
L’hôpital public est investi d’une mission d’aide et d’assistance sociale, qui s’ajoute à sa mission fondamentale de prise en charge médicale, d’enseignement, de recherche et d’innovation thérapeutique. Moins visible que la mission de soins, cette participation à la prise en charge des besoins sociaux est essentielle pour contrôler les inégalités d’accès aux soins et éviter le creusement des inégalités sociales de santé. Pour l’analyser, il est nécessaire d’identifier précisément la population touchée par ces difficultés sociales, et donc de définir le cadre des fragilités devant entraîner l’intervention d’une assistante sociale. Différentes notions cohabitent dans ce cadre, avec des problématiques et des concepts qui bien que liés ne sont pas pour autant synonymes. Reposant sur l’accès à des besoins fondamentaux, la question de l’identification de ces besoins se pose également, et il convient d’avoir à l’esprit que ces besoins fondamentaux peuvent différer d’un endroit ou d’une société à une autre. Le concept de précarité s’applique à la vie courante, et la santé n’est que l’un des domaines dans lesquels elle peut se manifester et influer sur certaines situations de façon défavorable.
La définition générale la plus fréquemment présentée est celle de Wresinski et du Haut Comité de Santé Publique : « La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux » . Les domaines intégrés dans cette définition peuvent être d’ordre financier (revenus, salaire), en lien avec l’environnement social (conditions de vie, isolement, interactions sociales), le statut social et certains marqueurs socioéconomiques (couverture maladie, complémentaire,…). La précarité a souvent une connotation financière, mais ne se résume donc pas uniquement à la pauvreté, et désigne un ensemble de facteurs concomitants amenant à une situation de fragilité. On peut la rapprocher du terme de « handicap social », qui offre un horizon plus large sur la problématique, en population générale. La notion de « handicap social » a été introduite par la loi n°74.955 du 19 novembre 1974. Elle étend la définition à 7 domaines : santé, ressources, insertion culturelle, conditions de travail ou d’emploi, relations avec autrui, logement, patrimoine.
Dans le cadre hospitalier, la fragilité d’un individu a différents aspect, qui sont souvent liés de façon plus ou moins étroite. La fragilité a une composante médicale, prise en charge par les équipes soignantes, qui est souvent le motif d’hospitalisation ou les comorbidités qui l’accompagnent. Elle peut aussi avoir des composantes socio-économiques, qui relèvent alors de la prise en charge par une assistante sociale. Une situation sociale instable peut avoir plusieurs origines qu’il est nécessaire de connaître lorsque l’on cherche à identifier les patients qui pourraient nécessiter un accompagnement afin de poursuivre dans les meilleurs conditions leur rétablissement et leur retour à la vie normale dans les suites d’une hospitalisation. L’objectif dans ce contexte est de mettre en place toutes les mesures afin de limiter au maximum l’impact de la précarité sur la pris en charge médicale et ses suites.
L’intégration de la prise en charge sociale hospitalière
Impact sur la prise en charge : Plusieurs études ont montré que les patients en situation de précarité avaient des durées de séjours plus longues que la moyenne pour un même type de séjours. Pour les établissements, l’accueil de ces patients aboutit à une augmentation des Durées Moyennes de Séjour (DMS), et donc un surcoût. Parmi les études françaises, au niveau national, les travaux menés dans le cadre de la mission PMSI du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sur des données de 1998 (10), ou dans le cadre de l’Etude Nationale de Coût à méthodologie Commune (ENCC), ont également montré l’effet de la précarité sur la durée de séjour « toutes choses égales par ailleurs » et notamment à case-mix identique. Les patients précaires montraient un allongement de la DS de 16% et 36% (ENCC).
D’autres études ont des résultats dans le même sens dans des périmètres plus ou moins généralisables. Des études ont mis en évidence un lien entre situations de précarité, durée de séjour, coût de l’hospitalisation, et complexité médicale des cas traités. Holstein et al. montre ainsi que les séjours associés à un indicateur de précarité sont caractérisés par des pathologies spécifiques et par un taux plus élevé de comorbidités ou complications associées. Ils ont aussi une durée de séjour majorée, de 5% pour l’indicateur « couverture maladie universelle » à 48% pour l’indicateur « aide médicale d’état – soins urgents ». Si on estime que les populations précaires consultent plus fréquemment aux urgences que les populations non précaires , ce recours aux soins est souvent tardif ou irrégulier, ce qui conduit à accueillir des populations dans un état de santé plus dégradés ou avec des comorbidités plus nombreuses . Les populations précaires sont également moins souvent éligibles à une prise en charge en ambulatoire . Ce mode de prise en charge est encouragé dans le modèle de financement actuel, mais les patients isolés, ne disposant pas d’un hébergement fixe ou décent, ou ne pouvant répondre aux exigences de programmation de ce type d’hospitalisation, sont plutôt pris en charge en hospitalisation complète.
L’utilité d’un outil de mesure de la précarité sociale
Le critère d’éligibilité pour l’attribution de la MIG ne s’intéresse qu’à la couverture sociale. Or nous avons vu que la précarité est multifactorielle et dynamique, et ne se limite pas aux bénéficiaires de ces dispositifs particuliers. Ce critère ne peut donc suffire comme moyen de repérage pour les patients nécessitant une évaluation d’assistante sociale. Plusieurs secteurs d’instabilité sociale sont identifiés dans la littérature, et des outils plus ou moins faciles d’utilisation sont utilisés afin de repérer les patients en difficulté sociale. Les objectifs liés à ces outils sont variés, et s’intéressent à l’influence de la précarité sur le déroulement du séjour, son poids économique pour l’établissement, sa traçabilité,…
Les outils de repérage agrégés ont le mérite d’apporter des informations sur le bassin de population venant consulter à l’hôpital, comme l’indice de Townsend . Ils permettent d’étudier une population mais ils se déclinent mal au niveau individuel. Un outil de mesure individuel permet de mobiliser les moyens adaptés en fonction de la situation personnelle du patient. Quelques outils ont été développés en France, avec des champs d’application et des finalités variées.
Le score de handicap social évoqué précédemment est un outil précis et discriminant sur les différents aspects de la précarité, et permet d’identifier différentes classes de handicap social. Il est cependant lourd à utiliser, avec 213 items à compléter, couplant un questionnaire et des données PMSI. Son objectif est d’identifier les handicaps sociaux des personnes âgées, hospitalisées en court séjour de plus de 24h, et de déterminer ce que cela implique pour un établissement public de santé en matière de coût de prise en charge liée à l’augmentation de la durée de séjour. Le score Epices (Evaluation de la Précarité et des Inégalités de santé pour les Centres d’Examens de Santé) . Développé en 1998 en France, il a pour objectif de prendre en compte le caractère multifactoriel de la précarité. Il est actuellement le plus utilisé dans ce contexte de repérage de personnes précaires. Il présente l’avantage d’être individuel ce qui apporte une meilleure précision. Il consiste en un auto-questionnaire de 11 questions binaires. Ses questions sont pondérées, et aboutissent au calcul d’un indicateur quantitatif du degré de précarité de la personne interrogée, variant de 0 à 100. Son périmètre d’élaboration et donc d’application initial est celui des centres d’examens de santé (CES), et n’identifie donc pas spécifiquement les problématique d’intérêt en contexte hospitalier.
Le score de Pascal a été développé au CHU de Nantes. Il s’agit d’un auto-questionnaire en 5 questions, dont l’objectif n’est pas de déterminer un catégorisation « exacte » des situations de vulnérabilité sociale, mais d’identifier les plus grand nombre de personnes qui, du fait de leur situation sociale, ont, plus que les autres consultants, des besoins de soins non satisfaits. Il a été élaboré dans le contexte des consultations aux urgences, remis aux patients en salle d’attente. Il se concentre sur les aspects « matériels de la précarité », autour de la couverture sociale et des difficultés financières. Ses questions ne sont pas toutes individuellement discriminantes, et la précarité est définie selon 5 critères mixant une ou des réponses aux différentes questions. Utilité de notre outil : Notre outil est proposé dans le cadre des hospitalisations en court séjour. Il s’agit de proposer un outil facile et rapide d’utilisation qui permet de repérer dès l’entrée les patients avec des facteurs de risque de précarité préalables au séjour, et permet donc de lancer au plus tôt lors du séjour une démarche d’accompagnement par l’assistante sociale afin de répondre à des problèmes prévisibles dès l’entrée du patient. Il n’a donc pas pour ambition de détecter des difficultés de prise en charge sociale qui apparaitraient en cours de séjour. Celles-ci restent dépendantes de l’analyse de la situation du patient et du signalement par le personnel soignant.
L’intégration de la précarité dans le financement
En France, le financement des hôpitaux s’effectue depuis 2004 par un système de paiement prospectif à l’activité (T2A). Ce système regroupe les séjours aux caractéristiques proches dans des Groupes Homogènes de Séjours (GHM), et accorde un forfait spécifique pour chaque GHM. Différents systèmes permettent de prendre en compte des particularités du séjour qui entraînent des surcoûts pour les établissements (soins spécifiques, matériel médical, plateau technique, populations spécifiques…) qui sortent des caractéristiques de ces séjours homogènes. Ces suppléments peuvent être soit accordés au cas par cas sur certains séjours, soit être financés sous forme d’enveloppe financière plus globale appelées Missions d’Intérêt Général et d’Aide à la contractualisation (MIGAC).
Le financement du surcoût lié à la précarité des patients est financé sous forme de MIGAC. En effet elle est considérée comme une activité difficile à financer dans le cadre du modèle principal de la T2A, en l’absence de codification adaptée ou de classification des interventions sociales, et en l’absence d’intégration de cet aspect dans des groupes homogènes de séjour (GHS). Mentionnées dans l’arrêté du 9 mars 2011 relatif à l’article D 162-6 et D 162-7 du code de la sécurité sociale, ces
missions diverses valorisent la participation aux missions de santé publique, à la définition et à la mise en œuvre des politiques publiques dans différentes domaines, et aux dépenses correspondant aux activités de soins dispensés à des populations spécifiques. La difficulté à valoriser la mission sociale vient aussi de sa grande transversalité et donc de la difficulté à l’individualiser. Ainsi de nombreuses MIGAC intègrent une composante d’assistance sociale. La mission fléchée par ce travail de thèse est celle des dépenses liées à la prise en charge des patients en situation de précarité, créée en 2009. Son objectif est de compenser les surcoûts organisationnels et structurels générés par l’accueil de ces populations. Son principal critère d’éligibilité est la part de patients bénéficiaires de la CMU, de l’AME, ou de la CMU complémentaire. Sur la base d’une estimation des frais occasionnés spécifiquement pour la prise en charge de patients en situation de précarité, au niveau national, un montant total de 150 M€ à répartir a été défini en 2010 (100 M€ en 2009). L’enveloppe est répartie entre tous les établissements dont la part de séjours CMU, AME, ou CMUc, dépasse un seuil fixé à 10,5%, avec un seuil « plancher » pour éviter le saupoudrage des sommes. Même à travers cette mission, l’allocation précise pour la part d’assistance sociale dans ce surcoût n’est pas clairement définie, et donc pas clairement évaluée. Cette MIGAC répond à la nécessité de financement selon une approche populationnelle. Si l’approche individualisée était également envisagée par le travail de la DREES sur la prise en charge de la précarité dans les établissements de soins, celle-ci n’a pas encore vu le jour. Cette approche individualisée permettrait de prendre en compte la diversité des situations amenant à une intervention de l’assistante sociale dans les établissements de santé.
Table des matières
1. Introduction
A. Définition : la précarité, un concept aux définitions et aux approches multiples
B. L’intégration de la prise en charge sociale hospitalière
a. Impact sur la prise en charge
b. L’intégration de la précarité dans le financement
C. L’utilité d’un outil de mesure de la précarité sociale
D. Objectif-Justification de l’étude
Références
2. Article
Introduction
Matériel et méthode
Résultats
Discussion
Références
Annexe – Questionnaire de repérage de la précarité