Essai d’une nouvelle détermination des responsabilités des constructeurs en matière de risques du sol
L’IMPRECISION DES ROLES DES INTERVENANTS, PARFOIS SOURCE D’INIQUITE
Afin d’analyser au mieux la jurisprudence en matière de responsabilité contractuelle, il est nécessaire de savoir quelles sont les obligations de chacun, pour apprécier celles qui n’ont pas été satisfaites. Ainsi, le rôle de chaque constructeur va être rappelé en préalable aux développements qui vont suivre. De même, l’analyse des rôles permet, à travers les anomalies relevées dans la jurisprudence, d’aboutir au constat d’une précision insatisfaisante des missions confiées à certains intervenants à l’acte de construire. En effet, la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle implique deux analyses : l’une, spatiale, est issue de l’objet de la convention – qu’estce qui devait être fait et par qui? – l’autre, temporelle, par référence au droit spécial – quand le lien contractuel a t-il pris fin? La responsabilité contractuelle procède directement de l’inobservation de la convention76. « Le dommage doit résulter de l’inexécution par le débiteur d’une obligation qu’il a assumée en concluant le contrat »77. Ce domaine est celui de l’obligation principale, celle « que les contractants ont eu pour but essentiel de créer »78. Encore faut-il que l’obligation soit adaptée à la qualification du constructeur : c’est la question qui se pose pour la mission VISA de l’architecte qui interfère avec le domaine de l’ingénieur. Encore faut-il aussi que le rôle contractuel ne soit pas perturbé par l’interférence d’une obligation d’origine prétorienne : il s’agit là de la confrontation du devoir de conseil inhérent à la mission du contrôleur technique et du devoir général de conseil des constructeurs. Rappelons, de plus, qu’en matière de droit de la construction, la réception constitue une frontière entre la responsabilité contractuelle, située avant, et les responsabilités légales situées après79. Cette frontière n’est cependant pas tout à fait étanche, la responsabilité contractuelle trouvant parfois application postérieurement à la réception des travaux80. 51. Plusieurs constats vont s’imposer. Tout d’abord, le rôle défini de l’entrepreneur et le devoir de conseil universel – issu des prétoires pour l’entrepreneur – évite la confusion préjudiciable et parfois chaotique des décisions. En effet, l’encadrement technique du rôle de l’entrepreneur permet une appréciation le plus souvent aisée de sa responsabilité. A l’inverse, les enchevêtrements de compétences peuvent aboutir à une iniquité des décisions. Il s’agit, en l’occurrence, des compétences croisées des architectes et techniciens, et ceci à travers la mission VISA. Ensuite, le devoir de conseil, selon qu’il a une origine conventionnelle, jurisprudentielle ou légale est apprécié différemment, ce qui peut avoir une incidence néfaste sur la stabilité de la jurisprudence et des attributions de responsabilités insatisfaisantes. Cet aspect de la responsabilité contractuelle en risques du sol concerne le contrôleur technique et plus précisément l’interférence du devoir de conseil sur la mission dévolue en l’absence de la mission Av. La clarté et l’adaptation des rôles est donc synonyme de fluidité jurisprudentielle, c’est le cas de l’entrepreneur (chapitre I). A l’inverse, certains croisements sont source d’embarras : tel est le cas des compétences croisées des architecte et ingénieur, tel est aussi le cas des devoirs de conseil conventionnel et prétorien du contrôleur technique (chapitre II). Ainsi, pour mettre en relief l’iniquité de décisions jurisprudentielles issue du rôle imprécis de certains constructeurs, les architectes et contrôleur technique, il convient, en préalable, de démontrer que la jurisprudence sait faire preuve de rigueur lorsqu’il s’agit d’autres acteurs, les entrepreneurs, dont la mission est déterminée.
LE ROLE PRECIS DE L’ENTREPRENEUR, SOURCE D’EQUILIBRE
Si la responsabilité des constructeurs tenus à une prestation intellectuelle est encore l’objet de fluctuations jurisprudentielles, tel n’est pas le cas de celle des intervenants redevables d’obligations matérielles. Ainsi, le rôle de l’entrepreneur, dépourvu d’ambiguïté, permet l’absence d’hésitation jurisprudentielle. Avant d’entrer dans le détail de l’analyse de la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur en cas de dommages liés au sol, il est nécessaire de rappeler sa place parmi les acteurs de la construction. Ces développements peuvent paraître superflus ; ils permettent cependant de situer le rôle et les modalités d’intervention de l’entrepreneur, dans l’optique de l’examen des décisions qui intéressent sa responsabilité. L’entrepreneur est le constructeur qui est chargé de l’exécution des travaux81. L’article 1792-1 du Code civil cite l’entrepreneur aux cotés des architecte et technicien, comme étant lié au maître d’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage. Professionnel peu ou pas réglementé82, l’entrepreneur est l’héritier direct de la liberté du commerce et de l’industrie proclamée les 2 et 17 mars 1791 par le décret d’Allarde. L’entrepreneur intervient à l’acte de construire de différentes manières et le contrat d’entreprise84 prend différentes formes L’intervention peut tout d’abord se faire sous la forme de lots séparés où chaque entrepreneur contribue à l’édification de l’ouvrage au seul niveau de sa spécialité. Il y a autant de contrats de louage que de spécialités intervenant sur le chantier, par exemples maçonnerie, couverture, plomberie, électricité, peinture. La coordination entre les différentes entreprises est le plus souvent assurée, pour les chantiers d’une certaine importance, par un maître d’œuvre. Le chantier peut aussi être confié à une entreprise générale ; une seule entreprise assume la construction à travers tous les corps d’état et un seul contrat de louage d’ouvrage est conclu avec le maître d’ouvrage. Le plus souvent, celle-ci assure la coordination du chantier et le gros œuvre, confiant les travaux de second œuvre à des sous-traitants, auxquels elle est elle-même liée par des contrats de louage d’ouvrage87. 55. La troisième forme d’intervention est la sous-traitance88, par laquelle l’entrepreneur lié au maître d’ouvrage, appelé entrepreneur principal, charge un autre entrepreneur, appelé sous-traitant, de l’exécution d’une partie des travaux de son marché, voire de la totalité89. Les entrepreneurs peuvent enfin intervenir de façon groupée et ceci sous différentes formes, le groupement pouvant posséder ou non la personnalité morale. Un mandataire est désigné pour représenter le groupement90. Ces différentes formes d’intervention sont à l’origine de liens contractuels variés. Au regard des différentes modalités d’intervention des entrepreneurs à l’acte de construire, il est logique d’en déduire que le contrat de louage d’ouvrage peut présenter deux facettes. Il peut d’une part lier le maître d’ouvrage et l’entrepreneur ; il peut d’autre part unir deux entrepreneurs au travers de ce qui est de façon usuelle appelé le contrat de sous-traitance. 56. Le contrat de louage d’ouvrage liant l’entrepreneur au maître d’ouvrage peut revêtir différentes formes. Sans entrer dans leur détail, il n’est pas inutile de les rappeler. La norme NF P 03-001 de décembre 2000, cahier des clauses administratives générales applicable aux travaux de bâtiment faisant l’objet de marchés privés, homologuée par arrêté ministériel, est prévue pour trois types de marchés, outre le marché associant les différents systèmes. Il s’agit tout d’abord du marché au métré « où le règlement est effectué en appliquant des prix unitaires aux quantités réellement exécutées ». Ce marché « se réfère aux articles d’une série de prix ou d’un bordereau de prix ». Il s’agit ensuite du marché à prix global et forfaitaire, lequel « implique la détermination du prix global et définitif, convenu à l’avance entre les parties et non révisable par la suite, sauf modification demandée par le maître de l’ouvrage »marché est soumis à l’article 1793 du Code civil94. « La nature et la consistance des travaux doivent être nettement déterminées, le prix convenu à l’avance restant invariable »95. Certains auteurs le caractérisent par trois éléments : une construction, un plan convenu avec le propriétaire, un forfait. Le marché à prix forfaitaire génère un contentieux abondant en matière de risques du sol, en particulier celui intéressant, à travers sa législation particulière, la construction de maison individuelle ; il sera développé ultérieurement. Il s’agit enfin du marché sur dépenses contrôlées, où les travaux de l’entrepreneur sont rémunérés « sur la base de ses dépenses réelles et contrôlées (main d’œuvre, matériaux, matières consommables, location de matériel, transport, etc.) majorées de certains pourcentages pour frais généraux, impôts et bénéfices »97. 58. Tout en étant un contrat de louage d’ouvrage, le contrat de sous-traitance présente certaines particularités. Dans le cadre de la sous-traitance, l’entrepreneur contracte avec un tiers dans le but que ce dernier réalise tout ou partie de la prestation qui lui incombe en vertu du contrat le liant au maître d’ouvrage. Cette faculté de souscontracter dépend en particulier de la force de l’intuitu personae liant le maître d’ouvrage et l’entrepreneur98, faculté limitée par l’article 1237 du Code civil99. La sous-traitance a été définie par la loi du 31 décembre 1975, laquelle a en particulier pour objet la protection financière du sous-traitant. Il s’agit d’une « opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant tout ou partie de l’exécution du contrat d’entreprise ou du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage »
L’atteinte à la solidité rarement contestée
Il convient de distinguer l’atteinte à la solidité de l’ouvrage résultant de l’article 1792 du Code civil, de celle de l’élément d’équipement indissociable, issue de l’article 1792-2. En préambule, il n’est pas inutile de rappeler que sous le régime de l’article 1792, issu de la rédaction du Code civil de 1804, l’atteinte à la solidité concerne l’édifice. Ainsi, le Conseil d’Etat refuse t-il la garantie décennale à l’occasion d’un effondrement de plancher Le cas le plus simple de l’atteinte à la solidité de l’ouvrage est celui où la stabilité d’une construction est compromise. On peut citer à cet égard un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 14 novembre 1984779, concernant un glissement de terrain déstabilisant l’assise de la construction et nécessitant son évacuation. Dans un tel cas, la gravité ne fait pas de doute. Ce type de décision concerne tant les juridictions judiciaires que les juridictions administratives. Le Conseil d’Etat a ainsi retenu la garantie décennale au profit d’un immeuble endommagé par un défaut de fondation. Ces décisions demeurent exceptionnelles tant l’appréciation de l’atteinte à la solidité est rarement contestable. Les ouvrages de viabilité peuvent aussi voir leur solidité altérée. C’est le cas d’un enrobé dont le gravier se décolle, ou d’un parking victime d’une insuffisance de compactage. Dans tous ces cas l’appréciation technique est simple et les décisions qui en découlent sont limpides. Concernant l’atteinte à la solidité d’un élément d’équipement, l’arrêt du 16 mars 2001 de la cour d’appel de Paris peut être remarqué, en ce qu’il retient l’atteinte à la solidité d’un carrelage présentant des fissures et désafleurements potentiellement à l’origine de blessures. C’est ici l’atteinte à la sécurité qui est mise en avant. L’atteinte à la solidité de l’ouvrage est donc rarement l’objet de contestation. Par voie de conséquence le contentieux y afférant est très rare en termes de refus de garantie décennale. En revanche, le changement de destination de l’ouvrage peut être un motif valable. Il en est ainsi d’un arrêt de la dix neuvième chambre B de la cour d’appel de Paris du 8 mars 1985. Un maître d’ouvrage achète un bâtiment et le surélève. A cette occasion il constate un diamètre insuffisant des pieux et un béton de qualité médiocre. La cour repousse le recours dirigé en responsabilité décennale, pour absence de désordres, quand la construction était demeurée à son usage initial de parking. La référence à la fonction initiale est ici le critère technique permettant d’encadrer l’appréciation de la garantie décennale. La solidité étant une notion technique simple à appréhender, la jurisprudence n’est que peu abondante sur le thème des risques du sol à l’inverse de la notion d’impropriété à destination, qui a laissé une grande latitude d’interprétation. En effet, dans le premier cas, l’information technique est simple à communiquer. Dans le second, il convient de s’attacher à la destination initiale de l’ouvrage, ce qui précise l’approche technique de cette notion et conduit à des décisions peu critiquables.
Résumé |