Equilibre local dans le contexte urbain milanais
Milan est dite “in mezzo a molte acque” (au milieu de beaucoup d’eaux), car elle est placée à proximité de différentes voies navigables que sont les rivières de Tessin, Adda, Olona, Lambro, Nirone et Seveso. Cette position particulière a donné lieu, dès le XIIème siècle, au développement de canaux dans un but initialement défensif, puis à destination de l’irrigation. La première partie construite en 1179, appelée Naviglio Grande, navigable un siècle plus tard, deviendra un véritable axe de transport et de communication. Resté un des canaux les plus importants du réseau, il est visible aujourd’hui encore, amenant l’eau du Tessin à Milan par le Sud-Ouest. Sa zone d’arrivée, à l’époque appelée Laghetto di (étang de) Sant’Eustorgio, est au pied du célèbre clocher de la basilique Sant’Eustorgio. Il correspond à l’actuel bassin que nous appelons Darsena (traduction italienne de « quai » au sens d’embarcadère). Au XIIIème siècle, elle acquiert un véritable statut de port de commerce, accueillant l’arrivée de nouvelles denrées et révolutionnant la vie dans la région. La construction du Naviglio Pavese, second canal encore visible aujourd’hui, débutera en 1359, mais sera le dernier à s’achever (inauguration en 1819 sous Napoléon). Il permettra, via la Darsena de Milan, de relier le lac de Côme au port fluvial de Pavia d’où le Tessin mène au Pô et à la mer Adriatique.
En 1386 avec le commencement du chantier pharaonique de la cathédrale de Milan, la Darsena s’avère trop éloigner du centre pour satisfaire l’acheminement des tonnes de marbre, gravier et sable. Le bassin sera alors raccordé au cercle de fossés internes également appelé « Cerchia dei Navigli » (frontières médiévales de la ville), pour décharger au plus près les matériaux pour le chantier. Cependant, il fallut alors attendre l’invention de la « conca » (traduction de « bassin ») ancêtre de l’écluse, en 1439 pour palier à la différence des hauteurs d’eaux. Alors la Darsena devint le centre névralgique du réseau de canaux urbains, en tant que point de départ ou d’arrivée des 5 grands canaux de la ville. Depuis le XVIème siècle le réseau de canaux milanais est progressivement recouvert, pour construire les remparts espagnols, pour satisfaire les hygiénistes et les idéaux de la ville néo-classique contre les cours d’eaux publics. Les activités de transports de marchandises restent cependant indispensables au développement de la ville, c’est pourquoi entre 1830 à 1840 sont réalisées des expériences pour surmonter la lenteur de la navigation due à la fragilité des berges et à la faible largeur des canaux. Puis, différentes propositions se succèderont pour libérer le secteur urbain de la Darsena et y permettre la construction de grands boulevards (déplacement total du port à Rogoredo au Sud-Est de la ville ; séparation entre port de commerce et port industriel…). Mais malgré le coût des marchandises qui ne cesse de s’élever et la vitesse de transport de la concurrence (trains, camions) qui pèse toujours plus, le trafic du Naviglio Grande au quai dépassera encore 70 navires par jour jusqu’en 1936, avec l’acheminement des matériaux (sable, graviers, briques) utilisés pour les constructions urbaines. Dans les années 60, la Darsena de Milan est le treizième port d’Italie. Finalement, les projets de reconstruction du port de Milan plus au Sud ne verront jamais le jour et c’est en mars 1979 que la dernière péniche s’amarrera au quai pour délivrer la dernière cargaison de sable, marquant la fin de l’utilisation commerciale des canaux milanais.
A cette époque, le port devient un haut lieu de la force ouvrière, car les canaux facilitent les échanges commerciaux, l’arrivée de matériaux et d’énergie pour les industries et les artisans. La Darsena est alors le 3ème port d’Italie en termes de poids/quantité de biens déchargés. Il participe à rendre le quartier propice aux commerces et aux foires. Également très utilisé durant les périodes de guerres pour l’acheminement de matériel militaire, il fut ensuite colonisé par les activités sportives et de loisirs. Ainsi, dans les années 50, les Navigli deviennent des espaces de baignades, de courses nautiques et supportent un véritable engouement pour le canotage (aviron, canoë) comme on peut le voir sur les photos suivantes.