Épidémiologie moléculaire des géminivirus responsables de maladies émergentes sur les cultures maraîchères
Organisation génomique des genres Begomovirus et Mastrevirus
Organisation génomique des genres Begomovirus
Sur la base de leur origine, les bégomovirus ont été divisés en deux groupes : les bégomovirus du Nouveau Monde regroupant les pays du continent américain et de l’Ancien Monde impliquant le reste du monde (Abhary et al., 2007). La plupart des bégomovirus originaires de l’Ancien Monde sont monopartites, alors que ceux originaires du Nouveau Monde sont presque exclusivement bipartites (Figure 2) (Duffy & Holmes, 2007; Melgarejo et al., 2013; Sánchez-Campos et al., 2013; Brown et al., 2015). Figure 2 : Organisation génomique des géminivirus. Les ORFs sont colorés conformément à la fonction des protéines correspondantes. LIR, long intergenic region; SIR, short intergenic region; CR, common region. D’après Zerbini et al., 2017. Les bégomovirus monopartites possèdent un unique composant génomique, appelé ADN-A like, d’une taille d’environ 2800 pb tandis que le génome des bégomovirus bipartites est constitué de deux composants, appelé ADN-A et ADN-B, de taille similaire. Chacun des composants possède des gènes codant pour plusieurs protéines et une région intergénique (Intergenic Region, IR) d’environ 200 pb comprenant l’origine de réplication (ori), les itérons (courtes séquences répétées), la région commune (Common Region, CR) et la tige boucle (5’ TAATATT↓AC 3’) (Brown et al., 2011; Zerbini et al., 2017 ; Figure 2). L’ADN-A porte une IR et six cadres ouverts de lecture (régions codantes) ou ORFs (Open Reading Frames) dont certains sont chevauchants (Brown et al., 2011; Fondong, 2013). Dans le sens viral, l’ORF V1 (AV1 chez les bipartites) code pour la Protéine de Capside CP qui représente l’unité de base dans la constitution de la particule virale en doublet des géminivirus. L’ORF V2 (AV2 chez les bipartites) code pour la Protéine de Mouvement MP qui intervient dans les mécanismes de diffusion du virus dans la plante hôte (Brown et al., 2011; Fondong, 2013). Les bégomovirus bipartites du Nouveau Monde ne possèdent pas l’ORF AV2 (Rojas et al., 2001; Bull et al., 2007; Fondong, 2013; Hanley-Bowdoin et al., 2013). Dans le sens complémentaire, l’ORF C1/AC1 code pour la protéine associée à la réplication (Rep). L’ORF C2/AC2 code pour la TrAP (Transcriptional Activator Protein) une protéine activatrice de la transcription et responsable de la transactivation des ORFs AV1 et BC1 (Sunter & Bisaro, 1997; Wezel et al., 2001). La TrAP est également impliquée dans la suppression du mécanisme de Post-Transcriptional Gene Silencing (PTGS) (Voinnet et al., 1999; Vanitharani et al., 2005). La protéine REn (Replication Enhancer) (ORF C3/AC3) est une protéine activatrice de la réplication (Hanley-Bowdoin et al., 1999). La protéine C4 codée par l’ORF C4/AC4 semble être un déterminant majeur dans l’expression des symptômes, et également un suppresseur du PTGS (Krake et al., 1998; Vanitharani et al., 2005). L’ADN-B porte deux ORFs qui codent pour deux protéines. La protéine MP (ORF BC1) est impliquée dans le mouvement de cellule à cellule de l’ADN viral tandis que la protéine NSP (Nuclear Shuttle Protein, ORF BV1) est impliquée dans le transport de l’ADN viral du noyau vers le cytoplasme à travers la membrane nucléaire (Sanderfoot et al., 1996; Gafni & Epel, 2002). 6 Trois types de molécule d’ADNsb ont principalement été décrits en association avec les bégomovirus monopartites : les alphasatellites et les betasatellites d’une taille d’environs 1350 nucléotides chacun (Briddon & Stanley, 2006; Zhou, 2013) et les deltasatellites d’une taille d’environs 700 nucléotides (Lozano et al., 2016). Les alphasatellites (précédemment connus sous le nom d’ADN-1, Briddon et al., 2004) ne sont pas des satellites stricts, puisqu’ils sont capables d’autoréplication dans les cellules végétales, mais dépendent de leurs bégomovirus assistants, également nommés « helper », pour le mouvement intra-plante et la transmission inter-plantes via l’insecte vecteur (Mansoor et al., 1999; Saunders & Stanley, 1999). Ces satellites qui codent pour une seule protéine associée à la réplication (alpha-Rep, Zhou, 2013), semblent moduler la virulence du complexe bégomovirus-betasatellite (Idris et al., 2011) en diminuant, voir en supprimant l’expression des symptômes de certaines maladies à bégomovirus. Si les alphasatellites ont d’abord été identifiés dans l’Ancien Monde en association avec des bégomovirus monopartites (Saunders et al., 2000; Briddon et al., 2001), des données récentes décrivent des alphasatellites en association avec des bégomovirus bipartites dans l’Ancien (Patil & Fauquet, 2010; Harimalala et al., 2013). et le Nouveau Monde (Paprotka et al., 2010; Romay et al., 2010). Les betasatellites (précédemment connus sous le nom d’ADN-β) contiennent trois régions conservées : une séquence riche en Adénine (A-rich sequence), une séquence conservée connus sous le nom de région conservée des satellites (satellite conserved region, SCR) et un seul gène dans le sens complémentaire qui code pour une petite protéine (~118 acides aminés) connue sous le nom de βC1. La protéine βC1 est une protéine multifonctionnelle qui intervient dans la sévérité de la maladie et la suppression de certains mécanismes de résistance de la plante comme l’extinction génique transcriptionnelle (TGS pour transcriptional gene silencing) et l’extinction génique post-transcriptionnelle (PTGS pour post-transcriptional gene silencing ; Briddon et al., 2001; Cui et al., 2005; Zhou, 2013). Les betasatellites augmentent l’accumulation de leurs bégomovirus associés dans les plantes hôtes (Briddon, 2003; Zhou et al., 2003). La seule séquence de similarité entre les betasatellites et leurs bégomovirus est le nanonucléotide TAATATTAC dans la tige-boucle faisant partie du SCR. Les betasatellites ont quasi-exclusivement étés identifiés en association avec des virus monopartites en Afrique et en Asie (Zhou, 2013) même si leur association avec un virus bipartite a été décrite en Inde (Sivalingam & Varma, 2012). Les deltasatellites, troisième classe d’ADN satellites en association avec des bégomovirus, a récemment été définit (Fiallo-Olivé et al., 2012; Zhou, 2013; Lozano et al., 2016). Ces satellites non codant, auparavant qualifiés de défectifs, comprennent entre autres le satellite associé au Tomato leaf curl virus un bégomovirus monopartite d’Australie (ToLCV-sat ; Dry et al., 1997), des satellites identifiés à partir d’une collection de Bemisia tabaci en Floride (Ng et al., 2011) et les satellites trouvés à Cuba (Fiallo-Olivé et al., 2012). Cependant, ils sont distincts des alphasatellites et des betasatellites en raison de la petite taille de leur génome (~ 700 nucléotides) et de l’absence d’ORF. Ces satellites contiennent une tige boucle portant le nanonucléotide TAATATTAC, une TATA box et des itérons des bégomovirus dont une région riche en Adénine (A-rich) et une petite région partageant un pourcentage d’identité nucléotidique élevé avec des SCRs de betasatellites (Zhou, 2013). D’autres études sont nécessaires pour confirmer si ces molécules d’ADN satellites sont répliquées par leurs virus associés et si elles ont des rôles similaires à celles des betasatellites ou des alphasatellites dans la pathogénicité.
Organisation génomique du genre Mastrevirus
Les mastrévirus ont un génome monopartite (ADN-A) d’une taille d’environ 2700 pb qui comprend quatre ORFs, V1 et V2 codés par le brin viral et, C1 et C2 (ORFs chevauchants), portés par le brin complémentaire. Les ORFs V1 et V2 codent respectivement pour la MP et la CP. Le transcrit qui porte les ORFs C1 et C2 codent, après épissage, pour une Rep (Mullineaux et al., 1990; Dekker et al., 1991; Wright et al., 1997). Deux IRs séparent les deux paires d’ORFs, une grande appelée LIR (Large Intergenic Region) qui porte l’ori et le promoteur bidirectionnel et une petite appelée SIR (Small Intergenic Region) qui contient les deux signaux de terminaison des transcrits (Figure 2). Récemment, un alphasatellite et un betasatellite ont été associés à un mastrévirus chez le blé. Ce fut la première fois que l’un de ces composants a été identifié chez une monocotylédone (Kumar et al., 2014).
Réplication et transcription
Les géminivirus sont dépendants de la machinerie cellulaire de l’hôte pour leur réplication dont des facteurs comme l’ADN polymérase cellulaire. Les géminivirus se multiplient dans le noyau de cellules différenciées en phase G qui ont terminé leur activité de réplication propre. L’infection virale réactive la réplication en convertissant la cellule en phase S du cycle cellulaire (Hanley-Bowdoin et al., 1999). Pour les mastrévirus, la synthèse du brin complémentaire après décapsidation de l’ADN viral se fait à partir d’une amorce d’ADN déjà présente et hybridée dans la région SIR (Figure 3). Pour les bégomovirus, il y a synthèse d’une amorce ARN complémentaire à la IR après décapsidation (Saunders & Stanley, 1999). La synthèse du brin complémentaire est initiée à partir de ces amorces (Figure 3). L’ADN db circulaire des deux types de virus en s’associant avec les histones de la cellule hôte, forme des minichromosomes viraux. Cette première étape est réalisée avec la seule utilisation des protéines de l’hôte (Pilartz & Jeske, 1992). Cet ADN db est alors capable de se répliquer en cercle roulant (Rolling Circle Replication ou RCR, Figure 3) de manière analogue aux phages à ADN circulaire simple brin (Novick, 1998). Après liaison à l’ADN au niveau des iterons, la protéine Rep initie le cycle de réplication en introduisant une ouverture (↓) au sein de la séquence conservée de la tige boucle (TAATATT↓AC) (Hanley-Bowdoin et al., 1999). Après le clivage, la protéine Rep se retrouve liée de façon covalente au bout 5’ de l’ADN clivé. La synthèse de l’ADN simple brin (ADNsb) est régulée par l’activité synergique des protéines TrAp et REn qui agissent respectivement sur l’activation de la transcription et l’augmentation de la réplication (Sunter & Bisaro, 1991). Selon Xie et al., (1999), les géminivirus dépendent des facteurs cellulaires pour compléter leur cycle de réplication. Ce modèle de réplication en cercle roulant a été confirmé par microscopie électronique (Jeske et al., 2001). Ces expériences ainsi que d’autres utilisant l’électrophorèse bidimensionnelle, ont par ailleurs permis l’identification d’intermédiaires additionnels de réplication compatibles avec un modèle de réplication dépendante de la recombinaison (Recombination-Dependent Replication ou RDR). Ce mécanisme utilise des intermédiaires réactionnels et est analogue à celui du bactériophage T4 (Mosig, 1998; Mosig et al., 2001; Preiss & Jeske, 2003). La transcription a aussi lieu dans le noyau de la cellule. Elle est bidirectionnelle depuis les séquences promotrices situées au sein de la zone intergénique pour tous les ORFs, excepté pour les ORFs C2 et C3 où la région promotrice est intégrée dans l’ORF C1. La transcription des bégomovirus est complexe, aboutissant fréquemment à des ARN messagers polycistroniques (Hanley-Bowdoin et al., 1989; Sunter & Bisaro, 1989; Shivaprasad et al., 2005). Figure 3 : Schématisation du processus de réplication des géminivirus. Synthèse de la forme réplicative ADN db : Pour les mastrévirus après décapsidation de l’ADN viral (noir), la synthèse du brin complémentaire se fait à partir d’une amorce d’ADN (rouge) déjà présente et hybridée dans la région SIR (indiquée). Pour les bégomovirus, après décapsidation, la synthèse d’une amorce ARN (rouge) complémentaire à la région intergénique IR indiquée. La synthèse du brin complémentaire est initiée à partir de ces amorces. Les ADN db circulaires serviront dans la réplication. D’après Bernardi & Timchenko, 2008. Réplication en cercle roulant (RCR) : Etape a : accrochage de la protéine associée à la réplication (Rep) à l’origine de réplication (ori). Etape b : ouverture de l’ADN et liaison covalente de la Rep à l’extrémité 5’. Etape c : déplacement et réplication. Etape d : nouvelle ouverture de l’ADN, fermeture des ADN simple brin et relargage de la Rep. Réplication dépendante de la recombinaison (RDR) : Etape e : interaction entre un ADN simple brin incomplet et la forme super-enroulée de l’ADN viral (cccDNA) à des sites homologues. Etape f : recombinaison homologue. Etape g : élongation de l’ADN simple brin. Etape h : synthèse de l’ADN complémentaire et obtention d’un ADN double brin. D’après Jeske et al., 2001.
Transmission circulante non propagative des géminivirus par des hémiptères
Les pièces buccales de la plupart des insectes vecteurs de virus témoignent d’un mode d’alimentation de type piqueur-suceur (Gray & Banerjee, 1999). Ce type morphologique est commun aux insectes qui s’alimentent de contenus cellulaires et surtout de sève phloémienne, tels que les aleurodes, cicadelles et pucerons (pour revue Blanc et al., 2014). Leurs stylets leurs permettent de pénétrer dans les tissus et de traverser les parois cellulaires et les membranes cytoplasmiques par l’intermédiaire de forces mécaniques et/ou avec l’aide d’enzymes salivaires et intestinales. C’est au cours des périodes d’alimentation comportant des phases d’ingestion et de salivation qu’ils acquièrent et inoculent respectivement les particules virales. Les géminivirus sont considérés comme des virus circulants non multipliant, c’est à dire qu’ils circulent dans le corps de l’insecte et traversent plusieurs membranes cellulaires, celles de l’épithélium intestinal pour se retrouver dans le corps de l’insecte, et celles des glandes salivaires qui permettent leur évacuation par salivation dans une plante hôte (pour revue Ghanim, 2014). Les bégomovirus sont transmis aux plantes par l’intermédiaire de l’insecte vecteur, Bemisia tabaci (Hemiptera : Aleyrodidae), selon le mode circulant persistant (Czosnek et al., 2001). L’existence de cette spécificité de transmission suggère une association « intime » dans laquelle sont impliquées à la fois les protéines codées par le virus et le vecteur (pour revue Gray et al., 2014). B. tabaci est un aleurode mesurant 1 à 1,5 millimètre de long qui arbore une couleur blanche-jaunâtre (Figure 4). Il appartient à un complexe d’espèces cryptiques communément appelées biotypes (Dinsdale et al., 2010). Insecte phytophage, il semble se nourrir essentiellement de sève élaborée. Une fois ingéré par l’insecte via le bol alimentaire, le virus va pénétrer dans le tractus intestinal. Il va ensuite traverser une première barrière spécifique qui est la paroi de l’épithélium intestinal pour se retrouver dans l’hémolymphe de l’insecte (Ohnishi et al., 2009; Uchibori et al., 2013). Les particules virales vont ensuite s’associer puis traverser la deuxième barrière à la transmission que représentent les glandes salivaires. Le virus circulant peut ainsi être transmis à une nouvelle plante par salivation lors de l’alimentation de l’insecte (Czosnek, 2007; Becker et al., 2015). De nombreuses zones d’ombres persistent toutefois sur le mouvement du virus dans son vecteur et notamment sur les interactions cellulaires et moléculaires entre les bégomovirus et B. tabaci, la forme de circulation du virus dans l’insecte vecteur (particule virale, nucléoprotéine…) et l’existence de morphes viraux particuliers impliqués dans le mouvement à travers le vecteur et adaptés à la transmission (Blanc et al., 2011). Figure 4 : Couple d’individus adultes de Bemisia tabaci en alimentation sur une feuille. Source : CIRAD. Les virus du genre Mastrevirus sont transmis par plusieurs espèces de cicadelles du genre Cicadulina (Hemiptera : Cicadellidae), qui se nourrissent et se reproduisent sur une large gamme d’espèces de Poaceae comprenant des poacées sauvages et cultivées. Ce genre est très homogène pour la structure du corps, de la tête et des ailes ainsi que pour de nombreux caractères de l’appareil reproducteur mâle, mais se distingue généralement par des variations de la coloration de la robe (Webb, 1987). Parmi ces cicadelles, Cicadulina mbila représente un vecteur particulièrement efficace pour la transmission du MSV sur maïs avec des taux de transmission individuelle de 100% (Reynaud, 1988).
Liste des acronymes viraux selon le comité international de taxonomie virale |