Epidémiologie des thromboses au diagnostic et au suivi des NMP

Les thromboses artérielles

Elles constituent la principale cause de mortalité associée à la PV et à la TE et touchent principalement les grosses artères cérébrales et cardiaques. Les stratégies thérapeutiques visent à prévenir ces thromboses artérielles.

Les accidents vasculaires cérébraux et les accidents ischémiques transitoires

Ils sont parmi les plus fréquents dans l’ensemble des accidents cérébraux-vasculaires des patients NMP. Cependant l’accident vasculaire cérébral révélant la NMP est rare. Selon E.Ong et al (23) les accidents cérébraux vasculaires révélant la NMP étaient présents dans 4,3% de la population d’étude avec une majorité (environ 63%) d’accidents vasculaires cérébraux suivi d’accidents ischémiques transitoires (23%) et des thromboses veineuses cérébrales (11%). Sur les 35 patients NMP inclus dans leur étude ayant été révélés par des accidents cérébraux-vasculaires, 34% avaient une PV, 60% avaient une TE.

Les infarctus du myocarde

L’occlusion des artères coronaires a rarement été décrite chez les patients atteints de TE ou de PV. Moins de 30 cas d’infarctus du myocarde survenus chez des patients TE ont été rapportés dans la littérature. Une étude de Rossi (24) sur 170 TE trouve une prévalence de 9,4%.
L’équipe de Muendlein et al (25) a voulu déterminer la fréquence de la mutation JAK2 V617F dans une cohorte de 1589 patients subissant une angiographie coronarienne (afin d’évaluer leurs maladies coronariennes). Ils ont trouvé une prévalence de 1,32% de la mutation JAK2 V617F chez ces patients. La thrombose d’une artère coronaire serait le mode de survenue le plus fréquent en cas de TE, et semble toucher préférentiellement l’artère interventriculaire antérieure. Une des raisons serait liée à une pression systolique importante et à une contrainte de cisaillement élevée, ce qui la rend vulnérable aux dommages endothéliaux (26). D’autres théories sont évoquées comme l’augmentation de l’activité procoagulante des plaquettes et leur activation entraînant des lésions endothéliales irréversibles.

Les ischémies périphériques

Les troubles de la microcirculation responsables de manifestations ischémiques sont fréquentes dans les NMP et sont plus couramment observés dans la TE. Ils touchent la microcirculation artérielle périphérique : peau, cerveau, territoires coronariens et abdominaux (27). L’érythromélalgie est la manifestation la plus fréquente, favorisé par un hématocrite > 0,45 et des plaquettes > 400 G/L (28).

Les thromboses veineuses de localisation fréquente

Les thromboses veineuses profondes des membres inférieurs et les embolies pulmonaires

Contrairement aux thromboses veineuses splanchniques, la recherche de la mutation JAK2 n’est pas indiquée chez les patients ayant fait des thromboses veineuses profondes ou des embolies pulmonaires sans autres arguments cliniques pour une NMP.
Une étude française de 2017 s’est concentrée sur une revue de littérature concernant le dépistage des mutations de la NMP dans les cas de TVP et d’embolies pulmonaires. Les études n’ont pas toujours clairement séparés la TVP de l’EP. Au total 2,1% des patients atteints de TVP/EP ont été identifiés comme JAK2 positifs (29). La charge allélique a été quantifiée pour 21 cas avec une valeur médiane de 3,4%. La plupart des patients ne présentaient pas de caractéristiques de NMP et le taux de récurrence était un élément important puisque 68% des patients ont subi plus d’un événement thrombotique. La TVP et l’EP sont des sites thrombotiques veineux fréquents dans la population générale et le dépistage des mutations JAK2 dans ces situations est improductif avec moins de 2% de positivité (30). Les auteurs concluent que le dépistage dans les TVP et EP doit être effectué au cas par cas et surtout en présence d’anomalies de l’hémogramme.

Les thromboses veineuses cérébrales

La prévalence de la mutation JAK2 V617F chez des patients atteints de thromboses veineuses cérébrales n’est pas complétement connue. Les quelques études qui ont étudié la relation entre la mutation JAK2 V617F et la TVC retrouve des prévalences de la mutation variant de 0% à 14%. Cependant, à l’exception de 2 études portant sur plus de 100 sujets, les séries de patients ont été relativement petites.
Une des études récentes a évalué la prévalence globale de la mutation JAK2 V617F chez des patients atteints de thrombose veineuse cérébrale sans NMP connus. Avec un nombre total de 1019 patients atteints de TVC, la prévalence globale est de 3,9%. Les auteurs ont également étudié la prévalence de la mutation JAK2 V617F dans un groupe de 125 patients atteints de TVC et rapporte une prévalence de la mutation JAK2 V617F de 5,6% sans NMP connue auparavant (33).

Les thromboses veineuses rétiniennes

L’occlusion de la veine rétinienne est une complication relativement rare des NMP. La plupart des études publiées sont essentiellement des cas rapportés dans la littérature. Une lettre à l’éditeur rapporte une fréquence de 0.2% de mutation JAK2 dans les thromboses rétiniennes (34). Voici un tableau récapitulatif de la fréquence de la mutation JAK2 dans les différents types de localisations thrombotiques :

Les thromboses récidivantes

Il existe peu de données dans la littérature sur les thromboses récidivantes après l’événement initial, qui ont souvent conduit au diagnostic de NMP. La survenue de thromboses récidivantes a été spécifiquement évaluée dans une étude rétrospective portant sur 494 patients (235 PV et 259 TE) ayant des antécédents de thromboses (35). 166 patients (33.6%) ont eu une récidive thrombotique, avec une incidence de 7,6 pour 100 patientsannées, principalement au cours des deux premières années suivant le diagnostic. Les thromboses récidivantes concernent dans 61% des cas des vaisseaux artériels et dans 39% des cas des vaisseaux veineux. En analyse multivariée, un âge supérieur à 60 ans était associé à une récidive (HR = 1.67, 95%CI = 1.19-2.32). Le sexe, le type de NMP (TE ou PV) et la présence de facteurs de risques cardiovasculaires n’ont pas impacté le risque de thromboses récidivantes. Le traitement par cytoréducteur est associé à une diminution du taux de récidive thrombotique (HR= 0.53, 95%CI = 0.38-0.73). L’utilisation d’un traitement cytoréducteur avec un agent antiplaquettaire a permis de réduire le risque de récidive par rapport à la cytoreduction seule (HR=0.56, 95%CI = 0.24-0.85) et aux antiagrégants plaquettaires seuls (HR=0.67, 95%CI=0.41-0.99). Il est à noter que près de 40% des récidives sont survenues chez des patients chez qui les objectifs du traitement cytoréducteur n’avaient pas été atteints ou qui ne suivaient pas de traitement antithrombotique approprié.

Physiopathologie générale des thromboses au cours des NMP

Divers mécanismes complexes sont impliqués dans la pathogénèse de la thrombose chez les patients atteints de NMP. La mutation JAK2 V617F, les anomalies quantitatives et qualitatives des cellules sanguines et le dysfonctionnement endothélial contribuent à la physiopathologie de la thrombose. A cela se rajoute des facteurs propres à chaque individu qui augmentent ce risque de thrombose comme l’âge, les antécédents de thromboses, les facteurs de risques cardiovasculaires.
L’explication la plus ancienne à ces phénomènes de thromboses dans les NMP est l’augmentation des cellules sanguines. Plusieurs mécanismes ont été proposés par lesquels la mutation JAK2 V617F contribue à la pathogénèse de la thrombose. L’activation des leucocytes et la formation d’agrégats leucocytes plaquettes représentent aujourd’hui les étapes importantes de la pathogénèse de la thrombose chez les patients atteints de NMP.

Les leucocytes

Le rôle exact de ces cellules n’est pas complétement élucidé mais elles ont été reconnues comme une partie intégrante dans la pathogénèse d’une thrombose. Les leucocytes présentent plusieurs anomalies qui contribuent à la génération d’un thrombus. Ils libèrent des enzymes protéolytiques et des substances réactives à l’oxygène qui endommagent les cellules endothéliales et activent ensuite la cascade de la coagulation (36). La surexpression de CD11b à leur surface conduit à une formation accrue d’agrégats leucocytes-plaquettes, participant aux processus de thromboses ( 37 ). Un autre mécanisme implique directement les polynucléaires neutrophiles en formant des NETs (Neutrophils Extracellular Traps) qui provoquent in vivo des thromboses chez la souris mutée JAK2 V617F.

La polyglobulie et l’augmentation de l’hématocrite

L’augmentation de l’hématocrite contribue au développement de la thrombose chez les patients atteints de NMP. Le maintien d’un hématocrite inférieur à 45% sous traitement permet une réduction de l’incidence des thromboses dans la PV (39). L’érythrocytose provoque une stase du sang, des lésions endothéliales et une hypercoagulabilité. Un hématocrite élevé déplace les plaquettes vers les marges du vaisseau sanguin et facilite ainsi l’adhésion des plaquettes au vWF et au collagène (40).

Thrombocytose et activation des plaquettes

La thrombocytose n’est pas corrélée au risque de thrombose chez les patients atteints de NMP (41). En fait, la thrombocytose > 1500 G/L chez les patients atteints de NMP augmente le risque de saignement dû à une forme acquise de la maladie de Von Willebrand (42). Le fait qu’il n’y ait pas de preuve d’augmentation du risque de thrombose lié aux thrombocytoses réactionnelles en elles-mêmes montre que le chiffre de plaquettes ne peut expliquer à lui seul le risque de thrombose. Elles participent entre autre à l’agrégation des leucocytes, à l’activation de la coagulation et à la formation de microparticules (43).

Rôle des cellules endothéliales

Le nombre de cellules endothéliales circulantes est en corrélation avec le nombre d’épisodes thrombotiques chez les patients atteints de thromboses veineuses et ces cellules sont significativement plus élevées chez les patients atteints de NMP (44). En identifiant la mutation JAK2 V617F dans les cellules endothéliales de patients atteints de NMP avec des thromboses associées, certains auteurs (45) indiquent le rôle possible d’un dysfonctionnement endothélial dans la formation de thrombus en particulier dans les syndromes de Budd Chiari (46).

Les microparticules plaquettaires

Les patients atteints de NMP et de thromboses ont un nombre plus élevé de microparticules circulantes dans le sang, suggérant un rôle des microparticules dans la pathogenèse des événements thrombotiques (47). Par exemple les microparticules ont une activité pro coagulante dépendant des phospholipides plus élevé dans les TE JAK2 par rapport aux témoins JAK2 négatifs (48). Les microparticules pourraient contribuer à la thrombogénèse via plusieurs mécanismes comme l’activation de la voie extrinséque de la coagulation (49) ou par l’interaction des microparticules avec les plaquettes activées pour augmenter leur agrégation et la formation de thrombus (43).

Facteurs de risques thrombotiques dans les NMP

Les facteurs de risques de thromboses dans les NMP peuvent à la fois être liés au patient, au sous-type du NMP et au type de thromboses artérielles et veineuses. Leurs identifications précises sont limitées par les études disponibles qui sont principalement des études rétrospectives ou cas témoins. D’autre part les auteurs ne distinguent pas toujours la thrombose artérielle de la thrombose veineuse. Nous avons fait le point sur ces différents facteurs de risques.

Facteurs de risques liés aux patients

Le sexe

Selon l’étude ECLAP ( 50 ) les hommes atteints de PV avaient connu plus d’événements thrombotiques artériels au diagnostic, en particulier d’infarctus du myocarde par rapport à leurs homologues féminins (11.3% vs. 5.8%, p<0.0001). La thrombose dans les sites veineux splanchniques ou cérébrals sont à l’inverse plus fréquente chez la femme au moment du diagnostic (11.4% vs. 7.9%, p = 0.016).

L’âge et les antécédents de thrombose

L’âge et les antécédents de thrombose font parti actuellement de la stratification des PV et des TE pour estimer le risque de thromboses artérielles et adapter le traitement (52). Pour les personnes âgées de plus de 65 ans avec des antécédents de thromboses, l’incidence est de 10,9 pour 100 patients années contre 2,5 pour 100 patients-années pour les sujets âgés de moins de 65 ans sans antécédents de thromboses (7). Une autre étude a révélé que l’âge et les antécédents de thromboses sont des facteurs de risque indépendants d’événements thrombotiques artériels, mais la signification statistique n’a pas été atteinte pour les événements thrombotiques veineux (21). Le rôle de ces facteurs de risque dans la MFP est moins bien établi.

Les anomalies du bilan de thrombophilie

Des résultats contradictoires ont été rapportés concernant l’impact de plusieurs caractéristiques thrombophiliques, notamment la prothrombine G2021A, le facteur V Leiden et les anticorps antiphospholipides (53). Les patients âgés de moins de 60 ans avec des anomalies du bilan de thrombophilie (y compris l’hyperhomocystéinémie) présentaient un risque de récidive thrombotique plus élevé que ceux sans thrombophilie (35) ce qui suggère un effet synergique du NMP sur le risque de récurrence thrombotique.

Risques cardiovasculaires

Plusieurs équipes dont Landolfi et al (54) et Carobbio et al (21) ont évalué les facteurs de risques cardiovasculaires tels que l’hypercholestérolémie, l’hypertension artérielle, le tabagisme et le diabète. Dans l’étude de Landolfi (54), un tiers des 169 PV avaient un ou plusieurs facteurs de risques cardiovasculaires. Le tabagisme est associé de manière significative à une augmentation du risque d’événements thrombotiques artériels dans les PV (54) et les TE (21). L’association rapportée concerne les événements artériels et non veineux.

Facteurs de risques liés à la maladie

Les globules blancs et les plaquettes

La leucocytose est apparue comme un facteur potentiel du risque thrombotique, contrairement à la thrombocytose. Chez les patients PV de l’étude ECLAP (54), un taux de leucocytes supérieur à 15 G/L est associé à un risque significativement plus important de thromboses majeures (surtout infarctus du myocarde) par rapport à un taux inférieur à 10 G/L (HR=2.84; 95% CI, 1.25-6.46, p= 0.017).
Dans une cohorte de 776 TE (55), le risque de thromboses artérielles et veineuses n’était pas significativement associé au taux de plaquettes ou au niveau d’hémoglobine alors qu’ilexistait une association significative entre les leucocytes et le risque de thrombose (p= 0.03). Dans une autre étude portant sur 891 patients atteints de TE, une leucocytose supérieure à 11 G / L était associée de manière significative à une thrombose artérielle (HR 1.7, 95% 1.01- 2.72, p=0.044) (21). Nous pouvons noter que les seuils sont assez variables entre les études.
La thrombocytose extrême réduit le risque de thromboses artérielles dans la TE (HR 0.42 95%CI 0.22-0.78, p = 0.007) (21). Cet effet protecteur pourrait être secondaire à un déficit acquis du facteur Von Willebrand (56), également considéré comme un facteur de risque de saignement.

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