Épidémiologie de la borréliose à tiques en Afrique de l’Ouest et du Nord
Méthodes de diagnostic biologique
Diagnostic direct
Une affection d’un tableau clinique aussi polymorphe présente un diagnostic clinique difficile. Quand les examens de laboratoire font défaut, les malades sont régulièrement confondus avec des paludéens. La notion de fièvre ou de récurrence est un élément important qui doit orienter le diagnostic. Dans la pratique courante, le diagnostic d’une fièvre récurrente à tiques nécessite la mise en évidence des Borrelia dans le sang du malade. La certitude du diagnostic repose : sur l’observation directe de l’agent pathogène (Borrelia spp. sur goutte épaisse de sang), ou l’inoculation de sang à la souris blanche (MATHIS, 1928) et/ou d’organes suspects (cerveau, foie, rate). La borréliémie étant souvent faible et furtive, la méthode de goutte épaisse directe est de loin plus indiquée que le frottis sanguin pour rechercher des Borrelia dans le sang. Sa sensibilité diagnostique a été de 61% (31/51) lorsqu’elle est pratiquée au cours de tout accès fébrile (DIATTA G. & TRAPE J.F., données non publiées). En revanche, l’inoculation de sang par voie intra-péritonéale à la souris blanche, qui doit être la règle pour tous les cas de fièvre répétée ou inexpliquée à goutte épaisse négative, est la technique de référence (même si elle est peu pratiquée en routine) qui permet d’accroître d’environ 27 à 30% la sensibilité du diagnostic (DIATTA, 1992; DIATTA et al., 1994) ; DIATTA G. & TRAPE J.F., données non publiées). Entre les récurrences, l’agent pathogène présente un tropisme pour les organes profonds.
Diagnostic différentiel
Du fait de l’absence de signe clinique spécifique, le diagnostic différentiel de la borréliose à tiques est vaste. Il prend en compte avant tout le paludisme fréquent en Afrique subsaharienne (COLEBUNDERS et al., 1993; LA RAJA et al., 1998), mais également les septicémies, les arboviroses (fièvre jaune, dengue) et d’autres infections virales, les rickettsioses, la leptospirose et la fièvre typhoïde (VAN DAM et al., 1999). 52 L’infection à Borrelia peut être masquée par une co-infection due au paludisme. D’une façon générale, la notion de séjour en zone endémique doit être un élément déterminant dans le diagnostic de la fièvre récurrente à tiques.
Autres méthodes de diagnostic possibles
La culture de B. crocidurae in vitro, mise au point par VAN DAM et collègues (1999) constitue une alternative à l’inoculation à la souris blanche mais elle reste très délicate. Elle est effectuée sur milieu de Kelly modifié (MKM). Après cinq à sept jours d’incubation en micro-aérobiose à 33°C, les Borrelia peuvent être observées au microscope. La méthode quantitative buffy coat (QBC® ) test (QBC® – Beckton Dickinson), utilisée déjà pour le diagnostic des filarioses sanguines, de la trypanosomiase, de la babésiose et de la leptospirose, a montré récemment son intérêt dans le diagnostic de la borréliose à B. crocidurae. C’est également une technique de détection du paludisme qui associe la coloration par l’acridine orange à la centrifugation. Après centrifugation, les Borrelia sont immédiatement situées à la limite de la zone leuco-plaquettaire et du plasma vers lequel elles migrent rapidement (CHATEL et al., 1999). Le QBC® permet l’examen rapide d’un volume de sang plus important que la goutte épaisse avec un gain de sensibilité diagnostique. Le seuil de détection de la technique est estimé à 103 Borrelia/mL pour un examen de dix minutes (VAN DAM et al., 1999). Le diagnostic de la borréliose par la PCR en temps réel (qPCR) doit être réalisé actuellement dans les structures hospitalières en Afrique tropicale et notamment au Sénégal, si l’État accompagne les autorités sanitaires qui s’inspireraient des deux laboratoires point-ofcare (POC) installés en milieu rural à Dielmo (SOKHNA et al., 2013) et à Niakhar par URMITE, pour relever le plateau technique et détecter rapidement les infection à Borrelia et d’autres bactéries responsables de fièvre afin de permettre une meilleure prise en charge des malades fébriles (coût unitaire peu cher (104 080 697 FCFA) avec une volonté politique). 53 7. Données de l’incidence connue dans deux régions du Sénégal Dans la littérature, peu de données épidémiologiques récentes relatives aux infections humaines à B. crocidurae sont disponibles. Au Sénégal, deux études ont été menées. La première a été réalisée pendant un an (1989-1990) et a porté sur 1340 enfants de moins de 15 ans (2 à 14 ans) fréquentant le dispensaire de Keur Moussa, situé à 50 kilomètres environ à l’est de Dakar et 20 kilomètre à l’ouest de Thiès. B. crocidurae a été retrouvée chez 0,9% (12/1340) des malades examinés. La prévalence la plus élevée (4,2%) a été observée chez les grands enfants de la tranche d’âge de 10 à 14 ans (TRAPE et al., 1991). La seconde étude a été conduite de 1990 à 1992 sur la population du village de Dielmo (13°43’N-16°24’W), région de Fatick, ensuite au dispensaire de Keur Moussa et à l’hôpital Saint Jean de Dieu (16°55’N-14°48’W), situé à 500 mètres environ à l’Ouest du centre de la ville de Thiès, respectivement de Mars à Mai 1991 et de Mai 1991 à Mai 1992. A Dielmo village, le dépistage systématique de B. crocidurae a été effectué chez les malades présentant un accès fébrile au cours des deux années de suivi clinique et parasitologique, de Juin 1990 à Mai 1992. Sur 230 personnes incluses dans l’étude, 24 cas de fièvre récurrente à tiques ont été diagnostiqués, soit un taux d’incidence annuel moyen de 5,2% (DIATTA, 1992; TRAPE et al., 1996a). Des travaux récents ont également indiqué qu’à Dielmo 11% (VIAL et al., 2006) et 9,7% (MEDIANNIKOV et al., 2014) de la population a développé chaque année la borréliose. La prévalence de l’infection à Borrelia chez des patients fébriles examinés, puis diagnostiqués positifs en borrélies (33/173), entre Juin 2010 – Octobre 2011, dans quatre structures sanitaires de la zone de Niakhar (Toucar, Diohine, Ngayokhème et Niakhar) était de 19,1% (MEDIANNIKOV et al., 2014). Dans la région de Thiès la présence de B. crocidurae a été mise en évidence chez 25 malades sur 583 consultants fébriles examinés au dispensaire de Keur Moussa et à l’hôpital Saint Jean de Dieu, soit une prévalence de 4,3% (DIATTA, 1992). Dans chacune de ces études, la maladie a été observée quelle que soit la saison. 8. Traitement et prévention Le traitement de la borréliose à tiques est basé sur l’administration d’antibiotiques de la famille des Cyclines. La tétracycline (AUBRY et al., 1983; VAN DAM et al., 1999) et la doxycycline (AUBRY et al., 1983; COLEBUNDERS et al., 1993) sont les deux antibiotiques de choix pour le traitement de la borréliose à tiques. 54 La posologie est de 2 g/jour par voie orale, soit 500 mg toutes les six heures (12,5 mg/Kg chez l’enfant de plus de huit ans) pour la tétracycline et de 200 mg/jour per os, soit 100 mg deux fois par jour (4 mg/Kg en une seule prise chez l’enfant) pour la doxycycline. La durée du traitement est longue et varie de 7 à 10 jours du fait du tropisme des Borrelia pour le système nerveux central. En effet, dans le cerveau les Borrelia sont protégées de l’action des tétracyclines par la barrière hématoencéphalique et pourraient par la suite réapparaître dans le sang. Une administration prolongée est donc nécessaire pour conduire une antibiothérapie efficace (CADAVID et al., 1998). Dans le cas de contre-indications (grossesse et enfant de moins de huit ans), l’érythromycine, 500 mg ou 12,5 mg/Kg per os toutes les six heures) est une alternative aux tétracyclines (AUBRY et al., 1983; BARBOUR, 1999). Des échecs thérapeutiques ont cependant été observés avec cette molécule (COLEBUNDERS et al., 1993). Comme les tétracyclines, l’érythromycine a également une mauvaise diffusion dans le tissu cérébral. Lors des atteintes neurologiques, il faut envisager une antibiothérapie parentérale par pénicilline G (12 à 30 millions d’UI par jour (CHARMOT et al., 1986; CADAVID et al., 1998) ou par Ceftriaxone, 2 g/jour pendant 10 à 14 jours. Les Borrelia sont résistantes à la rifampicine, au métronidazole et aux sulfamides. Aucune résistance acquise aux antibiotiques n’a été actuellement mise en évidence chez les Borrelia (BARBOUR, 1999). 9. Climat et borréliose à tiques 9-1. Répartition géographique des ornithodores vecteurs Elle est classiquement saharienne et sahélienne. La plupart des localités de collecte des tiques O. sonrai sont situées dans les régions où la pluviométrie est inférieure à 500 mm et aucune ne dépasse 750 mm qui est la limite extrême de la répartition (MOREL, 1965). 9-2. Impact des modifications climatiques Depuis 1970, début de la sécheresse actuelle en Afrique subsaharienne, la presque totalité des années présente une pluviométrie déficitaire par rapport à la moyenne des soixante cinq années précédentes (Figure 25). Ce déficit pluviométrique a atteint plus de 32%, enmoyenne, ces quarante dernières années. 55 Figure 25 : Indices annuels d’anomalies pluviométriques dans le sahel de 1905 à 2005 : Source 4ème Conférence Internationale sur l’Analyse Multidisciplinaire de la Mousson Africaine (AMMA), Toulouse, France, 2-6 Juillet 2012 Au Sénégal et dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, on note une descente vers le sud des isohyètes moyens d’au moins un degré de latitude depuis 1970 (Figure 26). Figure 26 : Isohyètes moyens (pluviométrie moyenne) en Afrique de l’Ouest (50 mm, 250 mm, 500 mm, 750 mm, 1000 mm, 1500 mm) entre les périodes 1940-1969 et 1970-1999 (MAHE et al., 1999) 56 9-3. Extension récente de la borréliose à tiques Figure 27 : A : Isohyètes moyens de la période 1947-1969 ; B : Isohyètes moyens de la période 1970-1990. Les cercles noirs montrent où la tique O. sonrai a été collectée entre 1990-1992, les cercles blancs montrent où la recherche de ce vecteur a été négative (TRAPE et al., 1996a) Des cas de borréliose sont survenus au Sénégal, depuis les années 1980, en dehors de l’aire de répartition connue de la maladie (TRAPE et al., 1991). C’est d’ailleurs au Sénégal, où le plus grand nombre de données historiques sur la borréliose à tiques était disponible. Des travaux de TRAPE et collègues (1996a), ont montré une progression vers le sud de l’aire d’endémie de la maladie, ce qui a correspondu très étroitement au déplacement de l’isohyète 750 mm depuis 1970, date du début de la période actuelle de sécheresse (ou de variabilité pluviométrique) en Afrique de l’Ouest (Figure 27). Avant 1965, la localité la plus au sud connue de la tique O. sonrai était située à l’intersection 14°28’N/16°59’W. Au Sénégal oriental, la limite la plus au sud où des tiques O. sonrai ont été collectées était localisée à la latitude 13°15’N (TRAPE et al., 1996a). Actuellement, l’extrême limite sud orientale de distribution des tiques ornithodores a atteint la latitude 13°32’N (TRAPE et al., 2013), soit une extension en valeur absolue de 00°17’N, ce qui correspondrait à une progression de plus de 30 kilomètres vers le sud. Dans le SineSaloum, notamment dans la zone de Dielmo-Ndiop, entre 2003 et 2012, la localité la plus au sud de la limite méridionale de progression des tiques O. sonrai a évolué de la latitude 13°41’,26.7’’N à la latitude 13°41’,6.6’’N, soit une extension d’environ 00°00’0,5’’N en valeur absolue, ce qui correspond approximativement à 900 mètres de suface théorique récemment colonisée vers le sud par les tiques O. sonrai (DIATTA et al., données non publiées). 57 10. Environnement et borréliose à tiques D’après MOREL (1965), les tiques Ornithodoros sont absentes des terriers de sable pur de dunes, des ergs et aussi dans les sols salés des zones de sebkha. Elles sont présentes par contre dans les sols sableux mélangés à de l’argile ou du limon. Ces observations ont été, d’ailleurs, confirmées par les résultats de l’analyse des constituants pédologiques examinés dans différents sites étudiés en Afrique subsahrienne pour rechercher la présence des tiques ornithores rapportés par des travaux récents (DIATTA, 2005; DIATTA et al., 2005a). En effet, il a été noté que dans l’agglomération et les environs de la ville de Nouakchott, la remontée de la langue salée à la surface ainsi que la présence de cordons dunaires étaient à l’origine de l’absence de la tique O. sonrai. Aussi, l’analyse des paramètres pédologiques à permis de montrer que l’installation des tiques Ornithodoros dans la nature est beaucoup plus favorable dans les sols à sable fin associé à de l’argile à limon gros que dans les sols à sable gros associé à de l’argile à limon gros. Dans le contexte actuel de la variabilité et de déficit de la pluviométrie liée à la persistance de la sécheresse subsaharienne depuis les années 1970, les sols à sable fin associé à de l’argile à limons gros préserveraient plus longtemps l’humidité du sol et participent ainsi au maintien des foyers de borréliose dans la nature. En revanche, nous avons observé que les sols à sable gros associé à de l’argile à limon gros fréquemment rencontrés dans la partie orientale de la Mauritanie, dans le Niger, Tchad, Cameroun et Bénin joueraient un rôle défavorable, et c’est ce qui explique que la présence des tiques O. sonrai n’a pas été confirmée notamment à Ayoûn El Atrous et à Néma en Mauritanie, à Niamey au Niger et à Ndjaména au Tchad où MOREL (1965) les avait déjà signalées.
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