Eosinopénie et COVID-19
Discussion
Un taux indétectable d’éosinophiles, tel qu’observé chez les patients atteints de COVID-19, n’est pas fréquemment observé en pratique clinique. Dans cette vaste population de plus de 550 patients, 75% avaient une éosinopénie inférieure à 0,04 G/L et 52% un taux d’éosinophiles indétectables (0 G/L) associée à des critères de sévérité cliniques (besoins en oxygène), biologiques (NLR, lymphopénie, CRP) et scanographiques. En analyse multivariée, nous avons observé pour la première fois qu’un taux indétectable d’éosinophiles était indépendamment associée à la survenue plus importante de serious events en cours d’hospitalisation (décès, séjour en réanimation, oxygénothérapie à haut débit), suggérant qu’elle peut être considérée comme un facteur de pronostic initial. Ces résultats sont en accord avec trois études chinoises récentes, une seule incluant un si grand nombre de patients (8) (9) (10). Une éosinopénie a également été rapportée chez des patients atteints d’infections par le SARS-CoV1 et le MERS-CoV, et apparaît donc comme une caractéristique commune des infections sévères à coronavirus (11). La valeur de l’éosinopénie comme facteur pronostique est d’autant plus importante si elle est associée à une lymphopénie initiale (taux de lymphocytes inférieur à 1 G/L). Dans notre étude, 61,47% des patients présentant dès l’arrivée aux urgences un taux indétectable d’éosinophiles associé à une lymphopénie inférieure à 1G/L ont connu des serious events au cours de leur séjour (admission en réanimation, décès ou oxygénothérapie à haut débit) ; et plus de 17% d’entre eux sont décédés. Une lymphopénie sévère est associée 13 aux formes les plus graves et inflammatoires de COVID-19 et se corrige lors d’un traitement inflammatoires efficace (12). On peut donc penser que l’éosinopénie pourrait refléter la sévérité de l’atteinte inflammatoire. De façon à mieux comprendre sa physiopathologie, nous avons exploré plusieurs hypothèses physiopathologiques. Les éosinophiles ont des fonctions antivirales et peuvent migrer dans les tissus (4). Sur les 37 lames histologiques de poumons issus de patients décédés de la COVID19 qui ont été analysées, il n’a pas été retrouvé d’infiltration par des éosinophiles dans les tissus en utilisant des colorations standards. Ces données sont conformes à la littérature sur ce sujet, et dans d’autres rapports histopathologiques étudiant un nombre de prélèvements autopsiques plus limités, aucune infiltration éosinophilique n’a été mise en évidence dans les poumons ou autres tissus infectés par le SARS-CoV2 (13). L’hypothèse d’un trapping des éosinophiles dans les poumons semble donc pouvoir être écartée. Une éosinopénie importante peut survenir lors d’infections bactériennes sévères comme rapporté dans la littérature (5) et peut faire partie de la réponse au stress, donc liée au taux de cortisol circulant (14). L’étude des taux de cortisol des patients COVID-19 ne révèle cependant aucune corrélation pouvant expliquer la présence d’un taux indétectable d’éosinophiles. L’éosinopénie extrême a été rapportée comme étant un facteur de mauvais pronostic au cours du syndrome de réaction inflammatoire systémique, de septicémies bactériennes ou d’exacerbations infectieuses aiguës de la BPCO (6) (15). Le SARS-CoV-2 est responsable d’une atteinte alvéolaire et capillaire qui semble due à un état pro-inflammatoire local excessif (16). Dans cette optique, nous nous sommes intéressés à deux autres modèles de pathologies hyperinflammatoires : le SDRA qui représente un modèle de maladie hyperinflammatoire aigue limitée au poumon, et la sHLH de l’adulte qui représente un modèle de maladie 14 hyperinflammatoire systémique plus prolongé. Lorsque nous avons comparé les SDRA-non COVID-19, les SDRA-COVID19 et les sHLH, nous nous sommes rendu compte que les trois populations sont éosinopéniques, mais que seuls les SDRA-COVID19 présentaient un taux d’éosinophiles aussi bas. De plus, les patients SDRA-COVID-19 étaient les plus lymphopéniques. Ainsi, une éosinopénie extrême reflète probablement une réponse immunitaire innée intense, comme celle observée au cours de la COVID-19 (2), et cela peut être corroboré par le nombre d’éosinophiles observé chez les patients SDRA-non COVID et sHLH au moment du diagnostic, suggérant que l’éosinopénie pourrait constituer un biomarqueur « d’orage cytokinique ». En faveur de cette hypothèse, une association semble exister entre le taux d’IP10, une chimiokine fortement associée au développement d’un SDRA au cours de la COVID-19 (17), et la présence d’un taux indétectable d’éosinophiles. Une piste physiopathologique que nous sommes en train d’explorer est celle d’une éosinopénie liée à des taux circulants très importants d’IFNα. L’IFNα a un effet pro-apoptotique sur les éosinophiles et le traitement par IFNα est une cause bien connue d’éosinopénie (18). Il a été montré que les coronavirus retardent la production initiale d’IFNα par les cellules épithéliales pulmonaires conduisant à une inflammation inappropriée médiée par les cytokines issues de l’activation de l’inflammasome NLRP3 dans les monocytes inflammatoires, mais aussi de la production retardée d’IFNα par les cellules dendritiques plasmacytoïdes(19) (20). Plusieurs équipes ont montré qu’il en était de même pour le SARS-CoV-2 et que les formes les plus graves se développaient chez des patients présentant un déficit génétique de la production initiale d’IFNα par les cellules épithéliales (21). Il a été également découvert chez certains patients COVID19 la présence d’anticorps anti-interféron de type I (22). Néanmoins, des taux retardés 15 et excessifs d’IFNα favorisant un effet pro-apoptotique direct sur les éosinophiles pourraient être responsables de nos observations clinico-biologiques (19).
Comparaison des caractéristiques biologiques des patients SDRA-COVID19, SDRA-non COVID19 et sHLH
Nous avons inclus 125 patients de réanimation atteints de SDRA secondaire à la COVID-19, 118 patients de réanimation atteints de SDRA d’étiologie non COVID-19 et 11 patients atteints de sHLH. Aucun des patients n’avait reçu de corticothérapie avant la NFS. Les patients greffés 11 pulmonaires et ceux atteints d’une pathologie onco-hématologique ont été exclus. Les étiologies des SDRA non COVID-19 et des sHLH sont détaillées dans le Tableau 5. Un taux indétectable d’éosinophiles était présent chez 70% des patients « SDRA-COVID-19 », 45% des patients SDRA et 0% des patients sHLH. Le taux de moyen de lymphocytes était de 0,85 G/L pour les patients « SDRA-COVID-19 », 1,37 G/L pour les patients SDRA-non COVID19 et 1,43 G/L pour les HLH. Les taux de LDH (1428 UI/L vs 431 UI/L pour les SDRA-non COVID19 et 459 UI/L pour les SDRA-COVID19), et de ferritinémie (3579 µg/L vs 844 µg/L pour les SDRA-non COVID19 et 1490 µg/L pour les SDRA-COVID19) étaient plus élevés dans la cohorte sHLH que dans les deux autres populations. Les caractéristiques biologiques de chaque groupe sont détaillées dans les Tableaux 6.1 et 6.2. Absence de trapping des éosinophiles dans les poumons des patients SDRA-COVID Une analyse histologique de 37 coupes de poumons issus de patients décédés de la COVID-19 a été effectuée, et il n’a pas été retrouvé d’éosinophiles dans les tissus en utilisant des colorations standards. Les différents types de lésions histologiques ont été résumés dans le Tableau 7. Absence de corrélation entre les taux de cortisol plasmatique et le nombre d’éosinophiles circulants Le taux moyen de cortisol chez les patients avec un taux indétectable d’éosinophiles était de 457,8 nmol/L et celui des patients avec un taux d’éosinophiles supérieur à 0G/L était de 482,5 nmol/L (p = 0,734). L’analyse est détaillée en Tableau 8 et Figure 4. 12 Taux d’IP10 en fonction du taux d’éosinophiles Le taux moyen de d’IP10 chez les patients ayant un taux indétectable d’éosinophiles était de 139,74 ng/mL et celui des patients avec un taux d’éosinophiles supérieur à 0 G/L était de 85,84 ng/mL (p < 0.05). L’analyse est détaillée en Tableau 9 et Figure 5
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