Entrer dans les collectifs relations, places et identités
Chercheuse en communication : une entrée consensuelle
Nous avons vu dans le premier chapitre la manière dont les projets étaient perçus comme des « solutions » à des problèmes d’interface « science et politique » ou « science et gestion ». Comment réagissent les acteurs de tels dispositifs quand il est question d’en faire une analyse ? En tant qu’apprentie chercheuse en sciences de l’information et de la communication, je me suis souvent présentée sur mes terrains comme travaillant sur la communication de la science et les liens entre science et politique. Je reprenais ainsi les termes de ce qui avait été constitué en problème par les acteurs institutionnels. Ce cadrage institutionnel semble être assez investi par les chercheurs qui témoignent de l’intérêt pour mon travail. Dans ce chapitre, je vais mobiliser le récit pour explorer, avec Catherine Mougenot, les dimensions identitaires qu’il révèle : « Des histoires imbriquées dans nos mots, notre langage et qui « travaillent », parce qu’elles n’ont de cesse d’explorer, d’inclure ce qui peut éclairer nos expériences, et d’exclure ce à quoi nous refusons d’accorder notre attention. » (p 21, Mougenot 2011) Les récits de mes expériences de terrain sont d’abord reliés à des éléments factuels sur les modalités des rencontres et de participation à ces dispositifs, puis le dialogue est organisé autour des rôles et statuts que les chercheurs m’attribuent. Je m’en tiens ici à des rôles selon des dimensions explicitement en jeu telle que mon inscription dans une communauté scientifique en sciences de l’information et de la communication, bien qu’avec certaines personnes mon passé d’étudiante en biologie, mes engagements militants dans des collectifs libertaires d’écologie politique ou ma qualité de jeune fille ont pu orienter le sens des situations d’interaction.
Rencontres, participations et temporalités
Mes histoires avec le programme « Agriculture, Biodiversité et Action publique » (DIVA) et le projet Inbioprocess sont très liées à la rencontre de quelques personnes, représentantes des collectifs, pour lesquelles mon sujet résonne. C’est au gré de mes recherches exploratoires sur Internet que je découvre le programme DIVA et son animateur scientifique Jacques Baudry46 ; à l’époque mon sujet est encore très flou et je mène des entretiens exploratoires avec des chercheurs diversement engagés dans des pratiques de recherche et d’expertise en lien avec l’écologie et la biodiversité. Dans mon email à Jacques Baudry, mon sujet de thèse est décrit comme portant sur les liens entre science et politique, avec un intérêt pour les programmes de recherche et l’expertise pour les politiques publiques. Jacques Baudry me suggère une interlocutrice et le colloque DIVA, invitation qu’il renouvellera lors de notre entretien à Paris. A cette occasion, ce chercheur me raconte son parcours : d’abord en bureau d’étude puis en tant que chercheur mais aussi en tant que coordinateur de programme de recherche pour le Ministère de l’Ecologie. Le récit prend comme fil rouge le lien aux politiques publiques. Suite à notre entretien, Jacques Baudry m’envoi par courrier postal un ensemble de documents rendant compte de recherches produites pour le Ministère de l’aménagement du territoire et l’environnement (MATE).
– Biodiversité et gestion forestière – Quelle biodiversité en zone de grande culture ? – Les adaptations génétiques locales – une aide pour les stratégies de conservation et de restauration des milieux perturbés – Programme national de recherche sur les zones humides – caractérisation des zones humides – PNRZH – gestion des zones humides – PNRZH – les zones humides et l’eau – Recréer la nature : réhabilitation, restauration et création d’écosystème – Indicateurs pour évaluer les risques liés à l’utilisation des pesticides – La biodiversité à travers des exemples Ces documents concernent principalement des résultats des recherches liées au comité Ecologie et Gestion du Patrimoine Naturel (EGPN) en activité de 1979 à 1998. Bien qu’ils soient hétérogènes dans leurs formats, ils offrent une présentation synthétique de résultat d’une manière qui se veut attrayante : « L’objectif du comité est de contribuer le plus possible au transfert de connaissance vers les utilisateurs du milieu naturel : aménageurs, élus, administrations et, plus largement, citoyens, par une politique de diffusion. » (Courrier de la cellule environnement n°7, 1989) Un tel objectif est repris et élargi dans le cadre du programme DIVA puisqu’il est question d’impliquer également les acteurs de l’agriculture (agriculteurs au sens large mais aussi administrateurs du secteur agricole et d’organisations professionnelles) et les gestionnaires d’espaces naturels. Jacques Baudry, qui expérimente volontiers de nouvelles collaborations interdisciplinaires, aborde dès notre premier entretien ses possibles suites ; ces dernières ne prendront réellement forme que lors du séminaire mi-parcours de DIVA de mai 2009. Lors du colloque de mai 2009 à la Bourboule, je rencontre Aline Cattan qui se dit très intéressée par mon sujet de thèse et par les problématiques des liens entre recherche et action. Lors d’un petit entretien, elle m’explique en quoi ce sujet a rythmé son propre parcours : « J’ai travaillé dix ans en bureau d’études, je faisais de l’aide, du conseil entre guillemet à l’action publique, par de l’évaluation, par de l’évaluation politique, économique et environnementale ; ou de l’aide à la conception politique enfin bref. Après, j’ai travaillé dix ans au Ministère et pour moi si tu veux, faire cet aller-retour entre l’analyse et l’action, c’est un truc essentiel. Et après il y a tout le volet dont je te parlais c’est-à-dire… Le lien entre la façon dont sont digérés, au niveau de l’énoncé des politiques publiques, un certain nombre de concepts scientifiques. C’est un truc qui me paraît assez essentiel pour l’action stratégique environnementale. Parce que moi mon moteur dans tout ça, c’est quand même l’efficacité environnementale. »
Ma place entre membre, médiatrice et valorisation
Ma position d’appartenance ou d’extériorité au collectif se joue différemment dans le cas de DIVA ou d’Inbioprocess. La distance de mes pratiques à celles des biologistes d’Inbioprocess est évidente alors que DIVA regroupe des chercheurs en sciences sociales avec qui je partage quelques références théoriques et méthodologiques. Dès mon deuxième entretien avec Pierre Marmonier, le coordinateur profite de ma présence pour vérifier la présentation PowerPoint prévue pour la restitution des résultats à mi-parcours du programme. Arrivée à l’endroit où il stipule ma participation au projet, c’est-à-dire au moment où il est question des destinataires de la recherche, c’est dans les termes suivant qu’il demande mon accord : « Et ouverture sur les sciences humaines et la société, programme suivi par un laboratoire de communication scientifique, (…). Voilà, donc en fait c’est rigolo tu viens nous observer mais moi je vais t’utiliser comme une ouverture sur une autre discipline. Ça te va ? » Nous l’avons vu dans le premier chapitre, la question de la biodiversité fait intervenir des collectifs de recherche de nature interdisciplinaire particulièrement encouragés par les instances institutionnelles. A ce titre ma participation constitue une forme de valorisation pour le projet dont je suis aussi bien une destinataire des résultats qu’un membre actif produisant des résultats. En effet, lorsque par email je fais part d’une publication dans laquelle le coordinateur est nommé, ouvrant la voie à une relecture, à un accord de principe ou un retour à l’anonymat, Pierre Marmonier s’exprime sur sa volonté de ne pas exercer de « censure ». A cette occasion, il m’inclut dans le collectif du projet et veille à la capitalisation des articles sur le site Internet : « Est-ce que je peux faire apparaître cet article sur le site INBIOPROCESS comme un travail résultant de ce programme ? » De même lors du colloque de restitution, Pierre Marmonier me propose de me présenter à la petite assemblée de chercheurs comme membre du projet Inbioprocess, proposition que par réflexe je refuse sans que l’on en discute spécifiquement. Après ma présentation, du fait de l’écart d’aisance entre les autres intervenants et ma tentative d’exposer clairement des enjeux de plusieurs champs disciplinaires, Pierre reviendra gentiment sur la difficulté d’un tel exercice et me remerciera de mon effort. Par ailleurs, ce qui prime dans la plupart des blagues sur mon statut d’observatrice, c’est mon extériorité vis-à-vis de la situation, exacerbée par la métaphore de l’expérimentatrice et de ses « cobayes ». Mon propre statut est pluriel et sa dynamique dépend des situations. Au sein du projet, c’est l’altérité qui s’exprime entre l’activité des membres du projet et mes méthodes ou mon travail. Dans une communauté scientifique singulière, mon statut de chercheur est mis en évidence alors même que nos pratiques de communication marquent nos différences. Enfin, pour les institutions qui financent, mon approche complémentaire constitue une forme de valorisation des résultats. L’expérience de la diversité de ces situations fait apparaître le projet comme un dispositif de production, de collaboration et de « mise en public » des résultats. L’ambivalence de mon statut correspond à la bipolarisation fonctionnelle du projet et des dynamiques situationnelles témoignant du caractère instable ou flexible que doit pouvoir adopter un tel dispositif.