Entre le dire et le faire
L’état des lieux des pratiques autour du lire-écrire que nous proposons consistera en une description de pratiques observées, glanées au hasard des classes de cycle 2 qui ont accepté de nous ouvrir leurs portes. Cette collecte limitée dans le temps (en moyenne 3 séances par classe) et circonscrite à 3 écoles et 9 classes ne pourra être qu’illustrative et en rien représentative d’un savoir-faire au quotidien. De fait, l’activité enseignante telle que nous l’envisageons concerne un individu « lambda », historicisé, dans la relation qu’il entretient avec ses élèves et les différents acteurs éducatifs au sein d’un établissement spécifique et régi par le système-cadre qu’est l’Éducation nationale ; elle est donc, par essence, située. Afin de dégager un portrait praxéologique contextualisé de l’enseignant dans la relation qu’il noue avec ses élèves pour les conduire à « jouer le jeu de la lecture » en situation de lecture d’album, nous privilégierons une exploration fine du niveau interactionnel. Nous nous appuierons en cela sur le discours de l’enseignant dans l’interaction. En tant qu’ethnographe de l’éducation, nous nous intéressons à la réalité de la situation éducative et abordons la classe non pas en termes de ce qu’elle devrait ou pourrait être, mais de ce qu’elle est et de ce que les différents acteurs y font effectivement (Cambra Giné, 2003)
Nous analyserons ici le discours à travers sa valeur perlocutoire qui a trait à l’effet qu’il produit sur les interactants (les élèves) et aussi à travers sa valeur illocutoire, manifestation d’une intention qui s’inscrit dans un contrat didactique.Nous déterminons pour cela une catégorisation inspirée de la théorie de l’action conjointe de Sensevy qui se décline en trois pôles d’analyse que nous convoquerons au gré des besoins de l’étude et donc de manière non systématique. L’entretien semi-directif (voir guide d’entretien initial annexe 1) nous offre l’occasion d’accéder, à travers le discours, au sens que les enseignants donnent à leurs actions ainsi qu’aux représentations qui les sous-tendent. trop souvent à la justification ou à des réponses attendues, tant le « Pourquoi » renvoie à une raison et à une intention. Alors que d’après l’expérience d’HS. Becker, le « Comment » laisse aux interviewés une plus grande marge de manœuvre, leur permettant d’inclure dans leur réponse tout ce qui de leur histoire leur semble nécessaire pour que celle-ci soit compréhensible (Becker, 2002). Nous entendons déterminer ainsi des histoires typiques, des processus susceptibles d’expliquer comment les praticiens de terrain en sont arrivés à leurs pratiques actuelles dans la perspective d’en tirer des enseignements pour la formation.
Ce chapitre se veut une exploration des pratiques enseignantes autour du lire-écrire et plus spécifiquement celles liées à l’exploitation des albums de jeunesse. Des pratiques ordinaires contextualisées et mises en perspective par une appréhension des conceptions et représentations qui les sous-tendent. Nous l’avons organisé comme un va-et-vient entre le dire et le faire, entre représentations/conceptions et actions. Un rapport dialogique qui permet de rendre compte de la manière dont les pratiques que nous observons s’inscrivent dans des parcours, individuels certes, mais à partir desquels des convergences peuvent être dégagées. Ainsi, sommes-nous parvenue, de par l’examen de nos entretiens initiaux et de nos observations de terrain, à opérer des recoupements qui nous ont permis d’envisager les pratiques ordinaires du lire-écrire selon trois axes majeurs pour notre recherche : la culture littéraire, le savoir lire et l’altérité.
Pour le second axe, celui du savoir lire, les points de vue des enseignants nous éclaireront sur ce qui pour eux est essentiel pour faire accéder l’élève à ce savoir. Nous examinerons ensuite comment, en pratique, les enseignants amènent les enfants au sens de l’écrit-nous définirons en cela deux démarches types- puis comment ils s’emploient à leur faire acquérir le code alphabétique. Enfin, le dernier axe nous conduira, à l’appui des représentations des enseignants sur l’enseignement/apprentissage des langues, à parcourir la place qui leur est faite à l’école au sein de pratiques liées à l’écrit. Une autre souligne son besoin quotidien de lecture : « moi j’lis tous les jours […] j’peux pas m’endormir sans lire » (Coralie). Une autre encore se souvient des moments de complicité avec ses enfants au moment de l’histoire du soir : « […] moi, y’avait pas un seul soir où on ne lisait pas aux enfants une histoire, on la racontait. Le livre était juste un point de départ … » .