A l’origine de ce travail de recherche, un constat, presqu’une évidence : la connaissance des règles du fonctionnement d’une langue, assortie d’une terminologie spécialisée, ne permet pas nécessairement une compétence de communication optimale dans cette langue, surtout quand elle est « étrangère ». Ce constat, établi lors d’une expérience d’enseignement du français au Maroc, nous a amenée à nous interroger sur les notions de savoir et de savoir-faire lors de l’apprentissage d’une langue étrangère, en l’occurrence ici le français enseigné à des non-francophones.
Les recherches généralement menées portent sur deux axes qui semblent opposés. En didactique du FLE (français enseigné à l’étranger), est préconisé l’enseignement d’une compétence de communication, c’est-à-dire des savoir-faire, notamment savoir utiliser la langue de manière appropriée dans des situations variées. Cette compétence devrait pouvoir s’acquérir de manière implicite, grâce aux interactions. En didactique du FLM (français enseigné à des francophones le plus souvent scolarisés en France), il est question au contraire de faire acquérir des savoirs sur une langue déjà connue. On s’attache donc à aider les élèves à développer leur compétence métalinguistique, en leur donnant les moyens nécessaires pour être en mesure de réfléchir sur leur langue et d’en parler.
De là, nous nous sommes interrogée sur l’enseignement/apprentissage du FLS, lorsque les apprenants sont en immersion, lorsqu’ils peuvent par conséquent apprendre la langue par les interactions comme préconisé en FLE, et lorsque surtout, ils sont scolarisés dans le contexte scolaire français, qui pousse à un travail de description de la langue .
Un des buts essentiels de l’enseignement/apprentissage du français aux élèves allophones est de leur donner très rapidement, à leur arrivée en France, les moyens linguistiques pour leur permettre de s’intégrer dans le pays, c’est-à-dire qu’il faut leur fournir des savoir-faire plutôt que des savoirs. Les explications portant sur le fonctionnement de la langue peuvent prendre diverses formes, et doivent répondre à un besoin communicatif.
Notre travail est une enquête empirique fondée sur des données observables, obtenues personnellement sur le terrain. Nous avons donc constitué un corpus à partir de la transcription de plusieurs dizaines d’heures d’enregistrements d’observations non participantes . Les conditions de l’élaboration de ce corpus font l’objet du chapitre 3 de cette partie préliminaire. On y trouve notamment des informations sur le contexte, les acteurs concernés par notre enquête, etc.
Mais auparavant , nous revenons sur quelques précisions portant sur certains des termes que nous serons amenée à utiliser et pour lesquels il n’existe pas toujours de consensus, non seulement par rapport au sens à leur donner, mais aussi par rapport, parfois, à leur utilisation.
Ensuite, étant donné le contexte tout à fait particulier dans lequel nous avons mené ce travail et la discipline d’enseignement choisie, il nous a fallu revenir sur les discours « métalinguistiques » de quelques textes de référence en enseignement/apprentissage du français en contexte scolaire en France. Nous verrons ce qu’il en est de ces discours portant non seulement sur le français en tant que langue étrangère/seconde, mais aussi sur le français « langue maternelle », les élèves étant accueillis dans le système scolaire avec les francophones.
Une langue, plusieurs approches
Dans cette section nous allons définir ce qu’il faut entendre par Français Langue Maternelle (FLM), Français Langue Etrangère (FLE), Français Langue Seconde (FLS) et enfin Français Langue de Scolarisation (FLSCO). Nous n’entrerons pas dans les détails, mais nous renvoyons à la thèse de Chnane-Davin qui développe ces définitions, son but étant de défendre « la spécificité du FLS, laquelle réside dans le fait que la langue, ici le français, est à la fois langue de communication, fonction dévolue habituellement au FLE, et de scolarisation, fonction dévolue au FLM» (2005 : 20).
Il est question dans cette recherche des classes spécialisées dans l’accueil d’élèves non francophones nouveaux arrivants en France. Cette situation particulière donne trois dimensions à la langue française : elle est à la fois le vecteur et l’objet de l’enseignement/apprentissage du français, la langue qui permet l’accès aux autres disciplines dans le monde scolaire, et celle qui permet la communication avec le monde extérieur. L’enseignant se trouve donc devant trois types de méthodologies possibles : celle du FLM, celle du FLE et celle du FLS. Mais seuls le FLM et le FLE ont des méthodes d’enseignement reconnues, que le FLS reprend en partie : « En contexte scolaire, les démarches pédagogiques qui organisent ces apprentissages ne sont pas pleinement stabilisées. […] La fragilité des acquis, associée à des besoins langagiers élaborés, appelle des solutions pédagogiques originales qui procèdent par emprunt aux méthodologies en usage en FLE et en FLM, selon des dosages variés en fonction des publics concernés » (Cuq et alii, 2003 : 109).
Il est donc important de bien définir ce que l’on entend par ces trois lexies, ainsi que par celle de français de scolarisation, étant donné le contexte dans lequel s’est déroulée notre recherche. Fixer une définition de FLE n’est pas chose facile, et cela a pu donner lieu à de nombreuses interrogations dans certains travaux . De même, l’existence d’ouvrages sur le FLS pourrait faire penser que ces deux notions renvoient à des champs différents, selon le contexte dans lequel on se situe. Mais définir objectivement « Français Langue Maternelle » n’est pas non plus très aisé. De nombreux travaux ont donc été consacrés, au moins en partie, à la définition de ces lexies. Nous en restons pour notre part au contexte et aux locuteurs concernés par notre recherche.
Le Français Langue Maternelle (FLM)
Nous ne souhaitons pas entrer dans le débat autour du terme maternelle, bien que de nombreux auteurs aient déjà souligné le caractère inexact et insuffisant de cette dénomination. Cuq et Gruca ont réuni une liste de critères qui permettent d’élaborer le concept de langue maternelle : « Le premier est l’ordre d’appropriation. La langue maternelle est la langue de première socialisation de l’enfant. Pour éviter les connotations culturelles, on l’appelle souvent langue première. […] Une autre caractéristique de la langue maternelle est son mode d’appropriation qu’on qualifie souvent de naturel. Pour le sens commun cela veut dire que le sujet acquiert l’usage de la langue par usage et interaction avec les membres de son groupe, sans véritablement apprendre, c’est-à-dire sans réflexion et sans aide. […] Enfin il faut noter aussi qu’au concept de langue maternelle se greffe aussi celui de langue d’appartenance. […] La langue est un élément important de définition des ethnies, voire des nationalités » (2002 : 90-91).
Pour notre part, nous entendons donc langue maternelle dans le sens de langue acquise en premier par le locuteur (langue première dans la citation ci-dessus). Par conséquent le FLM serait le français en tant que première langue d’acquisition (seule ou parmi d’autres). Cette conception ne rejette donc pas l’idée que plusieurs langues « maternelles » puissent cohabiter. Le même point de vue est attesté dans une brochure éditée par le Ministère de l’Education Nationale consacrée au FLS , et par conséquent en lien avec le contexte qui nous intéresse. On peut y lire que langue maternelle : « Désigne, de façon générale, la langue apprise par le sujet dans son milieu familial, dès la petite enfance, de façon non formelle. On parlera de locuteur natif pour celui qui a appris une langue dans un tel environnement » (2000 : 43).
Au-delà de ces considérations terminologiques, ce sont les distinctions FLM vs FLE et FLM vs FLS du point de vue des démarches pédagogiques mises en place, qui nous intéressent en particulier, le français n’étant pas enseigné sous le même «angle» selon que le public soit allophone ou francophone. Quand cette distinction apparaît dans le contexte scolaire français, il est souvent question d’opposer le FLM, compris comme étant la langue enseignée aux élèves francophones donc déjà acquise (écrit et « grammaire » sont donc favorisés), et la langue (FLE ou FLS) qui est enseignée aux non francophones (la compétence de communication, et en particulier l’oral, est ou devrait être alors mise en avant). Cette dernière se rapproche par conséquent du français de scolarisation que nous définissons cidessous.
Dès lors, si parmi les élèves nouveaux arrivants en France, certains ont le français comme première langue (beaucoup de ces élèves étant plurilingues), ils n’entrent pas dans le cadre de notre recherche, les classes d’accueil ayant justement pour tâche l’enseignement/apprentissage du français véritable langue étrangère (c’est-à-dire non connue, non acquise).
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