Enjeux des réseaux numériques et des accès publics

Enjeux des réseaux numériques et des accès publics

Certes, Internet possède une grande souplesse d’utilisation : sites, pages personnelles, forums, e-mail sont autant de moyens de discuter, d’émettre un avis, et de s’organiser en ligne. Mais, en même temps, il est assez opaque à tout contrôle et à toute validation de l’information. En effet, à l’opposé d’autres TIC —télévision, téléphone ou minitel— Internet s’appuie sur une interconnexion de réseaux non-hiérarchisés. La suppression d’un serveur ou d’un hébergeur n’a aucune influence sur le devenir des données : elles empruntent simplement un autre chemin. Certains se félicitent déjà de cette situation, considérant que cela permet l’émergence d’une « cyberdémocratie » : c’est aller un peu vite en besogne.

Internet et démocratie participative : la part du mythe

Quels seraient les enjeux de cette cyberdémocratie :

-favoriser la démocratie locale ? On est alors dans une démarche plutôt institutionnelle —sites et forums de collectivités territoriales et d’associations— tentant de rapprocher les habitants les plus éloignés des lieux de pouvoir.
-ou permettre à des personnes des quatre coins du monde, de se regrouper en réseaux pour défendre leurs idées, exercer des pressions et travailler ensemble, sans contrainte de distance ? On est alors dans une déterritorialisation des échanges.
Ces deux points de vue relèvent de logiques contraires. D’autre part, de quel exercice de la démocratie s’agit-il ici ? L’organisation des grandes contestations de Seattle, Gênes ou Nice, qui ont beaucoup utilisé le réseau Internet, ne cristallisent pas de nouvelles formes de sociabilité mais révèlent des formes préexistantes. La concertation et la co-décision organisée par les collectivités territoriales pour favoriser l’information, peuvent être détournées en opérations de marketing politique, avec renvoi à des sites dont l’interactivité est douteuse et le filtrage réel. Il a été possible de percevoir lors de conflits internationaux récents ou d’élections, à quel point ce mode d’échange se prête à toutes les manipulations, en créant une confusion entre ce qui relève de l’opinion et du fait avéré, avec émergence d’une « sondocratie » et facilitation de l’action des groupes de pression et de la diffusion des « rumeurs ».
Alors, si une forme de citoyenneté active émerge, il serait donc bon de préciser laquelle : peut-on parler de participation lorsque seule une faible partie de la population est concernée ? En France, les internautes représentent à peu près 12 % de la population. Encore faut-il préciser le critère retenu pour obtenir ce résultat : s’être connecté à Internet au moins une fois au cours des 12 derniers mois. Il est douteux que cela caractérise un véritable utilisateur. Les facteurs limitants pour l’accès et la pratique, sont nombreux :
-économiques, liés aux coûts d’équipements et d’actualisation de ceux-ci, de connexion et d’hébergement de pages etc. ;-freins culturels et sociaux —rejet de la « machine », difficultés avec l’écriture, obstacles générationnels, etc.—  et une réaction d’autoprotection face à une culture fondamentalement nouvelle qui s’impose comme une « force radicale et brutale » d’une élite sur une population qui pourrait subir un apartheid technologique. ;
-enfin, difficulté du rapport au temps et au « prix du temps » —de connexion, d’adaptation, d’appropriation, de formation, mise à jour continues­— nécessaires pour s’approprier réellement cet outil informatique.
La question de la démocratisation d’Internet est donc posée parallèlement à celle de son usage. Les accès publics à Internet pourraient réduire ce fameux fossé numérique, qui n’est en fait qu’un miroir des fossés économiques, sociaux et culturels.

Accès public à Internet : diversification ou confusion

En France, comme dans les autres pays occidentaux, les premiers lieux d’accès public à Internet ont été des espaces privés. Vers 1994 sont apparus les premiers cybercafés. Puis, sous l’impulsion des pouvoirs publics, les collectivités territoriales et les grands réseaux publics —La Poste, France Telecom, la Caisse des Dépôts et Consignations, etc. — ont développé des accès. Enfin, en juillet 2000 l’Etat créait le label EPN ­—Espace Public Numérique—. Il s’agissait d’une tentative de formalisation de l’accès public à travers un label identifiant les sites qui offrent une gratuité au moins partielle et des « médiateurs multimédia » affectés à l’accueil et fournissant aide et initiation aux usagers. L’intitiative répondait, de plus, à un enjeu implicite : mettre en réseau les différents acteurs locaux susceptibles de créer des critères d’évaluation et d’observation des usages. Deux ans plus tard, l’idée s’est singulièrement obscurcie. En effet :
-L’attribution du label suppose des contreparties financières, apportées soit par les collectivités locales et territoriales, soit par les institutions publics —Caisse des Dépôts, ministères— ou semi-privées —France Telecom, La Poste—. Certains EPN ont été créés après-coup, des structures pré-existantes ont obtenu le label, mais plusieurs véritables accès publics à Internet ne bénéficient pas du label, faute de l’avoir demandé ou de répondre en tous points aux conditions.
-Les initiatives sont très diverses —Maisons de l’Internet, bornes et téléguichets, cyberjeunes dépendant du Ministère de la Jeunesse et des Sports, ECM du Ministère de la Culture, Cyberbases de la Caisse des Dépôts et Consignations, accès publics implantés dans les sites prioritaires de la politique de la ville, postes dans les écoles pour initier les plus jeunes, dans les bibliothèques, dans les mairies, les maisons de services publics, espaces multimédias— alors qu’un objectif des EPN était de constituer un réseau national, unifiant les structures adhérentes autour d’une charte.
-Enfin, hors l’attribution formelle du label, le terme EPN est devenu un véritable terme générique pour les accès publics à Internet, bien que dans certaines régions les accès publics se fédèrent autour d’autres termes : Points d’Accès Publics à Internet (PAPI) en Bretagne, Cyber-Centres dans le Nord-Pas-de-Calais, Points Publics Multimédias en Limousin, Espaces Internet Citoyens en région PACA, etc.

Questionner les offres et les usages

On a longtemps pensé que les accès publics à Internet auraient une durée de vie limité : le temps de familiariser des néophytes en attendant l’équipement et la connexion de tous les foyers. En fait, il n’en est rien : le nombre d’accès publics ne cesse d’augmenter et de se diversifier alors que l’équipement personnel a fortement progressé. La demande tant individuelle qu’institutionnelle, mesurée à travers la fréquentation, est très forte. Pour comprendre ce phénomène, il convient d’aller au-delà de considérations statistiques, car les accès publics à Internet sont des espaces publics, c’est d’ailleurs leur spécificité. La plupart du temps, ils sont des lieux de médiation et d’aide : initiation à Internet, recherche d’emploi, etc. Ils ont donc une dimension sociale indéniable. Plus exactement, ils sont la rencontre d’un lieu public avec des espaces éloignés, virtuels ou réels : interfaces entre « ici » et « ailleurs ». Toutes ces fonctions ne peuvent être remplies par une connexion personnelle établie de chez soi ou depuis le lieu de travail.
Dès lors, quelles articulations existe-t-il entre les espaces « virtuels » —peut-on les qualifier de territoires ?— dans lesquels évoluent les internautes, et les territoires « tangibles » —institutionnels, appropriés ou vécus— au sein desquels ils se situent par ailleurs. Dans ce dessein, il est crucial d’examiner :
-les stratégies par lesquelles les usagers s’approprient ces espaces et en détournent parfois les usages attendus ;
-comment celles-ci interfèrent —ou non— avec les inscriptions territoriales et les phénomènes de ségrégations socio-spatiales au voisinage des accès publics.
Une analyse pertinente de ces phénomènes nécessite un terrain avec suffisamment d’accès publics et une fréquentation significativement élevée. C’est pourquoi le choix a été fait de prendre appui sur un espace urbain majeur : Paris où la complexité des configurations territoriales —formelles et informelles— est grande.
Lévy P., Cyberdémocratie, Odile Jacob, 2002.
Peur transversale, qui touche plus ou moins toutes les catégories : populations économiquement défavorisées et socialement exclus pour lesquelles l’outil informatique appartient à l' »autre monde », dont elles ne font pas partie, et qui les renvoie à leurs propres échecs ; personnes âgées, pour lesquelles, il matérialise la disparition de leurs repères ; personnes de tous milieux, professionnellement actives, pour qui l’ordinateur évoque le « travail » et est vécu comme un instrument de contrôle. Voir, Fischer H. Le choc du numérique, VLB- Montreal 2001.
C’est en 1997, avec le PAGSI (programme d’action gouvernemental pour la société de l’information) avec mise en place du CISI (comité intermistériel pour la société de l’information), que le gouvernement français décide de mettre en place une politique dite de l' »Internet pour tous ». Il s’agit de mettre en place des dispositifs permettant d’éveiller la curiosité des personnes réticentes, d’assurer leur formation, de favoriser un accès plus homogène à Internet, et de permettre à des personnes ne pouvant disposer d’accès personnels (ou éloignées de chez elles) d’accomplir démarches administratives, recherches diverses, et utiliser le courrier électronique.

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