Conceptualisation et mesure de la qualité des services publics (QSP) dans une collectivité territoriale
Piloter la performance publique à partir d’une conceptualisation spécifique de la QS perçue
Le processus budgétaire est aujourd’hui le principal levier de pilot age de la performance publique. Au sein des pays de l’OCDE, la budgétisation tend à passer d’un système axé sur les moyens à un système établissant un lien entre les crédits octroyés et des résultats me surables (Mongbe, 2007) au sein desquels la QS tient une place centrale. Après avoir présenté les enjeux de la mesure de la QSP (1.1), nous montrons que l’évolution des principes de service public conduit autant à reconnaître le principe de qualité des services publics qu’à en prop oser une définition distincte de celle prévalant dans le privé (1.2). Les modèles de mesure de la QS, tel le modèle SERVQUAL, doivent ains i être aménagés afin de saisir les dimensions spécifiques de la QSP.
Enjeux de la mesure de la qualité dans les services publics
La qualité de service est aujourd’hui intégrée dans le pilotage de la performance publique (a). La conceptualisation et l’opérationn alisation de la qualité de service diffèrent selon que l’on envisag e la qualité produite ou la qualité perçue (b) et que l’on s’appuie sur un modèle générique ou spécifique de la qualité de service (c).
L’incorporation de la qualité de service dans le pilotage de la performance publique
La mesure de la qualité de service s’ancre tous les jours davantage dans le champ du contrôle de gestion et du pilotage de la performance car « la fonction contrôle de gestion […] est censée construire des systèmes de gestion en s’appuyant sur la stratégie de l’entreprise et les facteurs clés de succès du métier. Si la qualité est un facteur clé de succès pour une entreprise de service, elle devrait être prise en compte par le dispositif de contrôle de gestion » (Malleret, 1999 : 75). Ce positionnement semb le encore plus légitime dans le champ public où se cumulent deux fonct ions de production interne et externe (Gibert, 1988). « La satisfaction [des usagers fait donc] partie intégrante du contrôle de gestion » (Gibert, 2000) et l’opposition entre contrôle interne et mesure de la qualité perçue s’estompe puisque la performance se joue essentiellement au moment de la relation de co-production de service avec l’usager (Trosa, 1999). Bouckaert et Halligan (2008), considèrent que l’articulation des référentiels qualité – tels que le Total Quality Management, l’International Standard Org anisation, le Balanced ScoreCard ou le Common Assessment Framework – aux dispositifs budgétaires constitue non seulement un levier d’incorpor ation de la logique de performance au sein des organisations publiques mais sert également de traceur analytique pour identifier l’émergence d’un système de pilotage de la performance publique complet et cohérent. 9 En France, la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF) adoptée en 2001 est emblématique de l’incorporation de la qualité dans le pilotage de la performance. En effet, cette nouvelle philosophie de gestion par les résultats repose sur la sélection d’indicateurs de performance théoriquement censés servir de support aux décisions d’allocation de ressources. En répartissant ces indicateurs en trois catégories, la LOLF place symboliquement sur un même plan la qualité de service, l’efficience de la gestion, et l’efficacité socio-économique. Cette institutionnalisation de la mesure de la QS se matérialise en pratique par un recours accru aux labels ISO (Bouss ard et Loriol, 2008) et aux mesures de la satisfaction des usagers (Brun etière, 2006), tant dans des domaines régaliens que quasi-marchands.
La distinction entre la qualité de service produite et la qualité de service perçue
Les principaux référentiels qualité utilisés dans le secteur public dérivent d’une pratique industrielle visant à un renforcement du contrôle interne, la fixation et l’engagement sur des standards de qualité. L’autre type de référentiel dérive d’une logique de service et consiste à fonder l’évaluation de la qualité de service à partir de la mesure des perceptions des clients/usagers pour adapter ensuite les opérations internes en fonctions de ces perceptions. Il convient bien sûr de ne pas opposer ces deux types de gestion de la qualité, puisque tous reposent sur l’ambition de mettre l’usager client au centre de la gestion de l’organisation, et que l’on repère dans les modèles issus du monde industriel une incitation à mesurer les perc eptions des bénéficiaires (comme c’est le cas pour les certifications qualiville et qualiCG, le CAF, l’ISO et L’EFQM). Cependant, le modèle industriel de gestion de la qualité met davantage l’accent sur l’auto-éval uation et le pilotage interne tandis que le deuxième modèle s’intéresse prioritairement au pilotage des attentes et perceptions des bénéficiaires. Le modèle CAF, l’un des outils les plus répandus aujourd’hui dans les admin istrations européennes, accorde plus d’importance aux critères de qualité servie que de qualité perçue. En effet, ce modèle consiste en une auto-évaluation et comporte neuf critères à mettre sous contrôle. Cinq sont des facteurs internes à l’organisation qui affectent les quatre autres critères nommés « résultats ». Si l’on regarde de plus près les quatre critères résultats, il apparaît qu’un seul d’entre eux porte sur la mesure des perceptions des « citoyens/ clients », les autres étant soit à nouveau internes (les perceptions du personnel) soit plus diffus (résultats auprès de la société et performances clés). Cette approche accorde une place mineure à la qualité perçue par les usagers. La propension des organisations publiques à partir de leurs préoccupations internes même quand elles souhaitent mettre l’usager au cœur de l’organisation devient manifeste avec le recours aux chartes de services. Ces outils très fortement utilisés depuis l’initiative anglaise des Citizen’s Charter consistent à affirmer une série d’engagements en interne comme en externe. Si ces outils permettent une forte mobilisation en interne autour de la qualité de service, ils ne garantissent aucunement que les usagers du service perçoivent réellement la qualité promise, ni même qu’ils aient conscience de l’existence de la charte. Le Comité d’Enquête sur les Coûts et le Rendement des Services Publics (CECRSP, 2001) souligne que si les initiatives de mesure de la QSP perçue sont nombreuses, elles sont très éparses et variées, entravant de ce fait la capitalisation méthodologique sur les dispositifs développés. Autrement dit, il y a une floraison empirique des études de satisfaction dans le secteur public sans que ce processus ne suscite d’échanges ou d’efforts de conceptualisation. Deux raisons expliquent le peu de souci traditionnellement accordé à la mesure de la qualité perçue dans les services publics : d’une part, elle fut assimilée au marketing de l’entreprise et donc sujette à l’image dégradée des responsables publics à l’égard de celui-ci (Lovel ock et Weinberg, 1984) ; d’autre part, la mesure de la qualité perçue re pose sur une analyse des perceptions individuelles longtemps considérée comme inconciliable avec la mission d’intérêt général des services publics (Bon, 1996). Leur conciliation constitue désormais un enjeu pour le gestionnaire public agissant dans une société plus individualiste et consumériste.