Ma thèse de doctorat s’inscrit dans la perspective d’une recherche sur une démarche préconisée dans l’enseignement scientifique : “ la démarche d’investigation ’’. Elle vise tout particulièrement à apporter un éclairage sur la manière dont les enseignants tunisiens de sciences physiques (SP) la mettent en œuvre au lycée. De ce fait, nous essayons d’étudier la faisabilité d’une démarche d’investigation à travers l’analyse de la manière dont les enseignants organisent leurs activités et les types de connaissances professionnelles mobilisées afin d’atteindre les objectifs d’une séance de classe. Notre recherche, par la construction des schèmes tels qu’ils sont décrits par Vergnaud, contribue à former un corpus de connaissances qui pourra éventuellement alimenter le travail des didacticiens, ainsi que celui des formateurs et des enseignants eux-mêmes.
Un aperçu général sur les années quatre-vingt-dix permet de dire que les pays occidentaux commençaient à s’ouvrir économiquement sur le monde entier. Les scientifiques parlent déjà d’un passage des sociétés modernes à des sociétés postindustrielles qui développent la notion de capital humain. C’est alors que les décideurs politiques et sociaux exigeaient la nécessité d’un renouvellement de l’enseignement des sciences pour qu’il soit de qualité efficiente. En effet, Coquidé et al. (2009) et Boilevin (2013b) évoquent l’existence de rapports parlants de l’exigence de repenser l’enseignement scientifique pour le fonder sur l’investigation. En fait, l’orientation vers ce type d’enseignement vise deux objectifs. Le premier objectif consiste à rendre plus attractif l’image de la science et à encourager les jeunes à choisir les études scientifiques (High Level Group, 2004 ; Rocard et al., 2007) alors que le deuxième consiste à changer les approches pédagogiques jugées trop cloisonnées (Rolland, 2006) et trop déductives (Bach, 2004 ; Rocard et al., 2007).
De son côté, Venturini (2012) met l’accent sur l’importance de la pensée critique, l’innovation, l’autonomie, la capacité à résoudre des problèmes pour s’y insérer positivement dans une société post-industrielle .
Cette perspective sociétale va avoir une traduction importante au niveau de l’enseignement des sciences. En effet, depuis longtemps le but de l’enseignement des sciences consistait seulement en l’apprentissage de connaissances scientifiques. On cherche désormais à former les élèves de telle sorte qu’ils deviennent des citoyens capables d’avoir un avis éclairé sur les choix scientifiques de la société. Il apparaît donc nécessaire de tenir compte d’une nouvelle finalité dans l’enseignement scientifique : l’étude de la nature de la science et de ses pratiques.
A l’échelle internationale, l’enseignement fondé sur l’investigation prend place dans les contextes nationaux et institutionnels.
En effet, cette méthode d’enseignement scientifique a été intégrée depuis plus d’un siècle dans les curriculums des sciences dans de nombreux pays, notamment les pays anglophones comme l’Angleterre et les Etats Unis (Hasni & Bousadra, 2016). Or, dans ces pays anglo-saxons, les mises en texte et en œuvre des démarches d’investigation ont été déclinées de façons différentes. On parle donc de diverses versions : Inquiry-Based Science Education (IBSE) ; Inquiry-Based Instruction (IBI) ; Inquiry-Based Teaching (IBT).
Aux États-Unis, ce type d’enseignement est décrit sous le terme de « inquiry » (Schwab & Brandwein, 1962) et de façon explicite dans les curricula américains (AAAS, 1989 ; NRC, 1996) et dans d’autres pays (English National Science Curriculum ; Pan Canadian Science Project). Ces DI (Inquiry) sont décrites comme un objet d’enseignement que les élèves doivent progressivement s’approprier (Minstrell & Kraus, 2005).
Dans ce contexte international de renouvellement, le comité national de recherche des États Unis recommandait, depuis 1996, de fonder l’enseignement des sciences sur l’élaboration de situations de classe dans lesquelles les élèves seront amenés à conduire leurs propres investigations (Coquidé et al., 2009). De même, en Europe, le rapport Rocard exige un enseignement basé sur la conduite par les élèves de leurs propres investigations.
En Europe, et plus précisément en France, le rapport Rocard (2007) exige un renouvellement de l’enseignement des sciences appuyé sur la conduite des élèves dans leurs propres investigations. En fait, l’enseignement basé sur l’investigation se diffuse progressivement dans les curricula européens (EURYDICE, 2006). L’objectif fondamental de l’institution est de faire évoluer les pratiques d’enseignement des sciences et des technologies en rendant l’apprentissage plus actif et plus motivant et en proposant aux élèves des tâches plus ouvertes, leur laissant plus d’autonomie (Boilevin, 2013a).
Alors, la France est également intéressée par une démarche dénommée Démarche d’Investigation (DI). Selon Calmettes & Matheron (2015), ces déclinaisons variées peuvent certainement être mises en relation, au moins partiellement, avec des références historiques et culturelles distinctes. Dans le cadre institutionnel français, la DI est introduite dans les programmes de l’école primaire en 2002 (MEN, 2002) et du collège en 2005 sous la consigne de l’investigation comme « une démarche qui privilégie la construction du savoir par l’élève » (MEN, 2005). Par la suite, la DI a été adoptée au lycée professionnel en 2009 et dans les classes de seconde générale en 2010 (Grangeat, 2014). Depuis 2015 (MEN, 2015b), le terme de « démarches scientifiques » apparaît de manière structurante dans les textes de l’école et du collège sans qu’une distinction ne soit clairement faite avec la démarche d’investigation.
Cette DI est recommandée dans les instructions officielles sous forme d’une perspective socioconstructiviste, laquelle tient compte des échanges (débat) entre les élèves afin de construire leur propre savoir, tel qu’il est préconisé dans les instructions officielles. Cela favorise les échanges entre les élèves afin de construire leur propre savoir (Rocard et al., 2007). Notons que cette démarche est considérée avant tout comme un moyen d’enseignement (EURYDICE, 2011).
Dans le même esprit, la Tunisie a quand même fourni des efforts, si limités qu’ils soient, afin d’améliorer la qualité de l’enseignement. Une analyse des programmes officiels et des curriculums tunisiens nous permet de remarquer qu’ils mettent l’accent sur l’action pédagogique qui doit assurer la motivation des élèves. Le programme tunisien en vigueur de 2009 n’impose pas une démarche d’enseignement précise à suivre, mais il laisse l’autonomie à l’enseignant de choisir une démarche adéquate pour sa pratique en classe, l’essentiel est qu’elle soit active d’une façon générale sans signaler explicitement la DI comme approche d’enseignement.
Signalons que plusieurs recherches en didactique des sciences ont montré que les difficultés d’apprentissage sont responsables en partie des échecs scolaires constatés. Des travaux ont montré que ces difficultés ne sont pas liées seulement au savoir lui-même et aux représentations que se font les élèves et les enseignants sur les sciences mais aussi aux pratiques pédagogiques des enseignants (Robert & Rogalski, 2002 ; Mathé et al., 2008). Dès 1996, aux États Unis, le comité national de recherche préconisait de fonder l’enseignement des sciences sur l’élaboration de situations de classe dans lesquelles les élèves seront amenés à conduire leurs propres investigations (Coquidé et al., 2009).
PARTIE 1 INTRODUCTION GENERALE |