Enjeu sociétal et activité aéroportuaire, du risque à l’opportunité

Aéroport et Société

Les aéroports sont désormais gérés dans une logique d’entreprise et se retrouvent dans un secteur d’activité connaissant une croissance constante depuis des décennies. Toutefois, l’aéroport moderne peut-il se développer dans une autarcie totale et indépendante de son territoire d’implantation ?
Un enjeu étant généralement défini comme « ce que l’on risque dans une compétition, une activité économique ou une situation vis-à-vis d’un aléa [ou encore] comme ce que l’on peut gagner ou perdre en faisant quelque chose (ou en ne le faisant pas) », le concept « d’enjeu sociétal » se décline nécessairement sous deux aspects pour une entreprise :
La maîtrise des impacts de son activité sur la société, ce que l’on pourrait désigner comme une gestion des risques sociétaux ;
Le développement des interactions avec et au profit de la société, c’est-à-dire le développement de son engagement sociétal.
Quelle est donc l’incidence sociétale de l’activité aéroportuaire ? La maîtrise des impacts des aéroports sur leur environnement et le développement de leurs interactions avec es populations riveraines ne serait-elle pas devenue un enjeu fondamental pour les gestionnaires aéroportuaires dans le contexte actuel ? Comment cela est-il intégré dans la conduite des projets aéroportuaires ? Voici, à notre sens, quelques-unes de interrogations soulevées par la problématique de l’enjeu sociétal de l’activité aéroportuaire. Ces interrogations apparaissent opportunes et intéressantes à divers égards d’ailleurs.
Tout d’abord, leur analyse permettra de mener une réflexion sur la légitimité sociale de la gestion et des projets aéroportuaires. En effet, dans un contexte où les préoccupations environnementales et citoyennes se sont développées au sein des populations, et sont plus que jamais d’actualité, cette légitimité sociale n’est plus présumée pour les différentes activités humaines (scientifiques, économiques, technologiques etc.). Ce constat se vérifie aussi bien pour les activités de service public ou liées à l’Etat, que pour les activités privées. Il apparaît dès lors opportun de situer l’activité aéroportuaire dans ce cadre.
Ensuite, ces dernières années, un phénomène d’urbanisation croissante autour des plateformes aéroportuaires a multiplié la proportion de riverains subissant les externalités de l’activité aérienne. La croissance continue du transport aérien ainsi que les évolutions sociétales, précédemment relevées, ont nourri l’intérêt suscité par l’impact aéroportuaire sur l’environnement et sur les populations riveraines. Il serait intéressant de nous pencher sur les éventuelles conséquences pour les aéroports de cet intérêt «exacerbé» des populations. Qui plus est, la notion de territoire est assez importante pour les aéroports. L’activité aéroportuaire bénéficie en effet d’un ancrage territorial assez fort, de par son histoire et ses fonctions d’origine. Il serait intéressant de relever à travers l’analyse de l’enjeu sociétal du développement aéroportuaire, les évolutions des interactions de l’aéroport avec ce territoire.
Aussi, une telle étude permettra de voir plus clair concernant l’application et l’adaptation des concepts de développement durable et, surtout, de responsabilité sociétale des entreprises au secteur aéroportuaire.

Typologie des impacts socio-économiques de l’activité aéroportuaire

Une étude d’impacts socio-économiques vise à évaluer, de la manière la plus complète possible, les flux financiers, le dynamisme économique, et le nombre d’emplois générés par une activité. Dans ce cadre, le Conseil International des Aéroports (ACI) a développé, à la fin des années 1990, une méthodologie de calcul de l’impact économique des aéroports fondée sur une corrélation entre le trafic passager accueilli dans les installations aéroportuaires et les bénéfices générés par celles-ci dans les différents domaines précités.
Cette méthode d’évaluation quantitative conduit à l’identification de trois types d’impacts socio-économiques de l’aéroport sur son territoire. En effet, l’aéroport a une influence directe, indirecte, et induite sur l’économie de ce dernier.
L’impact direct : Il peut se définir comme l’ensemble des flux financiers (dépenses et revenus) et des emplois directement liés à l’exploitation de l’activité aéroportuaire. Il s’agit donc des impacts générés directement ou à proximité immédiate de la plateforme (environ dans un rayon de 20 minutes par la route autour de la plateforme). Cette dernière accueille en effet une pléthore d’entités susceptibles de procéder, dans la conduite de leurs activités, à des transactions financières ou d’offrir des postes à pourvoir. Parmi celles-ci, nous pouvons citer : les sociétés aéroportuaires, les compagnies aériennes, les agences d’assistance et/ou de fret, les autorités de contrôle, les services de courrier, les services d’entretien d’aéronefs, les sociétés d’avitaillement et de catering, les entreprises d’entreposage et de stockage, etc. L’impact indirect : Ici sont pris en compte l’ensemble des dépenses effectuées par les passagers aériens visiteurs dans la région d’accueil auprès de prestataires de service. L’impact indirect englobe « les emplois, les chiffres d’affaires et les valeurs ajoutées générés par la chaîne de fournisseurs de biens et de services auprès de l’activité directe au sein de la zone étudiée ». Pour l’aéroport, l’impact indirect est donc fortement lié aux dépenses effectuées par les touristes et intègre ces répercussions socio-économiques pour des services tels que l’hôtellerie, la restauration, les commerces, les attractions touristiques, les agences de voyages etc. à l’échelle régionale.
Aussi, on peut relever autour des aéroports, l’implantation d’entreprises du secteur tertiaire, ce qui implique le développement par l’aéroport d’un patrimoine foncier à mettre à la disposition de celles-ci. Ce patrimoine, différent des installations typiques du « cœur du métier aéroportuaire » (aérodrome et aérogares), est constitué d’immeubles, de bureaux, mis à la disposition de ces entreprises, avec l’objectif pour le gestionnaire aéroportuaire de développer une nouvelle source de recettes extra-aéronautiques. L’impact induit : Il s’agit dans ce cadre d’évaluer les emplois, les chiffres d’affaires et les valeurs ajoutées générés par les dépenses des bénéficiaires des impacts directs et indirects de l’activité aéroportuaire. En effet ces bénéficiaires assureront à leur tour des retombées économiques pour d’autres entreprises. En d’autres termes, il permet de mesurer l’effet d’entraînement de l’activité aéroportuaire sur l’économie locale. Il est obtenu par l’application d’un coefficient multiplicateur qui correspond aux mouvements successifs de redistribution des richesses et emplois produits. L’impact total d’un aéroport serait ainsi constitué de la somme de ces trois impacts décrits. Il y a bien eu le développement du concept d’un quatrième type d’impact dit «catalyseur» qui prendrait en compte les activités existant grâce à la présence de l’aéroport. Mais l’absence de précision de ce concept pourrait conduire à considérer l’ensemble des activités économiques d’une région comme relevant de l’impact socio-économique d’un aéroport, ce qui serait abusif.

Analyse de l’importance économique des aéroports sur leurs territoires 

Force est dès lors de constater que les aéroports jouent un rôle socio-économique prépondérant au sein de leurs territoires d’implantation, et ce à plusieurs égards. Le transport aérien est un secteur producteur de richesses aussi bien aux niveaux international et national qu’au niveau local. L’activité aéroportuaire représente dans ce cadre un apport estimé entre «1,4 et 2,5% pour les PIB régionaux (exclusion faite du tourisme) et des retombées fiscales de l’ordre de 2 à 5% de l’impact économique direct» des aéroports. Ensuite, l’activité aéroportuaire génère aussi de l’employabilité du fait de la diversité des secteurs qu’elle impacte.
L’aéroport est également un grand vecteur de connectivité pour les territoires et leurs économies. Celle-ci encourage fortement le dynamisme industriel des agglomérations desservies. D’ailleurs, de nombreuses études portant sur l’aviation d’affaires montrent que la présence ou non d’un aéroport est devenu un critère important d’appréciation de l’opportunité de développer une activité ou d’investir dans une localité pour les entreprises. Aussi, ce dynamisme industriel peut se vérifier à proximité immédiate de certaines plateformes aéroportuaires avec le développement de «clusters» attractifs, suite à l’implantation d’entreprises dans ces zones.
Toutefois cet effet structurant dans l’économie des collectivités territoriales n’est pas automatique et dépend de nombreux facteurs. Parmi ceux-ci, on peut certainement noter l’importance et le type de trafic accueilli, et la richesse du territoire concerné, la croissance du transport aérien étant fortement corrélé avec le PIB. Mais cela dépend surtout de l’inscription de l’aéroport et de sa stratégie dans les grands axes de développement de son territoire.
Et c’est en ce sens qu’une meilleure connaissance des impacts territoriaux en matière sociale et économique permet une meilleure appréhension d’une partie de l’enjeu sociétal du développement aéroportuaire. En effet, pour augmenter son impact socio-économique, l’aéroport a besoin de développer des relations et un dialogue transparents avec les collectivités territoriales et les populations locales, problématique que nous aborderons dans le deuxième titre du présent mémoire. Ce constat se vérifie également pour les impacts territoriaux des aéroports dans le domaine environnemental. En effet, s’il est certain qu’un aéroport génère des impacts économiques, il n’est plus réfuté qu’il génère également des impacts écologiques.

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Un contexte social peu propice à l’émergence d’un enjeu sociétal de l’activité aéroportuaire 

La société post Seconde Guerre Mondiale est marquée par une profonde préoccupation de reconstruction. En effet, au sortir du traumatisme causé par les deux grandes guerres du 20ème siècle, les populations sont animées d’un profond besoin de stabilité et de croissance économique. Les politiques et stratégies nationales des années 1950 sont alors tournées vers une facilitation de l’investissement et le développement des activités industrielles, scientifiques visant à garantir cette croissance économique. Le développement des multinationales industrielles est encouragé et ne souffre pas de contestation majeure émanant des populations ou relatives à l’environnement. « A l’époque [la] préoccupation, c’est la reconstruction, depuis la fin de la guerre. Les usines tournent à plein régime, et au diable les monstres de fumée qui s’en échappent » . La période dite des « Trente Glorieuses » (1945-1975) consacre ainsi un modèle social où la recherche de la productivité industrielle et technologique représentait la base de la conception du développement.
Il s’agissait donc d’une période où de grands investissements et de grands projets de modernisation, publics comme privés, ont été réalisés, notamment en matière d’infrastructures de services publics ([auto]routes, aéroports, gares etc.) et industrielles. Ces projets ont progressivement été validés à travers des enquêtes d’utilité publique, avec comme objectif de conforter leur légitimité sociale. Mais cette dernière était largement fondée sur l’apport du projet ou de l’activité considérée à la croissance et au progrès social globalement visés, et de manière résiduelle sur l’absence de contraintes d’urbanisation trop importantes. Cela au détriment d’une recherche poussée des éventuels contrecoups sociétaux et à long terme de ces projets ou activités.

Risques sociétaux et projets aéroportuaires 

L’irruption des projets aéroportuaires et de leurs impacts dans les questions de société est contemporaine à la prise de conscience des populations des enjeux sociétaux autour du développement. Les aéroports étant progressivement présentés comme des éléments structurants des territoires et de l’économie pour en justifier l’implantation, l’agrandissement ou le transfert, certaines interrogations autour de leurs impacts réels sur la qualité de vie des riverains et leur environnement ont commencé à émerger. Dans ce cadre, «l’aéroport est même devenu un symbole des débats en cours sur les enjeux environnementaux [et sociétaux] de la mondialisation, incarné par le détournement du sigle programmatique ZAD, «zone d’aménagement différé» en «zone à défendre», que l’on voit se développer jusqu’au Brésil ou en Corée du Sud».
Elles ont sous-tendu des contestations, parfois violentes aux projets aéroportuaires, aussi bien en France que dans le reste du monde.
Les exemples français : l’Aéroport de Roissy Charles de Gaulle et le projet de Notre-Dame des Landes. Concernant l’Aéroport de Roissy Charles de Gaulle, il a été officiellement mis en service en 1974 et le projet de sa construction, annoncé dès 1962, visait à prévenir une saturation des plateformes du Bourget et d’Orly. Mais très vite celui-ci a fait l’objet d’une importante opposition des populations riveraines du site choisi pour abriter l’aéroport. « La municipalité de Roissy-en-France et les autres villages directement concernés tentent (…) vainement de lutter contre la création de cet aéroport qui apportait déjà dès le début des travaux son lot de nuisances avec l’arrivée des engins de chantier et les importantes dégradations engendrées aux rues du village de Roissy (camions, boue, canalisations détruites…). Les agriculteurs, quant à eux, protestèrent au début mais, compren[nent] rapidement que l’édification de l’aéroport était inéluctable ».
La polémique autour de la création de l’Aéroport de Roissy se prolongera d’ailleurs bien au-delà des années 1970 et conditionnera par la suite le développement et l’exploitation de cet aéroport. Concernant le projet de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, il reste sans nul doute à ce jour le cas le plus emblématique de la confrontation entre les préoccupations sociétales et les projets et décisions aéroportuaires en France.
Porté par la Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale, le projet visait à doter la région ouest de la France d’un grand aéroport international en vue de répondre aux prévisions de croissance du trafic et de développement industriel de l’estuaire de la Loire. L’objectif poursuivi était également d’offrir une alternative régionale à un transport aérien assez centralisé sur Paris. Le site de Notre-Dame-des Landes est choisi en 1968, au détriment d’autres sites envisagés, pour abriter ce qui devait devenir à l’époque l’Aéroport Ouest Atlantique . Une zone de 1225 hectare fut désignée en 1974 par les autorités étatiques comme « zone d’aménagement différé » à vocation aéroportuaire.

Table des matières

Introduction 
Titre Préliminaire : L’aéroport et la société : des impacts territoriaux divers
Chapitre I : L’impact socio-économique des aéroports
Section I : Typologie des impacts socio-économiques de l’activité aéroportuaire
I – L’impact direct
II – L’impact indirect
III – L’impact Induit
Section II : Analyse de l’importance économique des aéroports sur leurs territoires
Chapitre II : L’impact environnemental de l’activité aéroportuaire
I – Les nuisances sonores
II – La pollution de l’air
III – Les autres impacts environnementaux de l’activité aéroportuaire
Titre I : La problématique sociétale : Un enjeu moderne du développement aéroportuaire
Chapitre I : Un enjeu originellement en marge de la croissance aéroportuaire
Section I : Un enjeu historiquement méconnu pour les gestionnaires aéroportuaires
Section II : Un contexte social peu propice à l’émergence d’un enjeu sociétal de l’activité aéroportuaire
Chapitre II : Les risques sociétaux de l’activité aéroportuaire
Section I : L’apparition des risques sociétaux
I – Origines des risques sociétaux dans la société moderne
II – Conséquences pour les entreprises
Section II : L’apparition des risques sociétaux dans le monde aéroportuaire
I – Risques sociétaux et projets aéroportuaires
II – Risques sociétaux et exploitation aéroportuaire
Titre II : L’enjeu sociétal : de la gestion de risques à un élément incontournable de la démarche de développement des aéroports
Chapitre I : Les outils réglementaires de maîtrise des risques sociétaux aéroportuaires
Section I : L’évolution de la réglementation environnementale autour des aéroports : l’approche équilibrée
Section II : L’évolution réglementaire de la participation des populations à la gestion aéroportuaire
Chapitre II : L’avènement de la responsabilité sociétale des aéroports
Section I : Une redéfinition de la performance des entreprises aéroportuaires
Section II : Une redéfinition des rapports de l’aéroport et de la Société
CONCLUSION
Bibliographie
Liste des figures et des tableaux

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