Engagement et gouvernance
Selon Trostiansky et Laville (2013) « les associations ont longtemps ignoré la notion de gouvernance, principalement car elles ne la considéraient pas comme un enjeu prioritaire (selon l’idée que l’on n’entre pas dans la vie associative pour prendre le pouvoir) ». La première notion mise en commun entre les membres d’une association, avant même que cette dernière ne soit modélisée par des statuts, est bien une envie commune de faire quelque chose et partagée à travers des valeurs, à travers un projet associatif. Le projet est donc la base, le ciment de l’organisation. Il modélise le pouvoir d’agir, pouvoir de faire des personnes qui se retrouvent en lui, même s’il se veut évolutif selon l’environnement dans lequel il progresse, selon les membres qui le définissent et qui l’animent. Ainsi, Laville et Sainsaulieu (2013, page 11) complètent : « la question propre à l’association est donc celle de l’articulation entre le projet émanant des fondateurs et la nécessité d’une organisation pour le réaliser ». Mais quels sont les engagements dans la structure associative ?
Différentes notions d’engagement
L’engagement est un contrat oral ou écrit par lequel un individu promet la réalisation d’une action. Depuis la loi 1901, différentes notions concernant l’engagement émergent. Au début du vingtième siècle, les associations se donnent pour principales missions des activités de charité et/ou des activités d’entraide entre pairs ou de communauté où il y a convergence d’intérêts (par exemple des sociétés philanthropiques d’anciens élèves). De manière un peu générale, le Front populaire et la réunification syndicale de 1936 vont faire évoluer le bénévolat associatif sous un élan plus “militant”. Le mouvement ouvrier va avoir un impact : « cette fonction de résistance, devenue revendication, va effectivement s’afficher dans le milieu associatif » (Demoustier, 2002, page 101). Nous parlons alors de militantisme associatif. Les années 1970 marquent un nouveau tournant dans l’engagement associatif puisque l’association est introduite « dans la sphère publique au même titre que le parti politique et le syndicat » (Demoustier, 2002, page 101). Par conséquent, le philanthrope du début du 20ème siècle aura tendance à être reconnu par ses pairs comme un militant au milieu du siècle pour enfin avoir un statut de bénévole à partir des années quatre-vingt.
Depuis cinquante ans, au-delà du bénévolat, ce sont les termes de salariat et volontariat qui sont davantage utilisés et pratiqués dans le milieu associatif suite à son essor. En effet, il faut prendre en compte le fait qu’au « total depuis l’année 2000 les associations sont plus créatrices d’emplois que les entreprises privées » (Laville et Sainsaulieu, 2013, page 9). Cottin-Marx (2011) précise dans un de ces articles que « le nombre d’emplois salariés dans les associations relevant de la loi de 1901 est passé de 660 000 salariés en 1980, à 1,9 millions en 2009 ». Les associations ont permis à de nombreux bénévoles de se former et ont « initié la reconnaissance de professions » ou ont pris part à « une telle reconnaissance » (Laville et Sainsaulieu, 2013, page 99). Ces auteurs nous illustrent leurs propos avec l’exemple du secteur de l’animation qui se voit évoluer avec la création d’un diplôme non professionnel dans les années 1970, le BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur), pour des personnes qui au départ, étaient bénévoles. Ainsi, les compétences acquises par la formation ont permis le développement d’une employabilité et le travail salarié s’est étendu progressivement en permettant d’abord à des bénévoles, des militants, d’y avoir accès. En 1977, c’est également les débuts des contrats aidés pour faire face à l’augmentation du chômage chez les jeunes avec le Pacte National pour Emploi des Jeunes. Les Travaux d’Utilité Collective ne sont pas des emplois aidés mais des stages à temps partiel pouvant être effectués dans des associations par des jeunes sortis du système scolaire ou des chômeurs de longue durée dans l’attente de trouver un emploi. En 1990, le contrat emploi solidarité (CES) est créé pour favoriser l’insertion professionnelle des personnes sans emploi, puis il y a ensuite en 1997 les “nouveaux services – emplois jeunes”, et les contrats d’accompagnement dans l’emploi (CAE) en 2002 qui vise à répondre à des besoins collectifs non satisfaits. Cela continue avec le contrat unique d’insertion dans le non-marchand (CUI-CAE) et encore aujourd’hui avec le contrat parcours emploi compétence (PEC). Ces stages ou contrats spécifiques se veulent être des tremplins pour les personnes éloignées de l’emploi. Cependant la présence de ces contrats est significative dans le milieu associatif qui sont donc « souvent utilisés comme une aubaine permettant aux associations de prendre des salariés à moindre coût » (Cottin-Marx, 2011). En effet, passer par ces formes de contrats permet aux structures employeuses de bénéficier d’aides de l’Etat et d’exonérations de charges patronales. Mais l’impact est d’autant plus fort que finalement, « le monde associatif est devenu le terreau d’une nouvelle précarité » (Cottin-Marx, 2011).
Le service civique est également une autre forme d’engagement. Sans lien de subordination comme le salarié mais pourtant avec un contrat pour bénéficier d’une indemnisation pour son volontariat, son statut spécifique entre le bénévolat et le salariat est peu connu dans sa globalité. Il est malheureusement quelquefois utilisé comme « une forme nouvelle de sous emploi qui a surtout pour but d’occuper la jeunesse » (Cottin-Marx, 2011).
Ces multiples propositions institutionnelles impactent les associations en accentuant des fonctions gestionnaires. Si auparavant le bénévole, « ex-militant, garde généralement la vision globale et politique de l’association » (Demoustier, 2002, page 102), cette perception ne peut être imposée aux nouveaux salariés. La professionnalisation implique un changement dans l’organisation du travail : réglementation à appliquer (Code du travail, Convention collective, spécificité de chaque contrat aidé, …), outils informatiques davantage exploités…
Les relations sont elles aussi impactées puisque le bénévole se retrouve dans une nouvelle fonction : celle d’employeur ; et le travail doit être réparti (division du travail entre travail bénévole et travail salarié). Face à la complexité de la professionnalisation des acteurs, des associations se retrouvent même dans des situations paradoxales où il est demandé aux salariés de gérer la “ressource” bénévole : recrutement, formation… ainsi, « les salariés deviennent les animateurs d’un réseau de bénévoles qui appuient leur action » (Demoustier, 2002, page 110).
Pour conclure nous pouvons dire que le philanthrope, le militant puis le bénévole sont les statuts qui ont été reconnus comme acte d’engagement dans les associations du 20ème siècle. En se développant et en devenant structures employeuses, les associations ont concouru à la reconnaissance de certaines professions en leur sein. Le salariat est ainsi apparu dans les associations comme valorisation du travail bénévole. Pour favoriser l’accès à l’emploi, l’Etat a initié des dispositifs tels que les contrats aidés ou le volontariat en service civique, mais la réelle utilisation de ces contrats a engendré une précarisation de l’emploi dans le secteur associatif. Les fonctions gestionnaires se sont intensifiées avec des réglementations à appliquer, provoquant une organisation du travail qui prime sur le projet. Enfin, les différents statuts qui cohabitent dans l’association développent des relations paradoxales : des bénévoles sont employeurs, des salariés recrutent et animent les bénévoles… Avec une nouvelle organisation du travail au sein des associations, nous cherchons à savoir s’il y a une ou plusieurs formes de gouvernance associative.
La gouvernance associative, différentes formes pour la pratiquer
En se professionnalisant, les associations ont permis aux bénévoles de valoriser et de faire reconnaître leurs compétences. Cela a également entraîné une nouvelle organisation du travail et une “gestionnarisation” du secteur. En conséquence, l’association doit désormais allier et justifier son efficacité économique et sa pertinence sociale, ce qui « semble mettre en évidence un conflit entre deux logiques: la logique gestionnaire et la logique militante » (Rousseau, 2002,2003, page 87). Un “encadrement intermédiaire”, modélisé par une délégation, une direction salariée, dont l’action vise à produire du sens constitue « un enjeu essentiel dans la transformation du modèle organisationnel » (Rousseau, 2002, 2003, page 86). Au-delà du projet associatif, il faut articuler la gouvernance organisée par les bénévoles et le rôle donné ou pris par le salarié dirigeant pour administrer l’association.
Si le mot gouvernance vient du latin “gubernare” qui veut dire diriger, conduire, ou encore dans certains cas : régir ; nous choisirons comme définition de la gouvernance, une plus récente qui nous apparaît plus adaptée au milieu associatif actuel. « Mode de pilotage et de régulation, la gouvernance désigne les règles et les processus qui définissent de quelle manière les acteurs concernés participent à la concertation, la délibération et la prise de décision qui orientent les actions d’une structure », définition développée par la Fonda (2015, page 1), association qui se présente comme laboratoire d’idées du monde associatif. En effet, chaque organisation détermine son propre système de gouvernance selon les membres qui la composent. Différents modes de gouvernance apparaissent au sein de la littérature. Malo (2001, pages 87 à 89) nous en présente six :
➤ La gouvernance participative : avec de l’ajustement mutuel (c’est-à-dire une coordination basée sur la négociation et le compromis via des discussions informelles), c’est un mode qui souhaite privilégier la participation de chacun des membres sans rapport hiérarchique. Elle nécessite la création d’instances de discussions supplémentaires à l’Assemblée Générale et aux Conseils d’Administration : comités, commissions, groupes de travail ou de réflexion…
➤ La gouvernance entrepreneuriale (voire en solo) correspond davantage aux organisations de petite taille où un meneur (bénévole ou salarié) a le contrôle. Il peut y avoir des limites comme mentionné par Malo (2001, page 88) « l’association joue alors un rôle de plus en plus effacé et le conseil d’administration est coopté. »
➤ La gouvernance missionnaire s’organise dans le prisme de l’idéologie (normes, valeurs de la structure) et de l’utopie du projet comme « étant une alternative au monde actuel […] de sorte que le leader charismatique convient bien » (Malo, 2001, page 89) à ce type de gouvernance.
➤ La gouvernance intégrée prend son essence même dans l’animation des sommets stratégiques locaux que la Fédération, par exemple, intégrera comme une fusion dans son sommet stratégique global. Selon Mintzberg (1982) le sommet stratégique est l’ensemble des acteurs qui ont pour rôle d’établir la définition de la mission de l’organisation et des modalités stratégiques de mise en œuvre de cette mission de façon efficace.
➤ La gouvernance par contrat de performance donne un rôle prépondérant au « sommet global financier ou pourvoyeur de fonds comme l’Etat » (Malo, 2001, page 88) qui souhaite avoir un retour quantifié, mesurable des effets de son investissement.
➤ La gouvernance politique ou démocratique : de manière inclusive, chaque membre « a le droit de participer ou d’être représenté » (Malo, 2001, page 89). Il n’est pas cherché la finalité de participation de tous (comme dans la gouvernance participative) mais plutôt une participation représentative des acteurs.
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