Enfants rendus : l’autre face de l’adoption

Notre thèse est partie d’une question complexe : qu’est-ce qui amène certains adoptants à restituer des enfants accordés par adoption au cours de la période de mise en relation ? – un sujet crucial pour penser l’inscription de l’enfant dans le champ de la filiation. En ce sens, la clinique de l’adoption nous permet de réfléchir à la compréhension du lien de filiation, dans la mesure où cela permet de penser à un cadre familial susceptible qui dépasse la « dimension biologique de la parentalité » (Queiroz & Passos, 2012, p.21). Comme le souligne Queiroz (2018), l’adoption interroge « l’essence du lien familial sans les liens de sang qui le rassurent » (p. 150), autrement dit les éléments symboliques impliqués dans la relation adoptive entre parents et enfants, et ce qui se révèle d’archaïque dans le désir de d’avoir un enfant.

Ainsi, face au désir d’avoir des enfants, les futurs parents sont confrontés à des sentiments qui font appel au fantasme et à la réalité, puisqu’il n’est pas possible de parler d’enfant sans considérer la place qu’il occupe dans le fantasme des parents, dans leur dimension narcissique. Freud (2014a/1086) résume, de manière exemplaire, l’importance de la dimension de la filiation : si, d’une part, le narcissisme des parents trouve refuge chez l’enfant, de l’autre, il est soutenu et constitué psychiquement dans une dimension narcissique des parents – en tant que dépositaire du narcissisme parental. L’avenir de l’enfant est donc placé « dans un réseau de désirs où doit se rencontrer sa place en tant que sujet singulier » (Kaës 2010, p. 168-169).

La dimension narcissique, en matière de filiation par adoption, devient encore plus importante lorsque l’on considère les soubresauts causés par l’infertilité du couple, par l’enfant non généré, qui ne sera pas à son image. Du côté de l’enfant, il préexiste une histoire de souffrance, d’abandon, de négligence et de mauvais traitements de la part de ceux qui devraient le protéger. Il faut aussi un double mouvement : se détacher des anciens liens – avec tous les risques et implications – et attendre des parents qu’ils prennent la place de ceux qui sont encore présents. Quant aux nouveaux parents, la tâche de filiation d’un enfant existant déjà pour d’autres parents leur semble difficile. De telles questions constituent le paradoxe de la filiation par adoption.

Kaës (2010) en insistant sur les aspects de la dimension narcissique de la filiation, reconnaît l’importance de ce naître dans la famille et de la famille, afin d’assurer à l’enfant sa propre filiation. Rappelons que, dans la condition de construction psychique, « le roman familial est une fiction basée sur des représentations collectives » (p.176). La chaîne de filiation, transmise entre les générations, est une « chaîne signifiante de double lecture : pour le sujet singulier et pour l’ensemble social et intersubjectif dont il est nécessairement membre » (Kaës, 2010, p.166). S’il y a une extrême valorisation de la consanguinité, les lieux ne sont pas bien établis, ce qui peut constituer un obstacle, voire un renoncement à l’adoption.

Actuellement, les raisons qui poussent les adoptants à prendre la décision de renvoyer l’enfant à l’institution sont remises en cause par la loi. A ce propos, selon Ladvocat (2014), il y a déjà un mouvement pour « intenter de nouvelles actions judiciaires en raison du renvoi d’enfants et d’adolescents, qui, lors de la période probatoire, sont renvoyés dans des centres d’accueil… de manière absolument injustifiable ». (pp.123-124). Selon l’autrice, il est nécessaire de déterminer ce qui peut amener une certaine personne ou un certain couple à rendre un enfant. A priori, ce renvoi, souligne l’autrice, laisse supposer que les enfants sont semblables à des marchandises.

En ce qui concerne cette question, il convient de rappeler l’existence de cas dans lesquels une action civile intentée par les procureurs (tribunal des enfants et des adolescents) avait été engagée à l’encontre des couples qui avaient rendu des enfants à l’État sans motif valable. Il faut dire que le phénomène de renvoi attire l’attention du ministère public et a motivé différentes actions.

Le but de notre thèse est d’analyser le renvoi par le versant psychique. En étudiant la question de l’adoption, nous avons cherché des matières susceptibles de contribuer à l’identification des facteurs compromettant le succès de la filiation adoptive, «compte tenu du caractère imprévisible des effets de l’inconscient » (Queiroz, 2004, p.17). De ce point de vue, nous avons tracé un chemin en harmonie avec le champ du pouvoir judiciaire, car, sur la base des lieux désignés par le juridique, il est possible de construire la référence emblématique de la famille. La notion de légitimité, de filiation sera toujours liée à la loi, ce qui permet de formaliser toute configuration symbolique, dépassant le code biologique lui-même. En vertu de la loi, les parents sont destitués de l’autorité parentale et un nouvel acte de naissance est délivré, légitimant un autre couple comme si l’enfant était né de leur conception.

Pour Flavigny (2000), le désir est porteur de vie, de filiation et de paternité. Selon lui, « un père se fait fondamentalement par le désir et, comme dans tout désir […] il existe la facette consciente et celle plus obscure, inconsciente », qui a une incidence sur les liens affectifs et les régit. L’histoire psychique implique une constitution essentiellement gouvernée par l’inconscient, d’où l’importance de connaître le lieu symbolique occupé par l’enfant dans la vie des parents. Dans le contexte de l’adoption, nous devons faire attention au lieu dit Ŕ « l’ossature » qui soutient l’enfant dans sa condition de fils / fille.

Remettre en question le désir qui habite et fonde l’exigence sur la demande d’adoption est, en principe, une question d’éthique, car le désir d’avoir un enfant ne soutient pas toujours le désir d’adopter. La tension entre le désir de procréer et le désir d’adopter mérite d’être examinée. Pour que l’enfant soit inscrit en tant que fils / fille dans un ordre symbolique, il faut que le désir d’avoir un enfant dépasse celui de la procréation. En ce sens, nous revisitons le concept de Lacan (1958/1998) – l’entrée définit la sortie – dans le sens de la guérison, afin de souligner le besoin d’une écoute clinique, qui « prime par le caractère singulier de chaque discours sur le désir d’adopter et d’en extraire les raisons inconscientes qui soutiennent un tel désir » (Queiroz & Passos, 2012, pp.20-21).

Face à l’impossibilité de tisser des liens, l’enfant n’acquiert pas de place stable et claire qui le distingue comme fils / fille. Cela implique une série de désordres qui, à leur tour, produisent des effets importants, car l’établissement de lieux d’appartenance est indispensable au maintien de la fiction de la filiation. Nous sommes d’accord avec Levy-Soussan et Marinopoulos (2010, p.88) pour dire que lorsque la construction familiale « prend la forme d’une promenade […], la filiation peut prendre la forme d’un naufrage » .

La clinique de l’adoption met en évidence la réalité fantasmatique dans la construction de l’histoire familiale et montre que l’importance du lien de filiation est également définie par la manière dont chaque membre se situe et est situé dans la famille. Comme le soulignent Levy-Soussan et Marinopoulos (2010, p. 98), pour garantir le succès de l’adoption, il est indispensable de disposer de la disponibilité, c’est-à-dire de l’ouverture à la construction familiale.

Table des matières

Introduction
Partie I : L’univers de l’adoption au Brésil
Chapitre 1 : Réflexions sur l’adoption au Brésil
1.1 Evolution de la conception de famille dans la législation brésilienne
1.2 Politiques de protection de l’enfant abandonné
1.3 La législation et les principes qui orientent l’adoption au Brésil
1.3.1 L’adoption comme modalité de parenté et filiation
1.3.2 Sur la destitution de l’autorité parentale
1.3.3 Du placement dans une famille de substitution
1.3.4 De l’agrément
1.3.5 Registre national de l’adoption
1.3.6 Période de mise en relation
1.3.7 Le Pernambouc et les encouragements à l’adoption
Chapitre 2 : La clinique de l’adoption
2.1 Adoption et parentalité
2.2 Implications psychanalytiques dans l’adoption
2.3 Adoption d’enfants plus âgés et fratries
Chapitre 3 : Du droit au désir d’adopter
Chapitre 4 : La face sombre de l’adoption : les enfants rendus
4.1 Trajectoire méthodologique
4.2 Corpus de la recherche
Partie II : Sur les renvois et leurs répercussions
Chapitre 5 : L’émergence de la vérité dans la douleur
5.1 Hugo : la « pathologie d’ordre intime
5.1.1 « Photo-graphie »comme production de langage – « moments de bonheur »
5.1.2 Marque du rejet
5.1.3 La non-opérativité de la fonction paternelle et le jeu du désir
5.1.4 Manque de disponibilité psychique pour accueillir l’enfant
5.2 Le renvoi des frères d’Hugo
5.2.1 Quand l’homosexualité est une impasse
5.2.2 La place complexe des équipes interprofessionnelles – champ de tension
Chapitre 6 : Quand l’âge n’implique pas le renvoi
6.1 Le cas Maria
6.2 Margarida et Davi
6.2.1 L’entretien d’agrément
6.2.2 Historique familial et réintégration dans la famille élargie
6.2.3 Couples adoptants et période de mise en relation
6.2.4 Quand l’infertilité fait de l’ombre à l’adoption
Chapitre 7 : Histoires entrelacées
7.1 L’histoire familiale de Laura
7.2 L’histoire de Bia
7.3 Des périodes de mise en relation
7.3.1 Mônica : l’enfant « n’a pas rempli le vide en moi »
7.3.2 « Je n’ai pas senti d’attachement à Bia »
7.4 De l’analyse
7.5 Action et accompagnement de l’équipe judiciaire
7.6 Le cas Bernadete et les enfants Lavínia et Laura
7.6.1 Lavínia dérangeait les fils
7.6.2 Laura avait été « laissée » à la porte de l’institution
7.6.3 Considérations sur le cas
7.7 Quand l’adoption signifie plus abandon qu’accueil
7.7.1 Discutant le cas
Chapitre 8 : Le cauchemar du renvoi
8.1 Retour dans la famille, une solution viable ?
8.2 L’importance de l’écoute des fratries
Conclusion

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