Enfants porteurs de troubles du spectre autistique
La prise en charge individuelle d’Hector
Anamnèse
Hector est un garçon de 8 ans, qui est actuellement en classe ULIS, après avoir été maintenu deux années en grande section de maternelle. Il est né après une grossesse et un accouchement sans difficultés et vit chez ses parents avec sa demi-sœur, d’un premier mariage de son père. Face aux troubles de compréhension et d’expression verbale, ainsi qu’aux problèmes de comportement violent envers ses camarades et sa maîtresse, Hector est orienté vers le CMP en octobre 20. Lors du premier rendez-vous avec la consultante psychologue, la mère d’Hector décrit son fils comme un bébé tonique et un enfant nerveux. Elle évoque son agitation, que ce soit à l’école ou à la maison. Elle parle aussi de ses difficultés motrices dans les activités scolaires et dans les gestes de la vie quotidienne. Concernant son développement psychomoteur, il semble avoir été normal dans l’ensemble, avec notamment une marche acquise à 11 mois. Cependant, le langage est apparu tardivement et d’abord en écholalie2 . Puis quelques progrès ont été fait grâce au suivie en orthophonie. Selon madame, Hector est un garçon sensible sur le plan émotionnel mais également sonore, avec des difficultés à rester au sein d’un groupe qui fait du bruit. Une intervention de la sphère oto-rhino-laryngologique (ORL) semble avoir amélioré ses difficultés au niveau de la respiration et du langage. Une observation psychomotrice a été faite lorsqu’il avait 4 ans et 8 mois. Il est noté chez lui une grande agitation, des difficultés motrices, des troubles des coordinations (entre haut et bas du corps, entre hémicorps droit et gauche, entre vision et mouvement) ainsi que des troubles des équilibres statiques et dynamiques. Il a également des difficultés de régulation tonicoémotionnelle, qui se caractérisent par une hypertonie dans des situations où il y a des vécus émotionnels intenses (plaisir, frustration), qui contrebalance avec une hypotonie à d’autres moments. La frustration vécue par Hector est source de désorganisation et d’opposition. Certaines parties de son corps semblent parfois oubliées ou désinvesties. Il a aussi des difficultés de repérage et d’orientation spatiale, ainsi qu’au niveau du langage, avec des troubles de l’articulation. 2 Répétition automatique des paroles de l’interlocuteur 13 D’autre part, Hector est fatigable, et a du mal à maintenir son attention et sa concentration sur une tâche ; il est distractible mais a malgré tout une bonne mémoire, notamment pour retenir les chansons et les lieux géographiques. Son suivi en psychomotricité a démarré en avril 2017, à raison d’une séance par semaine en individuel. Initialement, il a été pris en charge pour différentes difficultés qui entravent le bon déroulement de son développement psychomoteur, notamment au niveau de la régulation tonicoémotionnelle, de la motricité et des représentations du corps. Le projet thérapeutique en psychomotricité est donc d’accompagner Hector dans ses expériences sensori-motrices afin de diversifier celles-ci et de soutenir l’intégration de ces explorations sous forme de représentations stables. Actuellement, le projet a un peu évolué. Les séances de psychomotricité ont aussi pour objectif de l’aider à mieux gérer sa frustration, à diminuer son agitation et son impulsivité en lui apportant une contenance, pour qu’il puisse être plus calme, notamment lors des activités et des temps de détente. Finalement, en juillet 2020, Hector a passé un bilan neuro-pédiatrique au sein du Centre de Recherche Et de Diagnostic de l’Autisme et des Troubles apparentés (CREDAT). Celui-ci a révélé un autisme d’intensité élevée. Nous allons à présent faire l’état des lieux des premières séances d’Hector, pour en faire la comparaison avec les séances suivantes en discussion.
Notre première rencontre et mes observations
Je rencontre Hector pour la première fois en octobre 2020. C’est un jeune garçon mince, avec les cheveux bouclés bruns, une peau mate et des grands yeux noirs. Je trouve qu’il entre assez facilement en relation, même avec moi qu’il ne connaît pas. Il peut échanger des paroles avec nous, mais a besoin régulièrement de retourner dans sa bulle, détournant alors le regard et se plaçant dos à nous pour jouer seul de son côté. Lors des moments de jeux au sol, il est assis en W, marquant une hyperlaxité chez lui. J’ai également remarqué que c’était difficile pour lui d’intégrer plusieurs consignes, d’attendre son tour et d’accepter de perdre lors des jeux de société. Il peut d’autre part, parler de ressentis douloureux ou de tristesse, mais l’émotion ne semble pas incarnée corporellement, voire pas en accord avec la situation, comme le fait de rire alors qu’il s’est fait mal, ou de nous dire tout en rigolant qu’il est triste. Il présente également des rires immotivés, dont on ne comprend pas l’origine. 14 Pendant cette première séance, nous avons discuté pour nous présenter. J’ai été surprise par la façon dont Hector nous a parlé de ses amis imaginaires, qu’il évoque comme étant des amis réels, et de son doudou personnifié auquel il est très attaché. De plus, quand Hector parle de lui, il utilise la 3ème personne du singulier, comme s’il s’adressait à une autre personne, ce qui m’a beaucoup étonné. Cela m’évoque un retard d’acquisition de l’individualisation, de la subjectivation. Je me demande ce qu’il en est de la construction de son espace psychique, de sa personnalité et de son Moi, qui permet normalement de se distinguer des autres. Nous reviendrons plus bas sur ce sujet3 . Il nous raconte également plusieurs événements qui se sont passés ultérieurement, n’ayant parfois pas de lien avec ce que nous sommes en train de faire. Il paraît être dans son monde, n’est pas toujours présent psychiquement avec nous dans la séance. Il est facilement happé par un bruit extérieur, ce qui témoigne d’une certaine distractibilité. J’ai constaté dès cette première rencontre des troubles au niveau de la régulation tonique chez Hector. Il peut passer d’une hypertonie avec de l’agitation et des mouvements désordonnés, à des moments de relâchement tonique où il s’effondre dans le fauteuil. Par ailleurs, j’ai remarqué au cours des premières séances que la motricité fine et le dessin sont compliqués pour lui : il fait des gribouillages, des boucles et des ronds qui ne sont pas fermés. Lorsqu’il essaye de dessiner un bonhomme, les différentes parties du corps de son personnage sont superposées. Actuellement, Hector présente toujours des troubles du comportement importants : de l’impulsivité, des troubles de la concentration, des troubles de l’attention (avec une grande distractibilité), un TOP (trouble oppositionnel avec provocation), des intérêts restreints avec une tendance à la répétition. Il a également toujours des difficultés au niveau de la communication, au niveau du langage (beaucoup d’écholalie) et au niveau relationnel. On retrouve chez Hector un mauvais investissement de l’image du corps avec l’expression sur son visage d’une certaine étrangeté lorsqu’il se regarde dans le miroir. Il a enfin des difficultés avec les fins de séances ou les transitions entre les activités. A ces moments-là, il se désorganise, s’excite, peut faire preuve d’agressivité en jetant les objets, et crie pour manifester sa frustration.
L’évolution des premières séances
La première séance que je fais avec Hector n’est pas vraiment organisée, l’ordre des propositions s’établissant au fur et à mesure des demandes de l’enfant, à l’image du jeu libre. Il 3Cf. infra, partie V- 2.6- Manifestation d’un manque d’individuation p.52 15 nous demande durant toute la séance quand est ce qu’il va « faire du kayak » (qui signifie pour lui hamac), nous montrant son impatience d’être porté et balancé, ainsi que ses difficultés à être dans le moment présent. Puis pendant la proposition du hamac, ce qui intéresse Hector est la vitesse, les ressentis vestibulaires provoqués par les balancements, mais pas la détente, le relâchement que cette médiation peut apporter. Il montre beaucoup d’excitation avec une hypertonie que j’ai observée, ainsi que des mouvements désordonnés de bras et de jambes, démontrant son agitation psychomotrice. La fin de la séance est compliquée pour lui car il ne veut pas partir. Ce moment provoque une angoisse qu’il manifeste par une opposition, une excitation débordante et une certaine agressivité. Dès la semaine suivante, nous faisons le choix de structurer davantage la séance, car lui laisser la liberté de choisir les activités semblait plutôt être source de désorganisation. Nous présentons alors à Hector les différents temps, en les schématisant sur le tableau. L’objectif est de l’aider à accepter plus facilement la fin de chaque activité et de la séance, ainsi que de le faire patienter avant le moment du hamac qu’il apprécie beaucoup. Ce nouveau rituel instauré à chaque fois, permet d’apporter un repère stable, un cadre rassurant, contenant, dont je reparlerai un peu plus tard4 . Nous prévoyons donc trois temps : un de motricité globale, un plus orienté sur la motricité fine et un temps calme de portage, d’enveloppement et/ou de balancements dans le hamac. J’ai noté qu’il a tendance à se mettre au sol entre les activités, comme s’il y avait chez lui un effondrement tonique. De plus, avec les kaplas, Hector construit simplement des tours, en cherchant à fabriquer un « concert » comme il le nomme. Il ne parvient pas à le représenter, puisqu’il y a uniquement des colonnes, mais pas d’espace délimité par des murs. Pour le temps calme dans le hamac, nous lui proposons cette fois une couverture ainsi qu’un coussin et des pressions faites par la psychomotricienne pour lui faire ressentir son corps, ses limites corporelles. Cela paraît lui apporter un peu d’apaisement, de recentrage. Il a pu se poser plus facilement que lors de la séance précédente. Cependant, il est resté demandeur d’accélérer la vitesse des balancements et il a oscillé entre des moments calmes et des moments d’excitation, se manifestant par des décharges toniques dans ses membres ainsi que des rires. La fin de la séance est de nouveau difficile pour Hector, qui refuse de sortir du hamac et de mettre ses chaussures. 4 Cf. infra, VI.3- L’enveloppe du cadre thérapeutique p. Grâce à ce résumé des premières séances de psychomotricité, il est possible de mieux se représenter Hector et d’avoir une idée de ses vécus psycho-corporels. Après avoir évoqué le cas singulier d’Hector, nous allons maintenant nous intéresser au fonctionnement du groupe cabane, au travers de la présentation de Rémi et Abel
Introduction. |