En quoi consiste le travail réel des auditeurs légaux

En quoi consiste le travail réel des auditeurs légaux

Même si la pratique de l’audit légal est fortement codifiée et contrôlée, il convient, comme le montre l’ergonomie de l’activité, de ne pas assimiler le travail réel des auditeurs légaux à celui qui leur est officiellement prescrit. Aussi notre question de recherche sera-t-elle la suivante : La plupart des travaux de recherche en audit, nous l’avons vu, accompagnent l’effort de rationalisation accompli par la profession, et se donnent pour but d’améliorer l’efficacité et/ou l’efficience des audits réalisés. Si cette littérature que nous avons qualifiée d’« orthodoxe » est encore aujourd’hui largement dominante, il émerge néanmoins, depuis la fin des années 1980, une littérature dite « critique ». Comme nous l’avons déjà souligné, cette littérature-là compte au moins deux courants : le courant de la critique « radicale », dans lequel nous ne souhaitons pas situer notre recherche, et celui de la critique « alternative », qui retiendra ici notre attention. Certaines études de ce courant intéressent en effet directement notre question de recherche. Le courant critique alternatif repose principalement sur deux corpus théoriques : la sociologie des techniques, dans sa version latourienne, et la théorie institutionnelle, avec de nombreuses références à Meyer et Rowan (1977). Comme nous allons le voir, les idées qu’il développe, rejoignent à bien des égards celles de l’ergonomie de l’activité. Pour présenter les études qui le constituent, nous avons classées celles-ci en trois groupes, et avons ainsi distingué les recherches « alternatives » centrées sur la méthodologie d’audit (1.), celles centrées sur le jugement des auditeurs (2.), et celles centrées sur l’indépendance de ces professionnels (3.).

Les recherches « alternatives » centrées sur la méthodologie

Comme nous venons tout juste de le voir, la plupart des recherches centrées sur la méthodologie d’audit s’attachent à en souligner les faiblesses et/ou à développer de nouvelles approches et de nouvelles technologies plus performantes, dans le but d’augmenter l’efficacité et/ou l’efficience de l’audit. Elles ne se posent pas la question de savoir si les auditeurs, en pratique, appliquent effectivement les modèles conceptuels, ni s’ils utilisent réellement les outils mis à leur disposition. Elles le présument donc implicitement. Sinon, pourquoi s’appliqueraient-elles à élaborer de nouvelles approches et de nouvelles techniques ? Elles supposent en outre que les démarches et technologies élaborées et évaluées de manière scientifique ne peuvent être qu’objectivement plus performantes, et que donc les utiliser ne peut conduire qu’à des gains d’efficacité et/ou d’efficience. Les recherches « orthodoxes » centrées sur le jugement des auditeurs n’empruntent pas le même chemin d’analyse, mais énoncent, au cours de leurs pérégrinations, un besoin similaire : celui de développer de nouveaux outils (systèmes experts, etc.). Aussi ces recherches partagent-elles, au moins de manière tacite, les deux présomptions ci-dessus mentionnées. Mais elles les partagent de manière paradoxale, serions-nous tenter d’ajouter.

En effet, elles savent de leur côté, et devraient se rappeler, que les individus ne déroulent pas toujours correctement « l’équation de l’auditeur », qu’ils n’utilisent pas toujours bien les nouvelles technologies mises à leur disposition. D’une certaine manière, il pourrait sembler qu’elles se soient égarées sur les sentiers de leur propre logique. Rappelons-le, les nouvelles technologies qu’elles proposent sont essentiellement destinées à juguler les biais cognitifs des novices, biais parmi lesquels l’« anchoring », qui désigne justement en partie le fait que les auditeurs ne tirent pas tous les profits des nouvelles technologies mises à leur disposition : qu’ils ne les utilisent pas (Biggs & Wild, 1984) ou, s’ils les utilisent, qu’ils continuent cependant à répéter la plupart des travaux accomplis durant les années passées (Bedard, 1989a, p.69). Cette réalité, quand on en tient vraiment compte, remet en cause les deux présomptions susmentionnées de la littérature « orthodoxe » centrée sur la méthodologie et le jugement d’audit : non, les auditeurs n’utilisent pas systématiquement les nouveaux outils mis à leur disposition, du moins pas comme les concepteurs de ces derniers le voudraient ; non, l’utilisation des nouvelles démarches et technologies conçues et évaluées de manière scientifique ne se révèlent pas, en pratique, forcément plus performantes que les anciennes. Les utiliser ne conduit pas automatiquement à des gains d’efficience. Récemment, ce point-là a par exemple été mis en relief par Curtis et Turley (2007). Une question de recherche intéressante devient alors : à quelles conditions les nouvelles approches et techniques produisent-elles effectivement les gains attendus ?

 

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