Empreinte génomique parentale et petits ARN non-codants
L’hypothèse de la bombe à retardement ovarienne
Cette hypothèse, proposée en 1994 (Varmuza et Mann, 1994), propose un avantage sélectif de l’empreinte génomique parentale pour les espèces vivipares : puisque l’empreinte génomique parentale rend indispensable une contribution paternelle pour le développement d’un embryon et un placenta, ce phénomène empˆeche l’apparition intempestive de ces structures invasives, en l’absence de fécondation. En particulier, le trophoblaste (à l’origine du placenta, il envahit l’épithélium utérin, chez la Souris et l’Homme en particulier) est très réduit chez les embryons parthénogénétiques. Puisque les ovocytes s’activent spontanément, sans fécondation, à une haute fréquence, ces tumeurs ovariennes sont particulièrement nombreuses (elles affectent au moins une fois quelques pour-cent des femmes, et jusqu’à plus de 80 % des souris femelles de certaines lignées, au cours de leur vie), et l’empreinte génomique parentale, qui limite leur développement, serait responsable de leur bénignité. Elle représenterait donc un avantage sélectif certain. Quant aux gènes exprimés à partir de l’allèle maternel uniquement, dont l’empreinte ne protège en rien les femelles contre le développement de parthénogénotes, ils seraient des « victimes innocentes » du processus d’empreinte génomique parentale, et n’auraient pas contribué à son succès évolutif. Cet argument ad hoc n’a pas convaincu tous les lecteurs (Solter, 1994 ; Haig, 1994 ; Moore, 1994). Il est signalé de surcroît qu’un seul locus à expression uniquement paternelle suffirait à protéger les femelles du développement des parthénogénotes, alors que de nombreux loci soumis à l’empreinte ont été identifiés ; que le raisonnement de Varmuza et Mann n’est pas généralisable aux Angiospermes ni à certains Mammifères, qui ne sont pas menacés par un organe prompt à envahir l’organisme maternel, comme le trophoblaste murin ou humain, mais qui connaissent malgré tout le phénomène d’empreinte génomique parentale ; enfin, tous les auteurs ne s’accordent pas sur l’incidence réelle du risque des tumeurs ovariennes (Solter, 1994 ; Haig, 1994 ; Moore, 1994 ; Wilkins et Haig, 2003 ; Mann et Varmuza, 1994).
La facilitation de l’évolution
L’empreinte génomique parentale, en réprimant un allèle indépendamment de sa séquence, puis en le réactivant dans les générations suivantes au gré de son mode de transmission, maternel ou paternel, soustrait les allèles des gènes concernés à la sélection naturelle. Un allèle peu adapté aux conditions environnementales a donc la possibilité de se propager dans une population jusqu’à ce que les conditions lui soient plus favorables, ou jusqu’à ce qu’il ait lui-mˆeme muté jusqu’à devenir avantageux dans les mˆemes conditions. L’empreinte génomique parentale permet donc le maintien dans une population d’une plus grande variété d’allèles, ce qui peut présenter un avantage évolutif (Beaudet et Jiang, 2002). D’autre part, puisque les auteurs considèrent que les mécanismes moléculaires impliqués dans l’empreinte génomique parentale (modifications épigénétiques, régulations par des ARN non-codants, compétition pour des éléments communs en cis) permettent une plus grande variabilité du taux d’expression des gènes soumis à l’empreinte, le phénomène permettrait un ajustement fin de l’expression de ces gènes, et une répartition des phénotypes sur un continuum, ce qui faciliterait l’émergence du génotype le plus adapté. Cette théorie ne rend pas compte de la répartition de l’empreinte génomique parentale dans le reigne vivant (ses avantages s’appliqueraient à tous, or seuls les Mammifères et les Angiospermes connaissent l’empreinte), et elle explique mal pourquoi le phénomène n’affecte que certains gènes en particulier (Wilkins et Haig, 2003).
Victimes innocentes de l’extinction de parasites génomiques
La comparaison de transgènes qui, chez la Souris, sont spontanément soumis à l’empreinte génomique parentale, avec des gènes endogènes qui subissent le phénomène, a amené D. Barlow à proposer que l’empreinte génomique parentale dérive du système de défense contre les parasites génomiques (endovirus et transposons) par méthylation de l’ADN de leurs gènes (Barlow, 1993). Effectivement, les gènes soumis à l’empreinte partagent de nombreuses caractéristiques avec les parasites génomiques : ils sont pauvres en introns, contiennent des séquences répétées en tandem, et plusieurs gènes soumis à l’empreinte sont visiblement issus de rétrotransposition ; réciproquement, les rétrotransposons sont souvent réprimés différemment dans les deux lignées germinales (Yoder et al., 1997). L’empreinte génomique parentale serait donc une conséquence fortuite de l’extinction de séquences parasites, et ne présenterait donc pas nécessairement d’avantage évolutif per se. Les gènes soumis à l’empreinte seraient donc des victimes innocentes de la répression des endovirus et transposons insérés à proximité : l’apparition d’une séquence parasite, et son extinction (inefficace, elle n’affecterait qu’un allèle), aboutiraient à la répression d’un allèle du locus entier. Les mécanismes de l’empreinte génomique parentale et ceux de l’extinction des rétrotransposons sont similaires (Yoder et al., 1997), et partagent des effecteurs communs (Bourc’his et Bestor, 2004 ; Lippman et al., 2004). La délétion de séquences répétées d’un locus soumis à l’empreinte génomique parentale a mˆeme abouti à la levée de l’empreinte du locus (Yoon et al., 2002) ; ce résultat n’est toutefois pas généralisable à tous les loci (Lewis et al., 2003).
Modulation de l’expression des gènes
Le développement des Mammifères semble très sensible au dosage des copies des gènes, puisque chez la Souris, toutes les monosomies et toutes les trisomies s’accompagnent de défauts développementaux aboutissant à la létalité. L’activation ou l’inactivation d’un des deux allèles à une étape particulière du développement permettrait donc de moduler l’expression de certains gènes (Solter, 1988). Cette hypothèse s’accorde mal avec plusieurs observations : elle n’explique pas pourquoi l’empreinte génomique parentale serait restreinte aux Mammifères et aux Angiospermes, pourquoi l’empreinte de certains gènes est polymorphe6 , ni pourquoi les gènes à expression paternelle favorisent souvent la croissance, alors que les gènes à expression maternelle tendent à l’inhiber. Enfin, des simulations montrent que, selon cette hypothèse, l’empreinte génomique parentale ne devrait pas se maintenir stablement dans une population (Weisstein et Spencer, 2003).
La théorie du conflit
Cette théorie est la plus populaire, bien qu’elle soit elle aussi mise en difficulté sur certains points (cf plus bas). Elle a été proposée en 1991, et justifie l’empreinte génomique parentale par un conflit entre les intérˆets des allèles hérités de la mère, et du père (Moore et Haig, 1991) : les allèles du père ont de meilleures chances de se transmettre si l’enfant se porte bien, quitte à ce que ce soit au détriment de la mère et de ses gestations futures ; les allèles de la mère auront de meilleures chances de se transmettre si la mère est épargnée par sa gestation (ce qui lui permettra d’autres gestations ultérieures). Et en effet, il est fréquemment observé que les gènes à expression paternelle favorisent la croissance, alors que les gènes à expression maternelle la répriment (cf tableau 1.2, page 42). Cette théorie a ensuite été généralisée : les allèles d’un individu ne profitent pas uniquement de sa santé, mais aussi de celle de sa famille, puisque l’individu partage (en moyenne) 50 % de ses allèles avec ses frères et sœurs, 25 % avec ses demi-frères et demi-sœurs, etc. Le conflit entre l’allèle maternel et l’allèle paternel peut donc éclater pour le partage des ressources trophiques avec tous ceux qui ne possèdent pas les allèles maternels et paternels dans les mˆemes proportions que l’individu en question (Wilkins et Haig, 2003). Elle explique pourquoi l’empreinte est limitée aux Mammifères et Angiospermes : dans ces deux phyla, l’embryon se développe dans une structure coˆuteuse pour la mère (l’embryon, et éventuellement le placenta, pour les Mammifères ; l’embryon dans la graine, elle-mˆeme contenue 6Comme par exemple IGF2R (Xu et al., 1993) et WT1 (Jinno et al., 1994) dans la population humaine. dans un fruit, pour les Angiospermes)7 . L’allocation des ressources entre les différents descendants, qui n’ont pas forcément le mˆeme père, est donc un enjeu important de la guerre que se livrent les allèles. L’empreinte serait donc apparue deux fois au cours de l’évolution, chez des Animaux, et chez des Plantes, alors que leur dernier ancˆetre commun en était certainement dépourvu ; ce serait un exemple de convergence fonctionnelle (Haig et Westoby, 1991). Cependant, tous les gènes soumis à l’empreinte génomique parentale n’ont pas un rˆole évident dans la croissance (cf tableau 1.2, page 42), et, étant donné que plusieurs protocoles couramment utilisés pour détecter les gènes soumis à l’empreinte ne peuvent, par construction, révéler que des gènes exprimés pendant le développement embryonnaire (voir page 21, les protocoles de détection de gènes soumis à l’empreinte), il est prévisible que la liste dont nous disposons soit biaisée en faveur des gènes impliqués dans le développement. D’autre part, des gènes restent soumis à l’empreinte après le sevrage, alors que l’individu n’y est plus en compétition spécifiquement avec ses frères et sœurs (et demi-frères et demi-sœurs maternels) (Wilkins et Haig, 2003), et des gènes dont l’effet est évident sur la croissance, Igf1 chez la Souris (Liu et al., 1993) et IGF2R chez l’Homme (du moins, dans la majorité de la population) (Kalscheuer et al., 1993 ; Xu et al., 1993), ne sont pas soumis à l’empreinte .
1 Introduction |