Variations saisonnières et facteurs influents
Les émissions de protoxyde d’azote
Les BP mixtes ont émis de plus grandes émissions de N2O que les BP primaires au cours des deux saisons de suivi . Ce résultat s’expliquerait par les ratios C:N contrastants entre les deux types de BP ayant influencé la disponibilité de l’azote (Camberato et al. 2006; Chantigny et al. 2013; Thangarajan et al. 2013). Les concentrations d’azote minéral en surface des BP mixtes, étant significativement supérieures à celles des BP primaires , ont permis davantage d’émissions de N2O par différents processus de nitrification ou de nitrificationdénitrification. Ainsi, les ratios C:N en surface et en profondeur inférieurs à 30 pour les BP mixtes ont probablement limité l’immobilisation de l’azote dans les BP, alors que les ratios C:N en surface et en profondeur supérieurs à 40 pour les BP primaires y a probablement contribué (Camberato et al. 2006; Chantigny et al. 2013; Thangarajan et al. 2013). La faible disponibilité de l’azote des BP primaires pourrait aussi résulter d’un faible taux de minéralisation, toutefois des études antérieures sur les BP primaires indiquent que le carbone y est généralement labile (Zibilsky 1987; Chantigny et al. 2000) favorisant ainsi la minéralisation de l’azote.
Le processus de nitrification méthanotrophe est possiblement la principale source d’émissions de N2O mesurées pour l’enfouissement des BP mixtes, étant donné les conditions très favorables au processus lors de la principale période d’émissions de N2O (Mandernack et al. 2000). Les plus grandes émissions de N2O des BP mixtes ont été observées lors du 2e et 3e mois après enfouissement à l’échelle pilote ; une période concordant avec les grandes émissions de CH4 ainsi qu’avec la présence de grandes concentrations de NH4+ dans les BP à la surface des fosses . Il est démontré que les bactéries méthanotrophes présentes à la surface des sites d’enfouissement municipaux peuvent émettre du N2O (Mandernack et al. 2000) et que ces émissions sont stimulées par des concentrations élevées de NH4+ disponible en surface (Mandernack et al. 2000) et une hausse d’émissions de CH4 (Mandernack et al. 2000; Zhang et al. 2009). D’ailleurs, le processus de nitrification méthanotrophe est considéré comme le principal processus d’émissions de N2O en sites d’enfouissement municipaux (Mandernack et al. 2000; Rinne et al. 2005; Zhang et al. 2009).
Le processus de dénitrification a possiblement contribué aux émissions de N2O mesurées dans les fosses d’enfouissement pilotes, tel qu’aussi suggéré par Bogner et al. (1999) et Rinne et al. (2005) pour les sites d’enfouissement municipaux. D’abord, la présence de NO3- à la surface des BP alors que les CVE des BP variaient entre 60 et 75 % m3 m-3 (soit des EPEE approximatifs entre 70-90 % m3 m-3) sont des conditions favorables aux émissions de N2O par dénitrification, supposant que la disponibilité du carbone n’est pas limitante (Bateman et Baggs 2005). Aussi, Bogner et al. (1999) propose dans leur modèle conceptuel biogéochimique pour les sites d’enfouissement municipaux que la zone dominante de production de N2O se situe à 1,00 m de profondeur. Les concentrations d’azote total dans les BP mixtes en 2013 étaient supérieures en profondeur (0,75 – 1,25 m) comparativement à la surface (0,00 – 0,20 m) , ainsi que probablement supérieur au contenu initial des BP selon nos données indirectes . Cela suggère une migration significative de l’azote des BP en profondeur dans les fosses. Cet azote pourrait avoir migré sous forme de particules organiques ou sous forme de NO3- , une forme très mobile d’azote dans les sols (Brady et Weil 2008). Il est donc plausible que le processus de dénitrification ait aussi contribué aux émissions de N2O générées dans des zones plus profondes des fosses lorsqu’en conditions d’anoxie adéquate.
Les émissions de N2O semblent principalement associées à l’azote présent dans les BP du premier mètre de profondeur des fosses pilotes, considérant la nitrification méthanotrophe et la dénitrification comme principales sources de N2O. D’une part, les méthanotrophes sont plus actifs dans les premiers 0,3-0,6 m sous la surface (De Visscher et al. 1999; Mandernack et al. 2000), puisque les conditions aérobies, nécessaires à leur activité (Le Mer et roger 2001) y sont davantage favorisées. D’autre part, l’azote organique et le NH4+ présent dans les BP nécessitent ultimement des conditions aérobies pour être nitrifié en NO2- , puis en NO3- (Bolan et al. 2004), soit des conditions probablement présentes uniquement dans le premier 0,5 à 1,0 m de profondeur. Aussi, l’azote total présent dans les BP semble migrer significativement vers le fond de la fosse . Or, peu importe la profondeur où se produisent les processus de dénitrification, les résultats suggèrent que seul l’azote du premier mètre de profondeur est susceptible d’être nitrifié et d’ensuite générer des émissions de N2O par dénitrification.
Les émissions de méthane
Les BP mixtes ont émis plus de méthane que les BP primaires au cours des deux saisons de suivi , ce qui s’expliquerait par des caractéristiques contrastantes entre ces types de BP. Premièrement, les BP primaires possèdent généralement de plus grandes proportions de cellulose et d’hémicellulose que les BP secondaires, ainsi que les BP mixtes (Bayr et Rintala 2012; Meyer et Edwards 2014), ce qui expliquerait que les BP primaires puissent générer davantage de méthane que les BP secondaires lors d’une digestion anaérobie en bioréacteurs (Bayr et Rintala 2012). Toutefois, en conditions non contrôlées, la décomposition anaérobie de BP primaires est généralement limitée par des carences en azote, en phosphore et en d’autres éléments traces (Ghosh et Taylor 1999; Bayr et Rintala 2012), ainsi qu’inhibé par la chute du pH (Bayr et Rintala 2012) et par des composés toxiques extraits des fibres de bois ou ajoutés lors des procédés (Meyer et Edwards 2014). Notamment, les composés sulfurés sont considérés comme le principal inhibiteur de la décomposition anaérobie de BP (Meyer et Edwards 2014) et sont largement utilisés dans la préparation de pâte chimique par le procédé au sulfate (procédé Kraft) (MDDEFP 2012). Or, les BP utilisés proviennent d’usines utilisant le procédé de trituration de pâtes Kraft (MDDELCC 2015), ce qui suggère un apport de composés sulfurés inhibiteurs de la décomposition anaérobie par les BP primaires des deux usines. Deuxièmement, la combinaison de BP primaires et de BP secondaires dans les BP mixtes a probablement fourni une population de bactéries méthanogènes plus importante et plus robuste que celle qui était présente dans les BP primaires seuls. D’une part, les biomasses microbiennes sont essentiellement stimulées lors des traitements secondaires des eaux usées de papetières, aussi appelés traitements biologiques, d’où sont issues les BP secondaires (CANMET 2005). Une plus grande proportion de BP secondaires suggère donc un plus grand apport initial de biomasse microbienne. D’autre part, le mélange de substrats organiques provenant de différentes matières résiduelles et différents traitements augmente la diversité des populations microbiennes (Mata-Alvarez et al. 2013 cité dans Meyer et Edwards 2014) et dilue les composés toxiques contenus dans chacun de ces substrats, ce qui augmente la robustesse de ces populations microbiennes (Meyer et Edwards 2014). Troisièmement, la présence de BP secondaires dans les BP mixtes semble avoir contribué au maintien de conditions d’humidité favorisant les conditions anaérobies strictes, nécessaires à l’activité des méthanogènes (Le Mer et Roger 2001). Les CVE en surface des BP mixtes lors du premier mois de suivi après enfouissement étaient supérieurs à ceux des BP primaires , soit supérieurs à 75 % m3 m-3 (EPEE approximatifs supérieurs à 90 % m3 m-3), comparativement aux CVE des BP primaires variant entre 30 et 40 % m3 m-3 (approximativement des EPEE entre 35 et 47 % m3 m-3) . Ce résultat s’expliquerait du fait que les BP secondaires sont beaucoup plus difficiles à déshydrater que les BP primaires (CANMET 2005). Ainsi, les EPEE élevés réduisent la diffusion des gaz dans les sols (Rochette et al. 2004; Thangarajan et al. 2013) et donc le renouvellement de l’oxygène atmosphérique vers les sols. Il est donc suggéré que la plus grande rétention d’eau dans les BP mixtes comparativement au BP primaires, associée à la présence de BP secondaires, ait limité le renouvellement d’oxygène et ait ainsi contribué à la création des conditions anaérobies strictes, nécessaires à l’activité des méthanogènes (Le Mer et Roger 2001) dans les fosses de BP mixtes, ce qui n’était pas le cas pour les BP primaires.
1. INTRODUCTION |