Elites, idéologies et domination dans le système politique

Madagascar détient le rang du cinquième pays le plus pauvre au monde en 2014 selon les ratios de la Banque Mondiale. Madagascar est sorti exsangue d’une récente crise politique qui a duré cinq années (2009 –2013) et a inauguré une nouvelle ère avec l’élection d’un nouveau président de la République le 17 janvier 2014. L’élection de ce nouveau président de la République devait marquer « le retour à l’ordre constitutionnel » et amorcer la rééligibilité de Madagascar aux financements internationaux. Cependant, force est de constater que plus d’un an après cette nouvelle donne sociopolitique, la situation politique de la Grande Ile présente toujours des signes palpables d’instabilité et l’économie est toujours en berne. L’histoire du pays a pourtant démontré que ce type de conjoncture sociopolitique, audelà de son caractère potentiellement crisogène, n’a jamais été propice à l’amorce d’un processus de développement solide. Ainsi la situation politique de Madagascar évoque elle à bien des égards le mythe de Sisyphe dans la mythologie grecque, celle d’un éternel recommencement. Il semble que le changement politique tel qu’il est appréhendé dans la science politique n’existe pas  dans la réalité malgache. Au contraire, on assiste à une récurrence des mêmes phénomènes politiques qui engendrent dans leurs dynamiques, les mêmes effets pervers. Seuls les acteurs changent. Le recours au cadre d’analyse de la science politique peut s’avérer dans ce cas utile pour expliquer et interpréter les constantes de la réalité politique malgache. En effet, la science politique peut être définie comme : « l’étude de la façon dont les hommes conçoivent et utilisent les institutions qui régissent leur vie en commun, les idées et la volonté qui les animent, pour assurer la régulation sociale » .

LES PARADIGMES GENERAUX D’ANALYSE

L’usage des paradigmes généraux dans une perspective de d’analyse du fait élitaire à Madagascar et des enjeux qu’il induit ne peut se faire sans les matériaux historiques, les principaux paradigmes de référence en science politique. Nous présenterons ensuite les principales théories sur les élites qui permettront d’expliquer et d’interpréter l’impact de la configuration élitaire malgache sur le consensus social.

LE CONTEXTE HISTORIQUE

La période précoloniale

Les modalités du peuplement de Madagascar est l’une des énigmes scientifiques irrésolue à ce jour. Les malgaches sont-ils d’origine africaine ou asiatique ? Selon certains scientifiques les apports seraient égaux (50% d’Asie et 50% d’Afrique). Cependant la majorité des historiens, des ethnologues et des linguistes classe les malgaches parmi les peuples malayo-polynésiens de souche austronésienne. Selon certaines de ces théories, vers le IVème ou IIIème siècle avant J-C, des vagues de migration de populations originaires de l’archipel Indonésien et Malais et de l’Inde du sud auraient atteint Madagascar. Des apports hindous, arabes (zafiraminia) et africains bantous auraient ensuite contribués au métissage génétique et culturel du substrat malais originel. Sur le plan linguistique il n’y a cependant pas trop de mystère, le malgache est une langue dérivée du manyan ou maanjan, langue vernaculaire parlée dans le Sud de Bornéo et s’apparente donc ainsi aux langues malayo-polynésiennes (famille d’environ 500langues) dont l’aire de répartition s’étend de Madagascar à Hawaï. Selon le professeur Albert Rakoto Ratsimamanga dans sa thèse de Médecine intitulée Tâche pigmentaire héréditaire et origine des malgaches, il y aurait parenté entre toutes les races nègres africaines et océaniennes et affirme que : « la présence de tâche pigmentaire héréditaire, ainsi que la constatation d’autres caractères anthropologiques viennent confirmer l’unité ethnique indo-océanienne des malgaches » .Ce constat scientifique n’empêchera pas l’émergence et la persistance ultérieure de la dualité merina/côtier et fotsy/mainty dans les représentations collectives. C’est à partir du XVIème siècle que sortant d’une époque clanique, les royaumes de Madagascar commencent à s’organiser autour des grands groupes ethniques. Le royaume de l’ethnie sakalava s’étendait sur tout le littoral ouest de la grande île et commença et une expansion vers l’est sous Andrimisara Ier. Son successeur Andriadahifotsy tenta en vain de soumettre le sud et l’est de l’île .Sa mort mit fin à l’expansion sakalava et consacra d’ailleurs sa scission en deux royaumes (Menabe et Boina). A l’est le royaume de l’ethnie Betsimisaraka trouva un semblant d’unité sous l’impulsion du roi Ratsimilaho fils d’un pirate anglais et d’une princesse malgache. Le sud de l’ile est dominé par les royaumes des ethnies Antanosy, des ethnies Bara, des ethnies Antandroy et des ethnies Mahafaly.

C’est au XVIIIème siècle que commence la domination des merina, groupe ethnique originaire des hauts plateaux et organisé dès le XVIème siècle. La montée en puissance du royaume se fait avec le roi Andrianampoinimerina. Durant les années de son règne, il s’emploie à unifier les tribus merina des hautes terres et à étendre son pouvoir sur une majeure partie de l’île. A sa mort en 1810, son fils Radama Ier met en place une armée de 35 000 hommes avec laquelle, il réprime les insurrections des Betsiléo dans le sud et conquiert le royaume du Boina. En 1817, il asservit les tribus de l’Est puis étend son empire le long de la côte jusqu’ à Taolagnaro (Fort-Dauphin).Au début du XIXème siècle a unifié la quasi-totalité de l’île. Il enclenche un processus de modernisation par une politique d’ouverture commerciale. Il signe avec la Grande-Bretagne un traité interdisant le commerce des esclaves en 1817. Sous cette impulsion, le pays connaît construit ses premières routes, manufactures et écoles .Le pays accueille également des missions de de confessions diverses dont la London Missionary Society. C’est sous Radama Ier qu’est élaboré un système phonétique permettant de traduire le malgache. En 1820,la Grande-Bretagne ratifie un traité reconnaissant Madagascar sous l’autorité merina. L’influence britannique perdurera durant la presque totalité du XIXème siècle. A la mort de Radama Ier, en 1828, sa veuve Ranavalona Ière lui succède. Elle incarne la réaction de l’ouverture au pays aux intérêts étrangers, entamée par Radama Ier et le retour aux valeurs culturelles malgaches. Cette réaction est violente :la reine déclare la religion chrétienne illégale et martyrise les malgaches qui l’ont adoptée. Elle expulse les étrangers et les missionnaires (sauf Jean Laborde). A la mort de la reine, son fils Radama II révoquera les décisions de sa mère .Il instaurera la liberté de religion, reformera le système judiciaire et rouvrira le royaume aux étrangers. Il accordera des concessions aux étrangers pour le commerce extérieur. Son règne sera cependant de courte durée il sera assassiné le 11 mai 1862 par le frère du premier ministre. C’est au tour de la seconde reine d’accéder au trône : Rasoherina, veuve de Radama II. Conformément à la tradition, elle commence par épouser le premier ministre, avant de voir son pouvoir limité par un décret stipulant qu’elle ne peut pas agir sans l’accord des ministres et surtout du premier d’entre eux. Le premier ministre sera cependant chassé du pouvoir par son propre frère Rainilaiarivony qui devient ainsi l’homme fort du royaume et épouse la reine. Grande figure de cette époque, Rainilaiarivony répètera la manœuvre deux fois :à la mort de Rasoherina, en 1868,il épouse la nouvelle reine Ranavalona II, puis Ranavalona III quinze ans plus tard.

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Cependant, les visées françaises et britanniques sur la Grande Ile se précisent. Les français usant de leur ancienne présence à Fort-Dauphin revendiquent des droits sur l’île et provoque des incidents militaires. En 1885, Ranavalona III cède à la force et signe un traité qui préfigure le protectorat et accorde à la France une indemnité de guerre. Cinq ans plus tard, la Grande-Bretagne reconnaît la souveraineté de la France sur la Grande Ile. Dans les faits, deux grandes puissances navales viennent de se partager les îles de l’océan indien à la conférence de Berlin : Madagascar revient à la France, Zanzibar à la Grande- Bretagne. Cependant, la France ne se contente pas du traité de 1885. Prenant prétexte du non-paiement de l’indemnité de guerre, elle réclame en 1894 la capitulation de la reine Ranavalona III et de son gouvernement. Essuyant un refus, l’armée française basée à Mahajanga avance vers Antananarivo, sous les ordres du général Duchesne. Lorsque les troupes françaises atteignent la capitale, le 30 septembre 1895,11 000 hommes ont déjà péri de diverses maladies. Bien qu’il n’en reste que 4000 soldats, ces derniers parviennent à vaincre facilement les dernières défenses merina.

La période coloniale

Le 6 août 1896, Madagascar devient officiellement une colonie française. La France instaure un gouvernement colonial, nomme le général Joseph Gallieni premier gouverneur général. Ce dernier tentera de briser l’aristocratie merina en interdisant la langue malgache et en contrant l’influence britannique et instaurant le français comme langue officielle. L’année suivante, Gallieni exile la reine Ranavalona III à la réunion, puis en Algérie. Durant ses neuf années à Madagascar, le Général Gallieni va entamer des actions visant à valoriser la nouvelle colonie. Il abolira l’esclavage et mettra en place un système d’impôt plus contraignant. Le gouvernement colonial s’attèlera ensuite au développement des infrastructures, des routes et des écoles. L’exploitation économique de l’île basée sur l’exportation donne des résultats florissants.

On assiste cependant au développement du nationalisme malgache vers les années 1915 avec le mouvement VVS (vy vato sakelika).Mais le nationalisme malgache s’affirme réellement durant la seconde guerre et surtout après.Les figures de proue de ce nationalisme sont Jean Ralaimongo, Joseph Ravoahangy, Joseph Raseta. Mais l’apogée du nationalisme malgache sera l’insurrection du 29 mars 1947 dont le parti MDRM (mouvement démocratique de la rénovation malgache) sera considéré par les autorités coloniales comme le premier responsable. La répression française fera des milliers des victimes malgaches. Les années 1950 verront l’émergence de l’idée d’indépendance.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
1ère Partie : LES PARADIGMES GENERAUX D’ANALYSE
CHAPITRE 1 : LE CONTEXTE HISTORIQUE
CHAPITRE 2 : PRINCIPAUX PARADIGMES DE REFERENCE
CHAPITRE 3 : LES PRINCIPALES THEORIES SUR ELITES
2ème Partie : ASPECTS DE LA CONFIGURATION ELITAIRE A MADAGASCAR
CHAPITRE 1 : MADAGASCAR : UN SYSTEME EN CRISE
CHAPITRE 2 : INTERACTIONS ENTRE SYSTEME ECONOMIQUE ET SYSTEME POLITIQUE
CHAPITRE 3 : INTERACTIONS ENTRE SYSTEME CULTUREL ET SYSTEME POLTIQUE
CHAPITRE 4 : LOGIQUE DU SYSTEME POLITIQUE A MADAGASCAR
CHAPITRE 5 : LOGIQUE DES CRISES ET CONFIGURATION ELITAIRE A MADAGASCAR
CONCLUSION

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