Elaboration du contre-transfert en addictologie

Elaboration du contre-transfert en addictologie

La deuxième séance et le cadre

 Le cadre se définit selon deux composantes, l’espace et la morale. (Larousse, s. d.) Dans le Larousse, nous retrouvons ces deux parties qui peuvent paraître distinctes au premier abord. Il définit alors le cadre comme les “limites d’un espace ; l’espace ainsi cerné” et “ Ce qui borne, limite l’action de quelqu’un, de quelque chose ; ce qui circonscrit un sujet.” (s. d.). Finalement, il apparaît assez clairement que ces deux composantes du cadre sont liées, et agissent réciproquement l’une sur l’autre. L’aspect géographique du cadre, permet de canaliser “l’action de quelqu’un”, et réciproquement, le fait de poser des limites aux agissements psychiques ou physiques d’une personne, permet de créer un espace particulier. 20 Cette notion de cadre est fondamentale en psychomotricité. Catherine Potel ajoute aux aspects matériels et d’organisation institutionnelle, l’importance des connaissances théoriques qui permettent au psychomotricien de penser les problématiques amenées par les patients ainsi que le corps du psychomotricien, qui lui sert de support de travail (2019b). Enfin, René Roussillon insiste sur le fait que le cadre est thérapeutique car “il porte symboliquement des conditions de la symbolisation” (2006, paragraphe 12). 

Au pied levé 

Léa, ma binôme, vient de m’annoncer qu’elle ne pourra pas venir en stage mercredi. Je comprends rapidement que si son moral ne va pas très bien, c’est sûrement en lien avec le stage qui l’a probablement chamboulée. Je lui propose donc de la remplacer exceptionnellement dans son rôle de “meneuse” de séance, pour ne pas créer une potentielle rupture avec la patiente et commencer à tisser une alliance thérapeutique. Léa accepte. La veille de la deuxième séance avec Emma. Je commence à avoir quelques symptômes grippaux. Le lendemain matin mon état ne s’améliore pas, et compte-tenu de la situation sanitaire préoccupante, je ne peux me rendre au CSAPA sans un avis médical préalable. Je suis donc obligée de reporter le rendez-vous avec Emma. Je suis très embêtée de ne pas pouvoir l’honorer. Emma a repris rendez-vous. Léa ne pourra pas venir à la séance suivante. J’appréhende de me retrouver seule face à Emma, et de ne pas savoir maintenir un lien relationnel satisfaisant, dans une expérience thérapeutique tout à fait nouvelle pour moi. Nous nous étions organisées de manière à ce que l’observatrice de la séance, soit aussi la garante du cadre temporel et fasse tiers dans la relation. 

  Accepter de modifier le cadre

 Je m’installe dans la salle où aura lieu la séance en l’attendant. La dame assurant l’accueil me prévient de son arrivée. Emma attend les “roule ta paille”9 qu’elle a demandés à l’accueil. On lui apporte son matériel de consommation visant à la réduction des risques. Je l’invite à me précéder dans les escaliers et j’ai l’impression qu’elle peut s’écrouler à tout moment. Elle est si maigre, et me paraît encore plus fragile que d’habitude, comme si ses jambes peinent à la soutenir. Une fois arrivées dans la salle qui m’est prêtée pour les séances, je lui propose de s’installer sur le fauteuil qui lui convient le mieux. Elle prend place au même endroit que la dernière fois et refuse le fauteuil relax rouge qui me semble plus contenant. Je lui présente mes excuses pour la séance précédente que je n’ai pu honorer, et lui demande de ses nouvelles. Prise dans la discussion, j’oublie de lui parler de l’absence de Léa, qui me laissera d’ailleurs finir le stage sans elle. Emma ne se préoccupe pas non plus de l’absence de ma binôme. Elle vient de rater son rendez-vous avec la psychologue et est profondément déçue et embêtée. Je suis face à un dilemme. Dois-je appeler sa psychologue, prendre le risque qu’elle ne puisse pas la recevoir et donc décevoir Emma qui est déjà extrêmement mal? Ou dois-je me faire confiance et poursuivre la séance ? Je lui propose alors de poursuivre le bilan si elle s’en sent capable, tout en lui signifiant que le seul but est de pouvoir ajuster mes propositions à ses besoins. Elle est d’accord. Je sens Emma beaucoup trop faible pour lui proposer la passation d’items purement corporels comme l’épreuve des pas comptés et l’examen du tonus. Je commence donc par le questionnaire de Moyano. Le test des pas comptés de Marthe Vyl permet d’observer l’adaptation de la personne à l’espace. Cette dernière doit estimer le nombre de pas égaux qu’il lui faut pour traverser la pièce, puis ajuster ses pas de manière à parcourir une même 9 Les “roule ta paille” sont des feuilles de papier cartonné qui permettent, aux usagers qui sniffent, de consommer en utilisant chacun son propre matériel à usage unique, afin de limiter les risques d’infection. 22 distance avec un nombre de pas donné. L’examen du tonus permet d’apprécier le tonus musculaire de la personne. Comme le toucher peut être délicat pour certaines personnes, en particulier pour Emma qui a subi des violences sexuelles, je pratique l’examen du tonus d’une manière différente qui me paraît plus adaptée. Je commence par lui demander de se lever, de tendre les bras vers l’avant, de serrer les poings le plus fort possible et de relâcher à mon signal. Je lui demande ensuite de faire de même, mais cette fois-ci de relâcher les bras quand elle le décide. Cela me permet de savoir si Emma a accès au relâchement musculaire, et d’observer la qualité du relâchement musculaire induit ou non. Je propose ensuite le test des diadococinésies qui consiste à orienter la paume des mains alternativement d’un côté puis de l’autre, les bras fléchis et les épaules relâchées, le plus rapidement possible. Ensuite, je propose à la personne de faire la même chose mais une main à la fois. Je peux ainsi observer le tonus musculaire et les éventuelles syncinésies (reproductions du mouvement de manière inconsciente et involontaire avec l’autre membre) ou paratonies (contractions musculaires involontaires et non-nécessaires d’une autre partie du corps pendant le mouvement demandé). Le questionnaire de Moyano donne des indications sur l’image du corps du patient. Je dois mobiliser beaucoup de ressources en moi pour la maintenir dans la relation, mais tout se passe plus ou moins bien jusqu’à ce que, au détour d’une question, je m’aperçois qu’Emma est absente psychiquement. Je lui demande alors si elle a besoin de parler de ce qui la préoccupe. “Il n’y a pas grand chose à dire.”, dit-elle avant de me raconter en détails la situation traumatique qu’elle a vécu la veille. Elle a en effet, dû faire preuve de beaucoup de sang-froid pour aller secourir un ami qui avait tenté de se suicider chez lui. Elle s’est retrouvée seule, une amie présente à ce moment-là a préféré prendre la fuite. Elle a dû sortir en plein confinement tard dans la nuit et a eu très peur de se faire interpeller par les forces de l’ordre. Dans la précipitation, elle avait oublié son masque. Un inconnu lui en a donné un et l’a raccompagnée chez elle. Je retrouve ici les situations dangereuses dans lesquelles elle se met inconsciemment. À aucun moment elle me dit avoir eu 23 peur de cet homme, au contraire il l’a mise en confiance alors qu’elle ne le connaissait pas. Emma a ensuite rassuré tout l’entourage de son ami qui n’a cessé de l’appeler jusqu’au petit matin. Je suis complètement déboussolée. Je ne sais pas quoi lui répondre. La seule chose à laquelle je me raccroche, c’est le conseil de mes maîtres de stage, qui m’avaient suggéré de laisser le patient modeler la séance que j’avais prévue, et de ne pas rester coincée dans une trame rigide. C’est donc ce que je fais en la laissant exprimer ses angoisses plutôt que de finir le bilan. Seulement, en faisant ça, je perds mon seul repère, ma trame de bilan. J’ai voulu réaliser ce stage en addictologie en ayant en tête l’idée de pouvoir travailler avec mon corps comme médiation. Par corps, j’entends mon corps physique, mais aussi ma personnalité, c’est-à-dire qui je suis dans ma vie personnelle, ma façon d’être une future psychomotricienne, et bien sûr, mes ressentis corporels. J’essaye donc d’être à l’écoute de mon corps somatique et psychique, et je prends ici le parti de prêter une part de mon psychisme à Emma, pour qu’elle le modèle inconsciemment à sa façon, à la manière du médium malléable de René Roussillon (Joly, F., 2015) . J’imagine cette partie-là de mon psychisme, contenant ma personnalité de psychomotricienne, séparée de l’autre qui contiendrait ma personnalité de sujet. Mais je conçois ces deux parties comme des vases communicants. En effet, ma fonction de psychomotricienne me permettrait de digérer les “éléments bêta” (Bion, W-R., 1991) que cette patiente me donnerait à vivre, de les élaborer avec ma sensibilité, tout en restant protégée dans ma personnalité d’une éventuelle intrusion. Si l’on s’appuie sur les propos d’Isabelle Pascal-Cordier, “L’image reflétée par le miroir se dédouble, tout à la fois même et pourtant autre “ (2015, p.153). Ce rôle de miroir va servir à montrer au patient ce qu’il nous renvoie, afin qu’il puisse, avec le temps, visualiser en l’autre ce qu’il éprouve, selon René Roussillon (cité par Joly, F., 2015). Comme l’explique Dominique Quelin-Souligoux, je lui donnerai l’illusion d’une toute-puissance dont elle pourrait se servir pour introjecter le mauvais objet interne sur moi (Klein, M., 2013). Il est donc important d’après Mélanie Klein de se servir de “l’identification projective ayant joué dans les deux sens” (2015, p.159) afin de comprendre ce qui se joue pour les patients.

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Table des matières

Remerciements
Sommaire
Introduction
1. Contexte et questionnement
1.1. Présentation
1.1.1. La structure
1.1.2. La réunion CJC
1.1.3. La première rencontre
1.2. La première séance
1.2.1. Le bilan psychomoteur
1.2.2. Appartenance ou singularité?
1.2.3. Le début d’un long questionnement 17
1.2.4. L’élaboration
1.3. La deuxième séance et le cadre
1.3.1. Au pied levé
1.3.2. Accepter de modifier le cadre
1.3.3. Problématique
2. Le vécu corporel d’Emma à travers le mien
2.1. Une multitude de sensations
2.1.1. Le regard et l’arrière-fond
2.1.2. Le vide
2.1.3. La sidération et l’inquiétude
2.1.4. Le risque du passage à l’acte
2.2. L’absence
2.2.1. L’absence pour penser
2.2.2. La récurrence de l’absence en addictologie
2.2.3. Léa arrête le stage
2.3. Elaboration du projet thérapeutique
2.3.1. Rien
2.3.2. Le dessin du bonhomme
2.3.3. … qui complète le projet thérapeutique
3. Le contre-transfert en relaxation
3.1. L’enveloppe maternante
3.1.1. La méthode de relaxation et de conscience corporelle
3.1.2. La lumière et la petite fille
3.1.3. Le pantin de bois
3.1.4. Le papillon
3.2. La transformation
3.2.1. Le babyfoot
3.2.2. L’unité
3.2.3. Le lien
3.3. La perte du lien
3.3.1. La tension
3.3.2. Sur la même longueur d’onde
3.3.3. La tentative de suicide
Puisqu’il faut conclure
Sitographie
Annexes I
Annexe 1 II
Annexe 2 III
Annexe 3 IV
Résumé

projet fin d'etude

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