Efficacité des aires protégées

Efficacité des aires protégées

Une biodiversité en déclin 

Ces sept espèces d’oiseaux – groupe qui concentrera notre attention à titre d’exemple tout au long de cette thèse pour des questions d’accessibilité des données – aussi éloignées spatialement et taxonomiquement soient-elles, partagent une chose : elles risquent de disparaître de la surface de la Terre à cause des activités humaines (Fig.1). En effet, ces espèces sont toutes considérées comme menacées d’extinction par la Liste Rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN, 2020), au même titre que 25% des espèces de plantes et d’animaux pour lesquelles ce risque a été évalué (IPBES, 2019). Chez les oiseaux, ce sont 1 486 espèces (14%) qui sont menacées d’extinction, auxquelles s’ajoutent 1 017 espèces qui sont Quasi-Menacées («Near Threatened»), alors que 5 108 espèces (47%) sont actuellement en déclin d’après cette même Liste Rouge (IUCN, 2020). Ce déclin n’est pas réservé aux espèces menacées mais affecte l’ensemble des communautés avec une diminution moyenne de l’abondance des vertébrés terrestres estimée à 60% entre 1970 et 2014 par le « Living Planet Index » (WWF, 2018). Ce déclin constaté sur l’ensemble des continents est particulièrement marqué dans les Néotropiques et dans la partie Océano-Pacifique (WWF, 2018).

 Des menaces pesant sur les espèces

 La cause majeure du déclin d’abondance des espèces et de l’augmentation de leur risque d’extinction est la destruction des habitats naturels (IPBES, 2019) qui est répertoriée comme une menace pesant sur 1 243 (84%) espèces menacées d’oiseaux dans le monde, dont cinq des sept espèces citées précédemment (Fig.1, (IUCN, 2020)). Des estimations suggèrent par exemple que la surface continentale couverte par des espaces urbains et agricoles est passée de 5% en 1700 à 39% en 2000 (Ellis et al., 2010). Par conséquent, 75% de la surface continentale présentait en 2009 une empreinte écologique non nulle (i.e., avec des impacts d’activités humaines visibles depuis l’espace, d’après la mesure de la «Human Footprint»), avec des niveaux importants visibles sur tous les continents, particulièrement dans l’hémisphère Nord (Venter et al., 2016b). Les zones importantes pour la biodiversité sont particulièrement touchées puisque seuls 3% des points chauds de biodiversité («Biodiversity Hotspots») et 2% des zones à forte concentration d’espèces menacées de vertébrés sont dépourvues d’empreinte écologique mesurable (contre 25% globalement). Cette empreinte écologique a augmenté globalement de 9% entre 1993 et 2009, avec cependant des nuances : une augmentation particulièrement forte sous les tropiques, mais une diminution dans plusieurs pays à haut PIB (Venter et al., 2016b). Les habitats forestiers sont emblématiques de cette menace qui transforme les paysages et la biodiversité. La déforestation dure depuis des siècles avec une accélération mondiale au XXème siècle (Mouillot and Field, 2005) et continue principalement dans les forêts tropicales, avec une perte de 129 millions d’hectares de forêt tropicale (3%) entre 1990 et 2015 (Hansen et al., 2013; Keenan et al., 2015). Cette déforestation intense affecte fortement la biodiversité, ce qui a poussé la coquette de Guerrero au bord de l’extinction (IUCN, 2018b) et participe également au déclin actuel du ara hyacinthe (IUCN, 2016a) (Fig.1). Plus généralement, la destruction des forêts tropicales est la première menace pour la biodiversité associée à ces milieux (Barlow et al., 2018), pouvant aller jusqu’à l’extinction locale de la quasi-totalité des espèces forestières (Barlow et al., 2016; Gibson et al., 2013). A la destruction des habitats forestiers s’ajoute la dégradation des forêts restantes par des activités telles que la coupe sélective des arbres, la construction de chemins ou l’affinage de la canopée. Cette dégradation impacte fortement la biodiversité, avec un effet d’une magnitude parfois proche de la déforestation (Barlow et al., 2016), rendant les forêts primaires irremplaçables (Gibson et al., 2011). Les forêts, bien qu’emblématiques, ne sont qu’un exemple de l’impact que la perte d’habitat peut avoir sur la biodiversité (IPBES, 2019; WWF, 2018). L’outarde à tête noire, dont les populations avaient déjà été largement amoindries par d’autres causes dont nous parlerons plus loin, subit actuellement un déclin attribué à la conversion des prairies naturelles qui l’hébergent en zones agricoles (Fig.1, (IUCN, 2018a)). La pie-grièche méridionale qui niche dans les garrigues du SudOuest de l’Europe, voit également son territoire de reproduction se réduire à cause de la coupedes haies et d’arbres induite par l’intensification de l’agriculture (Fig.1, (IUCN, 2017b)), et est paradoxalement également menacée dans certains secteurs par la déprise agricole qui referme les habitats de garrigues. Enfin, la sterne néréis voit les plages sur lesquelles elle pond grignotées petit à petit par l’urbanisation et l’érosion littorale de certaines côtes australiennes et de NouvelleCalédonie (Fig.1, (IUCN, 2018c)). La perte d’habitat, bien que jouant un rôle majeur, est loin d’être l’unique menace pesant sur la biodiversité. Une autre menace évidente, puisque son effet est direct, est le prélèvement d’individus impactant 590 espèces d’oiseaux menacées (40%, (IUCN, 2020)). En première ligne, la chasse impacte significativement certaines espèces de manière ciblée (IPBES, 2019; WWF, 2018). Cette activité a amené certaines espèces à l’extinction comme cela a été mis en évidence pour le pigeon voyageur, Ectopistes migratorius. Cette espèce nord-américaine dont l’abondance pouvait noircir le ciel durant la migration jusqu’au XIXème siècle, a été décimée jusqu’au dernier individu sauvage probablement abattu en 1901 (Schorger, 1955). Plus d’actualité est le cas de l’outarde à tête noire, dont le déclin est principalement attribué à une chasse massive, mettant cette espèce en danger critique d’extinction. Malgré une population globale aujourd’hui estimée entre 50 et 250 individus matures, la pression de chasse illégale continue (Fig.1, (IUCN, 2018a)). Une métaanalyse d’études réalisées dans les forêts tropicales suggère que les activités de chasse diminuent l’abondance en oiseaux de 58% en moyenne, avec des effets perceptibles à plusieurs dizaines de kilomètres des routes et autres points d’accès des chasseur·se·s (Benítez-López et al., 2017). Quand ces prélèvements ne se font pas avec des fusils, ils peuvent se faire avec des pièges afin de capturer des individus vivants qui seront ensuite vendus pour devenir des oiseaux de captivité. Le ara hyacinthe est aujourd’hui classé comme vulnérable d’extinction à cause de captures importantes durant la seconde moitié du XXème siècle (par exemple, >10 000 individus prélevés dans les années 1980), captures qui continuent occasionnellement (Fig.1, (IUCN, 2016a)). Globalement, c’est un tiers des espèces de l’avifaune mondiale qui a fait l’objet d’échange d’individus captifs vivants (BirdLife International, 2008), avec un taux de capture particulièrement élevé pour les Psittaciformes (par exemple, perroquets, cacatoès, loris), les Passeriformes (passereaux) et les Falconiformes (par exemple, faucons, fauconnets, caracaras), et affectant tous les continents (Bush et al., 2014). Une autre menace pesant sur les espèces est la pollution, qui peut avoir un impact direct (par exemple mortalité des individus ou baisse de fertilité) ou indirect (par exemple en entraînant la raréfaction des proies). Son impact direct a été relevé dans de nombreux cas, notamment concernant les rapaces capturant des proies ayant ingéré des poisons. Chez les oiseaux, l’empoisonnement impacte particulièrement les rapaces, en haut de la chaîne alimentaire, représentant pour eux la sixième menace et la seconde pour les vautours de l’ancien monde (McClure et al., 2018). C’est par exemple le cas du vautour oricou dont les déclins sont largement associés à l’utilisation de Strycnine pour contrôler les populations de corvidés ravageurs de culture et de rongeurs dont le vautour se nourrit en partie (Fig.1, (IUCN, 2016c)). D’autres produits impactent les populations d’insectes et donc indirectement toute la chaîne trophique au-dessus d’elles. En effet, les intrants de l’agriculture intensive induisent des déclins de populations importants 

UNE BIODIVERSITÉ EN DÉCLIN

L’aire de répartition actuelle de chaque espèce est représentée sur la carte, en clair pour les zones où l’espèce ne se trouve qu’en période inter-nuptiale. Le statut IUCN est noté sur la photo («VU» pour «vulnérable» < «EN» pour « en danger » < «CR» pour «en danger critique d’extinction») et les menaces pesant sur l’espèce sont indiquées sous la photo (IUCN, 2020). La pie-grièche méridionale, par exemple, semble menacée en grande partie par la raréfaction des populations d’insectes due à l’intensification de l’agriculture (Fig.1, (IUCN, 2017b)). Une menace plus récente est liée aux changements climatiques qui peuvent avoir un effet néfaste – en particulier par des hausses de température, baisses de précipitations et fonte des glaces – sur la survie et la fécondité des populations d’oiseaux (Jenouvrier, 2013), notamment chez les espèces les moins thermophiles (Jiguet et al., 2010). C’est par exemple le cas du harfang des neiges, dont la proie de choix, le lemming, est de moins en moins abondante au moment de la période de reproduction des chouettes (Fig.1, (Gilg et al., 2009; IUCN, 2017a)). Ces pressions exercées par les changements climatiques mènent certaines espèces à décaler progressivement, quand cela leur est possible, leur aire de répartition en latitude (en direction des pôles) ou en altitude (vers des altitudes plus élevées) pour retrouver des conditions thermiques similaires (Hobbs et al., 2018). Une étude menée sur les oiseaux communs européens suggère par exemple que les espèces se sont décalées vers le Nord de 37 km en moyenne entre 1990 et 2008, ce qui pourrait en partie être dû aux changements climatiques (Devictor et al., 2012). Ces menaces pèsent particulièrement sur les espèces dont l’aire de répartition est restreinte ou en altitude (¸Sekercio˘glu et al., 2012). D’autres effets des changements climatiques risquent d’avoir des conséquences importantes pour quelques espèces, comme par exemple la montée du niveau des mers qui menace d’inonder les colonies de la sterne néréis (Fig.1, (IUCN, 2018c)). D’autres activités anthropiques peuvent également menacer les espèces (IPBES, 2019; WWF, 2018). La mortalité directe, provoquée par des collisions avec des véhicules, des lignes électriques ou des avions peut impacter fortement certaines populations, comme cela semble le cas avec le harfang des neiges (Fig.1, (IUCN, 2017a)). Les dérangements humains, principalement durant la reproduction, peuvent également affecter les populations. Ainsi, les adeptes de kite-surf ou de balades canines sur les plages d’Océanie augmentent les difficultés de la sterne néréis à mener à terme ses nidifications (Fig.1, (IUCN, 2018c)). En parallèle, cette même sterne est menacée par des espèces invasives de prédateurs (chats, chiens, renards) qui diminuent encore le succès reproducteur de cette espèce nidifuge. Les espèces invasives peuvent également impacter les populations natives en entrant en compétition avec elles, ou en modifiant l’habitat. C’est par exemple le cas de l’arbre Prosopis juliflora, une espèce invasive des prairies indiennes qui a un fort impact sur les populations d’outarde à tête noire (Fig.1, (IUCN, 2018a)). L’ensemble de ces activités induit une diminution des abondances (par exemple, un site qui comptait autrefois 500 individus d’outarde à tête noire voit sa population passer à 50 individus suite à une perturbation), ce qui peut à terme induire la disparition de cette espèce au niveau local (la perturbation devient si forte que la population d’outardes à tête noire ne peut plus se reproduire sur ce site et disparaît). C’est ce que l’on appelle l’extinction locale : la disparition sur un site donné d’une espèce qui était présente auparavant. C’est en accumulant les extinctions locales qu’une espèce peut voir son aire de répartition se restreindre (ainsi l’outarde à tête noire a  été évincée de 90% de son aire de répartition; Fig.1, (IUCN, 2018a)), et à terme mener à l’extinction globale de l’espèce. Ces impacts des activités humaines au niveau spécifique, qu’ils causent des baisses d’abondance ou des extinctions locales, vont se traduire par des modifications du cortège d’individus et d’espèces présents sur un site donné. Au cours de cette thèse, nous désignerons cet ensemble d’individus d’espèces d’oiseaux présents sur un site donné en utilisant le terme «assemblage» plutôt que «communauté». Le terme de communauté, s’il est employé, sous-tendra un intérêt pour les interactions entre les individus, là où l’assemblage désignera l’ensemble des individus, qu’ils soient en interactions directes ou pas.

 Impact des activités anthropiques sur les assemblages 

Une première conséquence attendue des impacts des activités humaines sur les assemblages est une baisse de l’abondance totale des individus présents sur un site suite aux effets néfastes de ces activités sur les espèces. Une étude récente, combinant les résultats de suivis à long terme des oiseaux d’Amérique du Nord à des suivis par radar des oiseaux en migration, suggère par exemple une chute nette de 29% de l’abondance totale d’oiseaux depuis 1970 (Rosenberg et al., 2019). Dans le cas où ces baisses d’abondance sont si drastiques que certaines espèces subissent une extinction locale, une autre conséquence sera attendue au niveau de l’assemblage : une baisse de richesse spécifique, c’est-à-dire du nombre d’espèces présentes sur le site. Newbold et al. (2015), dans une analyse globale et multi-taxon, ont mesuré une perte de richesse spécifique sur des sites ayant subi des pressions anthropiques, de 14% en moyenne, pouvant atteindre localement 77% quand les pressions sont particulièrement intenses. Similairement, Murphy and Romanuk (2014), en combinant les résultats de 245 études, ont mesuré une baisse de richesse spécifique de 18% dans les sites ayant subi des perturbations anthropiques, notamment des changements d’utilisation du sol. Cet indice de richesse spécifique est très couramment utilisé mais n’est pourtant pas le plus pertinent pour mesurer les transformations des assemblages, puisque ces transformations ne se traduisent pas nécessairement par une baisse d’abondance totale ou de richesse spécifique des assemblages (Chase et al., 2019). En effet, la réponse des espèces aux pressions anthropiques est loin d’être homogène, menant certaines espèces à voir leurs tailles de populations augmenter du fait des pressions anthropiques (Rosenberg et al., 2019). La déforestation au Mexique, par exemple, menace la coquette de Guerrero (Fig.1), mais permet à des espèces de milieux ouverts telles que le tyran mélancolique, Tyrannus melancholicus, de coloniser les sites nouvellement déforestés et de voir ainsi leurs populations augmenter (Rutt et al., 2019; Mobley, 2020). Les changements climatiques que subissent les toundras groenlandaises font chuter la population de harfang des neiges (Fig.1), mais semblent partiellement expliquer l’expansion vers le Nord du bruant lapon, Calcarius lapponicus (Virkkala et al., 2014). Ainsi, dans bon nombre de cas, les extinctions locales sont suivies par des colonisations locales. Dans ces cas-là, documentés par de nombreuses études, la transformation des assemblages ne se traduit pas nécessairement par une variation de la richesse spécifique. Une étude portant sur des phytoplanctons et des assemblages de plantes prairiales a notamment mis en évidence une transformation quasi-complète de la composition des assemblages sans qu’aucun effet sur la richesse spécifique ne soit mesuré (Hillebrand et al., 2018). A plus large échelle, une méta-analyse incluant plus de 100 suivis temporels standardisés de la biodiversité, n’a détecté aucune variation de richesse spécifique malgré de fortes modifications de la composition des assemblages (Dornelas et al., 2014). Dans certains cas, non seulement la richesse spécifique ne diminue pas en réponse à des pressions humaines, mais elle augmente. Reprenons le cas du site subissant une déforestation au Mexique, entraînant simultanément l’extinction locale de la coquette de Guerrero et la colonisation du tyran mélancolique. Imaginons que la perte de forêt sur le site n’ait pas été totale et que seule la moitié de la forêt ait été coupée. Le morceau restant de forêt suffira peut-être à maintenir, au moins temporairement, quelques couples de coquettes, alors que les premiers couples de tyrans pourront s’installer grâce à l’ouverture partielle du paysage. Dans ce cas-là, la perturbation induit une augmentation de la richesse spécifique car cette perturbation est intermédiaire : l’absence de perturbation n’aurait pas permis au tyran de s’installer et une perturbation trop importante aurait conduit la coquette de Guerrero à l’extinction locale. Cette théorie, très utilisée mais finalement peu étayée par des résultats empiriques (Fox, 2013), a été formalisée sous le nom d’hypothèse de perturbation intermédiaire, ou «Intermediate Disturbance Hypothesis» (Roxburgh et al., 2004). D’autres perturbations peuvent induire des augmentations de richesse spécifique, notamment l’introduction d’espèces exogènes (Ellis et al., 2012). Cette apparente contradiction entre le fort impact des activités humaines sur les espèces dont nous avons discuté précédemment, et l’effet faible voire nul de ces activités sur la richesse spécifique, s’explique par le fait que les impacts sur les espèces ne se font pas au hasard et ont tendance à homogénéiser les assemblages. En effet, les pressions anthropiques profitent en général à quelques espèces aux caractéristiques particulièrement adaptées aux activités humaines et pouvant ainsi mener à un accroissement de la similarité entre les assemblages de différents sites (c’est-à-dire une baisse de la dissimilarité des assemblages, que l’on appelle la diversité β) dans un processus appelé homogénéisation biotique (McKinney and Lockwood, 1999; Clavel et al., 2011; Finderup Nielsen et al., 2019). Cela serait par exemple le cas si le remplacement de la coquette de Guerrero par le tyran mélancolique mentionné précédemment s’accompagnait, sur des sites voisins, du remplacement d’autres espèces spécialistes des habitats forestiers par le même tyran mélancolique. La richesse spécifique des sites (diversité α) n’aurait alors pas varié puisque chaque site aurait subi une extinction locale et une colonisation. En revanche, la diversité β aurait diminué puisque ces transformations auraient rendu les assemblages plus similaires et la diversité γ, c’est-à-dire le nombre total d’espèces de la région, aurait également diminué. Ce concept d’homogénéisation biotique décrit que les perturbations profitent en général à quelques espèces, telles le tyran mélancolique qui est en expansion globalement (Mobley, 2020), mais affectent négativement une majorité d’espèces et que cette relation dépend fortement des caractéristiques des espèces. En premier lieu, l’impact des perturbations humaines sur les espèces dépend fortement de la niche écologique des espèces (i.e., l’ensemble des conditions nécessaires à la viabilité de ses populations). Dans l’exemple ci-dessus, toutes les espèces ayant disparu partageaient une préférence d’habitat pour les forêts tandis qu’une unique espèce préférant les milieux ouverts est apparue. Les traits fonctionnels représentés au sein de l’assemblage (par exemple, préférence d’habitat, régime alimentaire, taille, trait comportemental. . . ) ont donc changé. De nombreuses études montrent que ces transformations de composition des assemblages en réponse à des pressions anthropiques vont souvent dans le sens d’une perte de diversité fonctionnelle, c’està-dire d’une diminution de la diversité de traits représentés dans les assemblages (Barnagaud et al., 2017b, 2019). De plus, les espèces les plus affectées sont souvent celles présentant une forte spécialisation envers leur habitat comme le résument Clavel et al. (2011) dans une revue de littérature combinant résultats empiriques et théoriques. Cette revue met en évidence un impact plus important des activités anthropiques sur les espèces spécialistes (i.e., avec une niche écologique étroite) que sur les espèces généralistes (i.e., avec une niche écologique large), qui bénéficient souvent de ces activités. Cela suggère à terme une ressemblance accrue entre les assemblages avec une perte des espèces les plus originales au profit d’espèces généralistes. Rutt et al. (2019) observent également ces changements d’assemblages d’oiseaux au Brésil à la suite d’une déforestation expérimentale. En effet, les espèces qui colonisent ces sites suite à la déforestation sont des espèces généralistes qui viennent remplacer des espèces spécialistes des habitats de forêts. D’après cette même étude, les espèces endémiques et donc à petite aire de répartition sont plus touchées par ces perturbations humaines puisque les espèces colonisant les sites ayant subi la déforestation étaient principalement des espèces à large aire de répartition (Rutt et al., 2019). D’autres études mettent en évidence des transformations des assemblages au profit des espèces à large aire de distribution (Newbold et al., 2018; Finderup Nielsen et al., 2019), suggérant là aussi une homogénéisation des assemblages. Les activités humaines ont également tendance à affecter de manière différenciée les différents groupes taxonomiques. Imaginons par exemple qu’une extinction locale d’outarde à tête noire soit accompagnée d’une extinction locale de toutes les espèces de la famille des Otididae (outardes). La perte ne sera alors plus uniquement taxonomique (i.e., perte d’un certain nombre d’espèces), mais tout un pan de la phylogénie des oiseaux disparaîtra du site, menant donc à une perte importante de la diversité des espèces pouvant être observées sur un site. Dans ce cas-là, la diversité phylogénétique, c’est-à-dire la diversité de lignées évolutives représentées par les espèces présentes sur le site, diminue. Cela a été observé par exemple sur les assemblages d’oiseaux au Costa Rica, où l’agriculture intensive mène à l’extinction locale de lignées entières des assemblages (par exemple, trogons, manakins, toucans) menant à une perte de diversité phylogénétique (Frishkoff et al., 2014). La même étude rapporte une baisse de diversité phylogénétique significative, bien que moins importante, dans les milieux agricoles plus extensifs mais qui n’est pas associée à une baisse de la richesse spécifique. Cela suggère donc le remplacement d’espèces éloignées phylogénétiquement par des espèces moins distinctes évolutivement. Ces extinctions locales de lignées touchent principalement les taxons dont la niche écologique a peu évolué (notamment en termes de préférences d’habitats), c’est-à-dire que les espèces à fort conservatisme de niche sont moins capables de s’adapter aux perturbations humaines (Lavergne et al., 2013). A l’inverse, certains taxons s’accommodent bien de la présence humaine grâce à la largeur de leur niche écologique (par exemple les étourneaux ou certains laridés), voire ont évolué vers une relation commensale avec les populations humaines (par exemple les hirondelles et martinets en Europe). Cette perte des espèces les plus caractéristiques des assemblages (endémiques, spécialistes, originales taxonomiquement ou simplement rares) accroit fortement la ressemblance de composition entre les sites et participe donc à l’homogénéisation biotique (Clavel et al., 2011). Ce phénomène est particulièrement marqué dans les milieux urbains qui constituent des milieux d’extrême pression anthropique, fortement homogènes à travers le globe et subissant de forts taux d’invasions biologiques (McKinney, 2006). De ce fait, bon nombre de villes ont vu leurs espèces locales disparaître et être remplacées par une poignée d’espèces anthropophiles (i.e., espèces actuellement adaptées aux activités humaines). Ainsi, le pigeon biset, Columba livia, la perruche à collier, Psittacula krameri, et le moineau domestique, Passer domesticus, sont aujourd’hui présents sur tous les continents (sauf Antarctique) suite à des introductions d’origine anthropique. Ce constat de substitution des espèces anthropophobes (i.e., sensibles aux pressions humaines), par des espèces anthropophiles se vérifie bien au-delà de la ceinture des villes, atteignant d’autres milieux perturbés par les activités humaines (McKinney, 2006; Guetté et al., 2017). Tous ces éléments soulignent que la diversité des espèces est bien trop multivariée pour être résumée en une seule variable puisque la tendance émergente dépend de la facette de la biodiversité et de l’échelle considérées. McGill et al. (2015) proposent une catégorisation en quinze formes de tendances de la biodiversité. La richesse spécifique par exemple, est en claire diminution à l’échelle globale (diversité γ globale), puisque le taux global d’extinction est plus élevé que le taux de spéciation, alors qu’à l’échelle locale la richesse spécifique (diversité α) ne montre pas de tendance cohérente. Cependant, les auteur·rice·s suggèrent que les assemblages subissent des changements de composition de plus en plus importants, ce qui se traduit par une augmentation de la diversité β temporelle, c’est-à-dire la dissimilarité de composition d’un même site acquise entre deux dates. Ces transformations affectant les assemblages de façon similaire mènent à une baisse de la différence entre assemblages, ou homogénéisation biotique, à l’échelle locale mais également à l’échelle biogéographique. Les auteur·rice·s suggèrent donc de s’intéresser à différents traits des espèces composant les assemblages afin de caractériser les transformations que ces derniers subissent : la diversité fonctionnelle des espèces, leur diversité phylogénétique, leur degré de rareté, leur degré de spécialisation, et leur degré d’anthropophilie (McGill et al., 2015), des variables qui ne sont pas nécessairement corrélées (Devictor et al., 2010). 

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Table des matières

Table des figures
Liste des tableaux
Introduction générale
Chapitre 1 : Utilisation d’un jeu de données de suivi de biodiversité à large
échelle pour tester l’efficacité des aires protégées dans la protection des oiseaux d’Amérique du Nord
Chapitre 2 : Efficacité des aires protégées dans la conservation des assemblages d’oiseaux des forêts tropicales
Chapitre 3 : Les aires protégées sont trop rares et dégradées pour protéger les espèces les plus sensibles
Chapitre 4 : Les aires protégées sont-elles efficaces dans la conservation de la connexion des humains avec la nature et la promotion de comportements proenvironnementaux ?
Chapitre 5 : Autres contributions scientifiques
Discussion générale
Références

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