Efficacité cérébrale de l’association lomustine, cyclophosphamide
Matériel et méthodes
Pour cette étude rétrospective, monocentrique, les patients suivis au sein du Centre Francois Baclesse de Caen (France) pour un carcinome neuroendocrine de grade élévé et traités par l’association de lomustine, cyclophosphamide et étoposide entre Décembre 2009 et Janvier 2021 ont été recensés. Les patients inclus devaient être majeurs, présenter des métastases cérébrales au début du traitement ainsi qu’une imagerie cérébrale pré thérapeutique et ne pas avoir signalé de refus à la collecte de données dans leurs dossiers médicaux. Les données de chaque patient ont ensuite été recueillies de façon anonymisée afin d’être analysées. Les données recueillies dans le dossier informatique étaient les suivantes : • Caractéristiques globales : âge, sexe, date de naissance, tabagisme, exposition professionnelle, date de décès ou des dernières nouvelles le cas échéant, • Caractéristiques liées à la maladie : date du diagnostic, histologie, stade au diagnostic, localisations métastatiques initiales et au début du traitement par lomustine, cyclophosphamide, étoposide), • Caractéristique du traitement de première ligne : dates de début et fin de traitement, type de traitement réalisé, toxicités observées, • Caractéristiques du traitement par lomustine, cyclophosphamide, étoposide : dates de début et de fin, ligne thérapeutique, nombre de cycles réalisés, toxicité, réponse cérébrale, réponse globale, dates de ces réponses, date de progression le cas échéant, motif d’arrêt du traitement, nombre et causes des hospitalisations en cours de traitement., • Caractéristiques des autres traitements de deuxième ligne ou de lignes ultérieures : dates de début et de fin, ligne thérapeutique, nombre de cycles réalisés, toxicité, date de progression le cas échéant, motif d’arrêt du traitement, nombre et causes des hospitalisations en cours de traitement. La réponse cérébrale a été évaluée par une relecture des imageries cérébrales du patient avant traitement et lors des évaluations successives en cours de traitement. Les critères RANO (Response Assesment in Neuro-Oncology) ont été utilisés pour l’évaluation des métastases cérébrales (30). Brièvement, ces critères associent d’une part une mesure des lésions cibles cérébrales de plus de 10 mm et d’autre part une évaluation clinique. L’évaluation clinique tient compte notamment de l’examen neurologique, et de la dose de corticothérapie prise par le patient. Quatre types de réponses sont possibles : la réponse complète (CR), la réponse partielle (PR), la stabilité (SD) et la progression (PD). Les critères permettant de 9 qualifier la réponse sont présentés en annexe 2. Une autre analyse incluant toutes les métastases cérébrales, y compris celles inférieures à 10mm, a été réalisée en gardant les mêmes bornes d’efficacité. La réponse globale a été évaluée par relecture des imageries pré thérapeutiques et lors des évaluations successives en cours de traitement selon les critères RECIST 1.1 (Response Evaluation Criteria In Solid Tumours) pour les lésions extra-cérébrales (31). Les différentes catégories de réponse sont identiques aux critères RANO cependant, contrairement aux critères RANO, les critères RECIST 1.1 ne prennent en compte que la mesure des lésions cibles pour définir la réponse. Les critères permettant de qualifier la réponse sont présentés en annexe 2. Toutes les mesures des lésions cérébrales et extra-cérébrales ont été réalisées par le même opérateur. Sur le plan statistique, les variables quantitatives sont décrites par leur moyenne et écarttype. Les variables qualitatives sont décrites par les effectifs et pourcentages. Les variables quantitatives sont comparées par le test de Student si elles suivent une loi normale ou par le test non paramétrique de Wilcoxon-Mann-Whitney si elles ne suivent pas une loi normale. Pour les variables qualitatives, le test utilisé pour les comparer est un test du Chi2, ou bien un test de Fisher si l’effectif d’au moins un des groupes est inférieur à 5. Le risque α permettant de déterminer la significativité statistique d’un test est fixé à 5%. Les courbes de survie ont été réalisées en utilisant la méthode de Kaplan-Meyer. Toutes les analyses ont été effectuées via le logiciel R version 4.0.2
Discussion
Avec un taux de réponse objective cérébrale de 56.3% et un taux de contrôle de la maladie intra-cérébrale de 81.7% selon RANO dans cette cohorte rétrospective, le traitement par lomustine, cyclophosphamide et étoposide semble être un traitement efficace dans le traitement des patients avec carcinomes neuroendocrines avec métastases cérébrales à partir de la seconde ligne de traitement métastatique. Ceci est confirmé par les taux de réponse objective cérébrale (59.3%) et de contrôle de la maladie cérébrale (79.6%) lorsque l’on considère toutes les lésions cérébrales et non plus seulement celles évaluables par les critères RANO. En effet, les lésions cérébrales peuvent effectivement être symptomatiques du fait de leur taille, mais également par leur nombre important ou bien par leur localisation, et ce même si elles sont de taille inférieure à 10mm. La principale limite de ce recueil consiste en son caractère rétrospectif, ce qui ne nous a pas permis d’obtenir des informations sur l’examen clinique neurologique qui fait partie des critères RANO. La toxicité de cette chimiothérapie orale est également acceptable avec uniquement 10 évènements de grade 3- 4 selon le CTCAE dont 9 étaient de type hématologique. Il faudra s’assurer qu’avec l’utilisation plus fréquente de l’immunothérapie pour traiter ces patients en première ligne, il n’y aura pas une augmentation des effets indésirables comme c’est par exemple le cas avec les inhibiteurs de tyrosine kinase ciblant l’EGFR (32). Dans la littérature, quelques autres chimiothérapies ont été évaluées sur leur efficacité cérébrale. C’est le cas de l’étoposide seul à la dose de 250mg/m² par voie intra-veineuse pendant 5j toutes les 3 semaines : l’équipe de Kleisbauer (33) l’a utilisé chez 19 patients avec cancer bronchique dont 5 CPC parmi lesquels 2 ont répondu (40%) avec cependant une toxicité importante puisque 7 décès toxiques (36.8%) sont rapportés. Postmus et al. (34) obtiennent des résultats similaires chez 23 patients avec CPC : taux de réponse de 43% avec 5 décès toxiques. Une autre molécule étudiée est le téniposide, molécule similaire à l’étoposide (35) qui n’est actuellement plus utilisée en clinique. La dose utilisée était de 120mg/m² en intra-veineuse 1 jour sur 2, 3 injections toutes les 3 semaines. Une première série de 8 patients avec CPC rapporte 3 (37.5%) réponses objectives ainsi que 4 stabilités (50%) avec une durée moyenne de réponse de 8.2 mois (36). Cependant, à la différence de notre série, 75% des patients n’avaient que des métastases cérébrales lors du traitement ce qui peut expliquer la différence de durée de réponse avec notre série. L’autre série décrit un taux de réponse cérébrale de 33% chez 80 patients avec CPC, avec une toxicité importante puisque 10% des patients ont eu une toxicité de grade 5 (37). Groen et al. rapportent les résultats de 20 patients traités par carboplatine 400mg/m² par voie intraveineuse toutes les 4 21 semaines avec un taux de réponse de 40%, une toxicité acceptable et une durée moyenne de réponse de 8 semaines (38). Enfin, une série de 30 patients traités par topotecan 1.5mg/m² par voie intraveineuse pendant 5 jours consécutifs toutes les 3 semaines montre un taux de réponse de 33% d’une durée moyenne de 3 mois avec cependant une toxicité importante puisque 50% des patients présentaient une leucopénie de grade 3-4, responsable d’infection dans 17% des cas, et 28% présentaient une thrombopénie de grade 3-4 (39). Les essais évaluant les protocoles utilisés actuellement ne présentent pas de résultats spécifiquement sur l’efficacité cérébrale de ceux-ci (24-26) ou bien encore n’incluaient pas de patients présentant des métastases cérébrales non traitées (27). La principale alternative aux traitements systémiques pour les métastases cérébrales est constituée par la radiothérapie de l’encéphale. L’équipe de Postmus rapporte les résultats de 22 patients ayant une maladie métastatique uniquement cérébrale qui ont reçu une irradiation type EIT à la dose de 30 grays. Le taux de réponse était de 50% avec une durée moyenne de réponse de 5.4 mois (40). La plus grosse série rapportée comporte 59 patients avec CPC ayant une irradiation encéphalique dont 36 ont une évolution cérébrale secondairement à un premier traitement. Parmi ces 36 patients, un taux de réponse de 55.6% est observé, dont la moitié de réponses complètes. Cependant, 33.3% des patients sont décédés de façon précoce, c’est-à-dire dans les 8 semaines suivant la radiothérapie. Les auteurs ont tenté de corréler la survie à la dose reçue par le patient : les patients recevant une dose inférieure à 30 grays avaient une survie de 1 mois, ceux recevant une dose entre 30 et 39.9 grays une survie de 2 mois et ceux recevant une dose de 40 grays une survie de 6 mois (41). Aucun test statistique n’a cependant été réalisé pour établir si ces différences étaient significatives. Il est également possible d’associer un traitement systémique à la radiothérapie cérébrale. Un essai de phase 3 a comparé l’utilisation du téniposide aux doses décrites précédemment avec ou sans l’irradiation de l’encéphale en totalité à la dose de 30 grays en 10 fractions. Le taux de réponse cérébrale du téniposide était de 22% alors que celui-ci du traitement combiné était de 57% (p<0.001). La durée de réponse ainsi que la survie globale étaient similaires entre les deux groupes. La toxicité était celle attendue du téniposide avec une forte toxicité hématologique sans décès. Le bras de traitement combiné retrouvait 11% de nausées/vomissements de grade 3-4 alors que le bras téniposide seul en avait 5% (42). Dans notre série, le traitement par lomustine, cyclophosphamide et étoposide reste efficace qu’il soit utilisé avant ou après une irradiation encéphalique. Le problème principal lié à l’irradiation encéphalique est le fait qu’elle impose la suspension du traitement systémique par molécules cytotoxiques, ce qui peut parfois être délétère pour le patient. De plus, le traitement oral permet de s’affranchir des contraintes liées à l’organisation de la radiothérapie : il peut 22 être mis en œuvre dès la consultation constatant la progression, ne nécessite pas d’allerretour entre un centre hospitalier et le domicile du patient. Sur le plan global, le taux de réponse est de 52.3%, le taux de contrôle de la maladie est de 66.1% et la survie globale à partir de l’instauration du traitement est de 5.5 mois. Ces données sont cohérentes avec celles de la littérature puisque l’on retrouve un taux de contrôle de la maladie de 61.6% et une survie globale de 6.1 mois dans l’essai de phase 2 ayant évalué cette chimiothérapie (28), et ce alors même que nous évaluons un sous-groupe de patients avec métastases cérébrales donc de moins bon pronostic. Ces taux sont similaires à ceux que l’on retrouve avec certains des protocoles utilisés en 2ème ligne comme le CAV : taux de contrôle de 45.5% et survie globale de 5.8 mois (23). Ils sont même parfois meilleurs que ceux d’autres protocoles de 2ème ligne comme le topotecan intra-veineux : taux de réponse de 24.3% et survie globale de 24.7 mois (17), le topotecan oral : taux de réponse de 18.3% et survie globale de 33 semaines (18). Ils sont toutefois un peu moins bons que ceux obtenus avec la lurbinectedine qui retrouve un taux de réponse de 35.2% ainsi qu’un taux de contrôle de la maladie de 68.6% avec une survie globale de 9.3 mois (19). Cette différence peut être liée au fait que les patients inclus dans l’étude de la lurbinectedine n’avaient pas de métastases cérébrales, dont la présence est un facteur de mauvais pronostic (43). On pourra également évoquer l’irinotecan qui a montré chez les patients asiatiques un taux de réponse de 22.2%, un taux de contrôle de la maladie de 66.7% et une survie globale de 19 mois (44). Ces résultats ne sont cependant pas extrapolables à la population caucasienne étant données les différences de métabolisme de l’irinotecan liées aux polymorphismes génétiques différents entre les deux populations (45). Enfin, ce traitement comporte également un avantage pour les patients. En effet, le fait que la prise de traitement soit uniquement orale est un point fortement apprécié par les patients. Une revue de la littérature de 2016 s’intéressant à la préférence des patients sur la voie d’administration des traitements (orale vs intraveineuse), relève que 84.6% des articles s’intéressant à ce sujet montrent une préférence pour la voie orale (46). Plus spécifiquement dans le cas des cancers pulmonaires, une étude de préférence entre traitement oral et intraveineux montre que 80.7% des patients préfèrent prendre des comprimés à leur domicile plutôt que de venir faire un traitement par voie intraveineuse à l’hôpital (47). Etant donnée la survie médiane faible de ces patients (5.5 mois), il est important que le traitement qui leur est proposé soit le plus acceptable possible
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