Au cours des deux derniers siècles, les activités humaines ont causé beaucoup de changements dans la nature, notamment dans le paysage terrestre ou dans les océans (p. ex. : destruction d’habitat, surexploitation des ressources naturelles), les cycles biogéochimiques, le climat et la biodiversité (IPCC, 2014; Vitousek et al., 1997b). Il n’existerait aucun écosystème marin non affecté par les activités humaines et une grande partie de ces derniers seraient influencés par des stress et des perturbations d’origines multiples (Halpern et al., 2008).
Les facteurs externes affectant les communautés sont généralement subdivisés en deux catégories : les stress et les perturbations. Les stress se caractérisent par des conditions pouvant changer la production de biomasse (p. ex. réduction en luminosité et enrichissement en nutriments). Les perturbations occasionnent une perte totale ou partielle de biomasse et peuvent être issues de phénomènes biotiques (p. ex. consommation par niveau trophique supérieur, enlèvement par l’homme) ou abiotiques (p. ex. dommage par les vagues, le froid et la dessiccation) (Grime, 1977). Dans le but d’alléger le texte, le terme stress sera utilisé pour les généralités autant à titre de stress que de perturbation et les termes précis seront utilisés pour les cas spécifiques. Cependant, veuillez noter que les changements induits sur les communautés dans cette thèse sont des stress dans les cas d’enrichissement en nutriment et de réduction de luminosité, et sont des perturbations dans le cas de roche mise à nue, d’enlèvement manuel d’algues et de brouteurs, et de réduction de densité de zostères .
Près de 40 % de la population humaine habite à moins de 100 km des côtes (Agardy et al., 2005). Les écosystèmes côtiers sont sujets à de nombreux stress induits par les activités humaines p. ex. : destruction d’habitat, eutrophisation, augmentation de sédimentation, perte de biodiversité et espèces envahissantes (Airoldi et Beck, 2007; Halpern et al., 2008; IPCC, 2014; Short et Wyllie-Echeverria, 1996; Vitousek et al., 1997b). Ces stress altèrent la structure et le fonctionnement des écosystèmes (Cardinale et al., 2012; Hawkins et al., 2009; Hooper et al., 2012).
En général, les producteurs primaires des estuaires et des zones côtières sont limités par l’azote (Howarth, 1988). La fixation artificielle de l’azote par l’homme a doublé la quantité d’azote disponible pour les organismes vivants (Vitousek et al., 1997a; Vitousek et al., 1997b). L’eutrophisation des milieux côtiers peut mener à des changements dans la structure des communautés benthiques (Kraufvelin, 2007; Worm et Lotze, 2006) allant jusqu’à la disparition de macrophytes structurants (Duarte, 2002; Short et Wyllie-Echeverria, 1996).
Les écosystèmes côtiers peuvent également être touchés par les changements globaux tels que l’augmentation de la température, l’augmentation du niveau de la mer, les changements au niveau de la salinité, l’augmentation de la concentration en dioxyde de carbone et des rayonnements ultraviolets (Harley et al., 2012; Short et Neckles, 1999). Il est primordial de développer des connaissances dans le but de restreindre les effets nocifs des activités humaines sur les écosystèmes puisqu’une récupération est possible là où des efforts de conservation sont mis en place (Lotze et al., 2006).
L’augmentation des stress sur les côtes pourrait affecter les assemblages benthiques, d’abord au niveau de leur structure d’abondance et ensuite sur leur composition en espèces allant jusqu’à une perte en biodiversité locale (Arevalo et al., 2007; Hillebrand et al., 2008; Kraufvelin, 2007). Un changement au niveau de la structure de dominance, même seul, est suffisant pour avoir un impact sur les communautés (Doak et al., 1998; Hillebrand et al., 2008). Ces changements au niveau des assemblages provoqueraient des modifications dans le fonctionnement des communautés (p. ex. : respiration, productivité) et dans la stabilité temporelle de leurs propriétés (Bokn et al., 2003; Lotze et al., 2006; Stachowicz et al., 2002).
On sait qu’une perte en biodiversité et des changements dans la composition des assemblages peuvent altérer les biens et services rendus par les écosystèmes (Chapin et al., 2000; Hooper et al., 2005; Worm et al., 2006). Les écosystèmes offrent notamment des fonctions écosystémiques (p. ex. : production algale, production de poissons, purification, recyclage, détoxification) (Daily, 1997) et ont une très grande valeur tant pour l’homme que pour la planète (Barbier et al., 2011; Costanza et al., 1997). Ces biens et services étant nécessaires, il devient capital de comprendre les conséquences écologiques que les altérations anthropiques ont sur les écosystèmes (Barbier et al., 2011; Hooper et al., 2005).
Dans la nature, des stress peuvent se produire en simultané et les effets cumulatifs sont difficilement prédictibles à partir d’études simples qui mesurent les effets d’un stress arrivant seul. Effectivement, les effets cumulatifs des stress peuvent être additifs (sans interaction) ou non-additifs (c.-à-d., synergiques ou antagonistes; Fig. 0.1) (Côté et al., 2016 pour différentes interactions possibles; Galic et al., 2018; voir Piggott et al., 2015). Une synergie sera présente lorsque l’effet combiné des stress sera plus grand que l’effet additif anticipé à partir des effets simples, tandis qu’il s’agira d’un antagonisme si cet effet cumulatif est plus petit que la prédiction . Il est aussi possible que les effets d’un stress soient masqués ou annulés par les effets d’un stress dominant . Cependant, il est généralement sous-entendu dans la littérature que les effets sont additifs étant donné un manque de connaissances sur les possibles effets interactifs (Halpern et al., 2007). De plus en plus, les interactions entre stress sont souvent considérées comme étant synergiques sans effectuer de tests (Côté et al., 2016). Il n’existe pas de consensus sur l’incidence relative des différents effets. Par exemple, Strain et al. (2014) rapportent que la majorité des effets sont additifs, tandis que Darling et Côté (2008) rapportent que la majorité sont non-additifs et impossibles à prédire, car menant à ce qu’on appelle des « surprises écologiques » non anticipées. Crain et al. (2008) estiment que le pourcentage d’interactions synergiques en milieux marin et côtier change de 33 à 66 % lorsqu’on passe de deux à trois stress. Il existe peu d’études in situ sur les effets de la multiplication des stress sur les communautés marines (Crain et al., 2008), néanmoins plusieurs études ont documenté des interactions entre des stress (p. ex. : Atalah et Crowe, 2010; Eklof et al., 2009; Guerry, 2008; Lange et al., 2011; Strain et al., 2014).
Il est donc nécessaire d’effectuer des études incluant trois stress ou plus; de telles études sont rares en milieux rocheux marins côtiers dominés par les macroalgues (voir Strain et al., 2014) et presque inexistantes dans les herbiers marins (Blake et Duffy, 2010 en mésocosme; Eklof et al., 2009 en milieu naturel).
Au Canada, même si l’on y a recensé des réductions importantes dans l’abondance de certains groupes taxonomiques, le golfe du Saint-Laurent reste un système relativement peu dégradé par rapport à d’autres systèmes similaires (Lotze et al., 2006). Au Québec, une eutrophisation (Gilbert et al., 2007; Thibodeau et al., 2006), de même qu’une augmentation de la température, des précipitations et de l’érosion côtière sont prévues sur les régions bordant l’estuaire Saint-Laurent (DesJarlais et al., 2010). Les zones côtières peuvent facilement s’éroder sous l’influence des précipitations, du gel-dégel, du vent et des vagues (DesJarlais et al., 2010). L’augmentation de l’érosion côtière est liée à la hausse de la température de la mer, donc du niveau moyen des mers et aux redoux hivernaux (cycle gel-dégel), à la diminution de la durée de la période d’inhibition des vagues par les glaces, et aux changements du régime des tempêtes (Savard et al., 2008). Les communautés côtières seront donc davantage touchées par ces stress au cours des décennies à venir. Plus particulièrement, les communautés de l’étage médiolittoral seront affectées par les changements du régime de couvert de glace par une augmentation des glaces mobiles pouvant racler les substrats, et par une diminution de la protection par les glaces contre les vagues et les températures froides en hiver. On peut s’attendre à ce que les espèces structurantes de ces milieux soient affectées par ces stress soit par plus de perte de biomasse par les glaces et les gelées.
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