Effets macroéconomiques des systèmes de retraite

PAR : Mouna Ben Othman

La question des retraites revêt une importance particulière dans un monde qui cherche à préserver des acquis sociaux difficiles à maintenir en raison de l’évolution démographique. La plupart des pays ayant adopté un système de retraite basé sur le principe de la répartition sont confrontés à des problèmes de viabilité et de soutenabilité financière de leur système. Ce système de retraite basé sur la solidarité entre les générations qui finance les pensions de la période courante à partir des cotisations prélevées auprès des actifs présents au cours de la de la même période est fragilisé par le vieillissement des populations. Les pays européens ont connu un baby-boom après la seconde guerre mondiale suivi d’une baisse du taux de fécondité. Parallèlement, il y a eu une augmentation de l’espérance de vie. Ces deux phénomènes conjugués ont conduit à une hausse du ratio de dépendance , qui d’après les projections d’Eurostat , passerait de 28.6% en 2020 à 38% (soit plus du tiers de la population) 2050 pays membres de l’UE-27. Ce phénomène démographique se traduit par une part grandissante des retraités dans la population ce qui alourdit les dépenses au titre des retraites. Cet effet est d’autant plus amplifié par l’espérance de vie qui se situe autour de 80 ans pour les pays membres de l’UE 27 . Parallèlement, la baisse de la part des cotisants dans la population crée des tensions sur l’équilibre financier de ce système. Dès lors, le maintien des pensions à leur niveau conduira inévitablement le système de retraite par répartition à un déficit budgétaire si aucune action n’est entreprise pour augmenter ses recettes.

Depuis les années 80, plusieurs pays dans le monde ont entrepris des réformes de leur système de retraite par répartition. Ces réformes peuvent être classées en deux catégories. La première catégorie regroupe les réformes qui reposent sur des ajustements paramétriques du régime par répartition sans remettre en question son mode de fonctionnement. C’est notamment le cas de pays qui restent attachés au caractère solidaire du système par répartition, comme la France dont le système de retraite reste déficitaire en dépit de toutes les réformes paramétriques entreprises. Il s’agit alors d’augmenter le taux de cotisation, de réduire le taux de remplacement ou encore de reculer l’âge de départ à la retraite. D’ailleurs, ce dernier paramètre offre une marge de manœuvre importante. Il peut être atteint par le biais de la suppression des dispositifs de départs à la retraite anticipée mais également par le recul de l’âge de départ à la retraite ou encore par la hausse du nombre minimum d’années requises pour percevoir une pension à taux plein.

La seconde catégorie regroupe les réformes structurelles. Il s’agit de réduire l’importance du pilier par répartition et d’introduire un pilier par capitalisation géré par des institutions publiques ou privées. Aussi, dans certains pays le pilier par répartition n’assure plus qu’une pension minimale. C’est le cas du Chili mais également de l’Australie, du Mexique, du Pérou, de la Colombie, du Brésil, du Paraguay et de biens d’autres pays notamment de l’Europe de l’Est. Toutefois, l’introduction du pilier par capitalisation dans certains de ces pays n’est pas tant justifiée par les difficultés que rencontre le système par répartition que par une volonté de conduire l’économie vers une voie plus libérale. L’Argentine et le Royaume-Uni ont opté pour une structure mixte du système de retraite avec un pilier par répartition qui demeure important. La Suède a choisi d’aménager son régime public de retraite en le transformant en un système par capitalisation fictive et en introduisant un pilier par capitalisation pour lequel la cotisation obligatoire est d’un faible montant.

D’un certain point de vue, on peut affirmer que la réussite de ces réformes ajouté à cela le spectre d’une crise de soutenabilité du système par répartition à travers le monde ont incité la Banque Mondiale, dans son rapport « Averting the Old Age Crisis », à proposer un système de retraite reposant sur trois piliers. Le premier pilier, appelé pilier de base, est un pilier  » redistributif » ayant pour objectif de lutter contre la pauvreté chez les personnes âgées. Il est réduit au minimum de façon à créer un espace pour développer les deux autres piliers. Le second pilier est un pilier complémentaire à contribution obligatoire fonctionnant par capitalisation. Ce pilier est en charge d’assurer l’essentiel de la pension de retraite mais jusqu’à un certain plafond. Enfin, le troisième pilier est un pilier supplémentaire d’épargne retraite caractérisé par une adhésion facultative et assurant un complément de retraite. Cette structure articulée en trois piliers vise à introduire l’épargne retraite pour assurer une gestion plus saine des régimes de retraite tout en préservant par le biais du pilier redistributif une pension minimale pour les plus démunis. Elle vise également à séparer les fonctions de la retraite de façon à ce qu‘elles soient gérées par des institutions et organismes distincts. L‘objectif est de réserver une place importante au rôle joué par la capitalisation et de réduire ainsi le pilier redistributif au versement d‘une pension minimale .

Plusieurs pays, dont le régime de retraite par répartition était confronté à des difficultés financières, ont dû parfois sous la pression des organisations internationales comme le FMI et la Banque Mondiale mettre en œuvre des réformes s‘appuyant sur des variantes de ce modèle. Ce n’est pas le cas de la Tunisie dont le système de retraite repose essentiellement sur un seul pilier par répartition. Ce système, géré par deux caisses, la Caisse Nationale de Retraite et de Prestations Sociales (CNRPS) pour le secteur public et la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) pour le secteur privé, connait des difficultés financières. Aussi, en dépit du relèvement de son taux de cotisation à maintes reprises, la CNRPS est déficitaire depuis 2000 et la CNSS depuis 2002. Depuis 2007, la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) gère l’assurance maladie pour les travailleurs des deux secteurs. Aussi, la CNSS et la CNRPS ne gèrent plus que les pensions de retraite. Toutefois, le déficit de ces caisses n’a fait qu’augmenter dépassant en 2009 les 200 MDT pour atteindre en 2012 les 312.8 MDT . Sur le plan démographique, l’évolution de la structure de la population tunisienne révèle une tendance au vieillissement. D’après les projections de l’Institut National des Statistiques (INS), la part des personnes de plus de 60 ans devrait passer de 10% à 20% entre 2009 et 2034. Actuellement, avec un taux de cotisation au titre des retraites de 20.7% pour la caisse du secteur public et de 18% pour celle du secteur privé, il s‘avère difficilement envisageable de poursuivre l‘ajustement par le biais de ce seul paramètre d‘autant que la hausse des cotisations est une composante du coût du travail qui représente un élément déterminant de la compétitivité des entreprises. La politique qui consiste à n’agir qu’à travers ce paramètre a montré ses limites. Aussi, une telle situation nous invite à nous interroger sur le type de réforme à apporter au système de retraite tunisien.

*Cette préoccupation renvoie au débat théorique sur les effets macroéconomiques du système de retraite par répartition. Ce débat initié par Feldstein en 1974, soulève la question de l’impact des retraites financées par répartition sur l’épargne des ménages. Une large littérature s’est intéressée aux effets de ce système sur l’accumulation du capital, sur la croissance économique et sur le bien-être des générations.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 . LES EFFETS MACROECONOMIQUES DU SYSTEME PAR REPARTITION
INTRODUCTION
Section 1. L’impact du système de retraite par répartition sur l‘épargne des ménages
Section 2. L’impact du système de retraite par répartition sur la croissance
Section 3. Le système de retraite par répartition: les causes de sa remise en question
CONCLUSION
CHAPITRE 2. LA PRIVATISATION DU SYSTEME PAR REPARTITION ET le PROBLEME DE la TRANSITION: EFFETS THEORIQUES ET EMPIRIQUES
INTRODUCTION
Section 1. Les effets macroéconomiques de la transition vers le système par capitalisation
Section 2. L’effet de la transition sur le bien-être des générations
Section 3. Les effets de la transition sur les variables macroéconomiques et sur le bien-être des générations: Résultats de Simulations de MEGCGI
Section 4. La complémentarité entre la répartition et la capitalisation ou la question du dosage optimal
CONCLUSION
CHAPITRE 3 .LES EXPERIENCES INTERNATIONALES
INTRODUCTION
Section 1. Les systèmes de retraite à plusieurs piliers
Section 2. L’ expérience des systèmes de comptes notionnels à cotisations définies en Suède (1999)
Section 3. Les expériences de réformes paramétriques du système par répartition: les cas de la France et de l’Allemagne
CONCLUSION GENERALE

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