Effets d’un pesticide naturel, l’azadirachtine (Neem-Azal) sur la reproduction chez Drosophilamelanogaster
Elevage au laboratoire
L’élevage de drosophiles s’effectue en laboratoire depuis le début du vingtième siècle, suite aux travaux pionniers de Sturtevant (1913) qui a établi la première cartographie génétique. Cette espèce est utilisée actuellement comme modèle biologique dans de nombreux domaines de recherche et notamment en génétique, biologie moléculaire et toxicologie par des milliers (80 000 à 100 000) de chercheurs dans le monde (Colombani et al., 2006). L’élevage de D. melanogaster est réalisé, en laboratoire dans une étuve, à une température de 25°C, une hygrométrie de 70% et une scotophase de 12 h. La souche utilisée est Canton S (souche donnée gracieusement par C. Wickers Thomas, Laboratoire Evolution, Génomes, Comportements et Ecologie, CNRS, IRD, Université Paris Sud). Le milieu nutritif artificiel gélosé sur lequel est élevée la drosophile est à base de farine de maïs et de levure de bière (apport des acides aminés essentiels, protéines, vitamines : B1, B3, B6, B9 et oligoéléments assimilables : calcium, fer, magnésium, zinc, sélénium, potassium). Il est composé essentiellement de 33,3 g semoule de maïs, 33,3 g levure de bière, 4,8 g d’agar-agar, et 20 ml d’antifongique (methyl-hydroxy-4- benzoate à 10%). Les drosophiles sont élevées dans des flacons de plastique et bouchés par un tampon de mousse (Fig. 4). Figure 4. Elevage de D. melanogaster au laboratoire. 2. Présentation de l’insecticide et traitement L’azadirachtine commercialisée sous le nom de Neem-Azal-T/S comprend 1% de matière active (Emulsion Concentrée (EC); firme : Trifolio-M GmbH, Lahnau, Germany) (Fig. 5) ; cette formulation, correspond à un liquide brun avec une odeur caractéristique du Neem. Après ouverture, la solution est conservée au frais et à l’abri de la lumière. Selon l’entreprise SIPCAM INAGRA spécialisé dans la protection des végétaux l’azadirachtine est utilisé en Algérie sous le nom de Bioaza depuis 1991 jusqu’à aujourd’hui, il est homologué aux USA depuis 1999 (USUPA) et en Europe depuis le 21 octobre 2013 (Journal officiel de l’union européenne) mais en France il n’est pas autorisé car aucune demande officielle d’autorisation n’a été déposée pour cette molécule (JO Sénat du 07/08/2014). Figure 5. Structure chimique de l’azadirachtine 3. Tests de toxicité Le Neem-Azal a été testé par application topique (1 μl ; Di Prisco et al., 2013), le jour de l’émergence des adultes (< 6 heures post-émergence). L’insecticide a été dilué dans l’acétone (solvant) et différentes solutions stocks ont été préparées. Après un screening préalable, les concentrations retenues et utilisées sont de 100, 200, 400, 600, 1200 ppm correspondant respectivement aux doses 0,1, 0,2, 0,4, 0,6 et 1,2 μg (Boulahbel et al., 2015 ; Bezzar-Bendjazia, 2016). L’essai est conduit, pour chaque dose, en utilisant 3 réplications comportant chacune 300 insectes ; une série témoin est conduite en parallèle avec des individus qui reçoivent uniquement l’acétone (1 μl). L’acétone permet, par rapport à l’eau, une meilleure diffusion à travers la cuticule qui est constituée, extérieurement de cires et de lipides (épicuticule). Pour les différentes séries, les pourcentages de mortalités observées ont été déterminés à 24, 48, 72, 96, 120 et 144 heures puis corrigés selon la formule d’Abbott (1925) afin d’éliminer la mortalité naturelle. Les pourcentages de mortalité corrigée subissent ensuite une transformation angulaire selon les tables de Bliss (1938), citées par Fisher et Yates (1957) puis font l’objet d’une analyse de la variance à deux critères de classification afin d’évaluer les effets du pesticide et du temps. Le test HSD (Honest Significant Difference) de Tukey permet le classement des doses puis une régression non linéaire, exprimant le pourcentage de mortalité corrigée en fonction du logarithme de la dose, précise les doses létales (DL) des adultes ; ainsi les doses entraînant 10, 25, 50 et 90% de mortalité (DL10, DL25, DL50 et DL90) ont été déterminées avec leurs intervalles de confiance. La DL50 à 24 heures a été utilisée pour toutes les expérimentations, néanmoins la DL25, a également été utilisée pour évaluer la fertilité et le suivi du développement des descendants en F1. 4. Fertilité et suivi du développement à la génération 1 (F1) Les adultes de D. melanogaster nouvellement émergés (< 6 heures) ont été traités avec le Neem-Azal aux DL25 et DL50. Les mâles et femelles des séries témoins (solvant seul) et traitées, dont les individus ont survécu au traitement, ont été placés séparément dans des boîtes de pétri contenant un milieu nutritif. Les adultes sont ensuite réunis en couple selon différentes combinaisons (voir ci-dessous). Après 48 heures, les adultes ont été retirés des boîtes de pétri et la descendance a été comptée. Le suivi de la F1 a été effectué quotidiennement et ce jusqu’à l’émergence de tous les adultes. Le nombre d’œufs, de larves de dernier stade (L3), de pupes et d’adultes provenant de chaque série de couples a été compté. Les différents couples réalisés sont les suivants : Couples 1 : Mâles Témoins x Femelles Témoins – MT + FT Couples 2 : Mâles DL25 x Femelles Témoins – M25 + FT Couples 3 : Mâles Témoins x Femelles DL25 – MT + F25 Couples 4 : Mâles DL50 x Femelles Témoins – M50 + FT Couples 5 : Mâles DL25 x Femelles DL25 – M25 + F25 Couples 6 : Mâles Témoins x Femelles DL50 – MT + F50 Couples 7 : Mâles DL50 x Femelles DL50 – M50 + F50 5. Fécondité des mâles Des facteurs liés à l’infertilité des mâles ont été évalués. Le nombre de cystes et la localisation des noyaux des spermatocytes (anomalies postméiotiques), deux paramètres pouvant influencer la production spermatique (Lindsley et Tokuyasu, 1980) ont été examinés. Les mâles ont été traités au Neem-Azal à la DL50 à 24 heures, le jour de l’émergence (< 6 heures) puis les individus des séries témoins (solvant seul) et traitées ont été placés dans des tubes contenant un milieu nutritif. Après 48 heures, les testicules des mâles qui ont survécu au traitement sont disséqués dans une solution de tampon phosphate salin (PBS) et de 4 ‘, 6- diamidino-2-phenylindole (DAPI) permettant la coloration des noyaux selon la méthode de Montchamp-Moreau et Joly (1997). Les cystes, étalés sur une lame et recouverts par une lamelle, ont ensuite été observés sous microscope à fluorescence. Le nombre de cystes par mâle a été compté et la position des noyaux des spermatocytes a été précisée. Trente répétitions par condition ont été réalisées. 6. Fécondité des femelles Pour détecter un impact possible de l’azadirachtine sur la fécondité des femelles, les paramètres ovariens classiques ont été examinés comme le nombre d’ovocytes et le volume de l’ovocyte basal. Les femelles nouvellement émergées (< 6 heures), ont été traitées avec le Neem-Azal à la DL50 à 24 heures. Les individus des séries témoins (solvant seul) et traitées ont été placés dans des tubes contenant un milieu nutritif. Après 48 heures, les individus ayant survécu au traitement ont été disséqués et les ovaires prélevés après déplacement du corps gras circumovarien. L’observation sous loupe binoculaire muni d’un micromètre a permis de compter le nombre d’ovocytes et de mesurer la longueur et la largeur afin de compter le volume de l’ovocyte basal ; ces deux paramètres mesurés ont ensuite été utilisés pour la détermination du volume selon la formule de Lumbreras et al. (1991).
Evaluation des accouplements
Les mâles et les femelles nouvellement émergés (< 6 heures) ont été séparés et traités avec le Neem-Azal à la DL50 à 24 heures. Les mâles et femelles des séries témoins (solvant seul : MT, FT) et traitées (M50, F50) ont été placés séparément dans des tubes contenant un milieu nutritif. Après 48 heures, les mâles et les femelles qui ont survécu au traitement ont été testées afin de compter le nombre d’accouplement dans les conditions de choix et non choix. Dans la condition de non choix, un mâle et une femelle ont été placés ensemble dans des tubes individuels avec de la nourriture et quatre conditions ont été testées : MT + FT; MT + F50; M50 + FT; M50+ F50. Dans les conditions de choix, un mâle et deux femelles (choix du mâle) et une femelle et deux mâles (choix de la femelle) ont été placés ensemble dans des tubes individuels ; quatre conditions ont été testées : MT + FT/F50; M50+ FT/F50; FT + MT/M50; F50 + MT/M50. Avant le traitement, les mouches ont été anesthésiées sur la glace et marquées par un trou minuscule sur la partie postérieure de l’aile droite fait avec une aiguille sous une loupe binoculaire. Cette procédure de marquage permet de différencier les mouches traitées des mouches non traitées. L’analyse statistique effectuée au préalable n’a montré qu’il n’y a aucun effet du marquage (test t de student, p > 0,11 dans la condition du choix de la femelle F50 + MT/M50 ; n=78). L’observation des accouplements a été réalisée le matin et pendant 3 heures. Le nombre d’accouplement est exprimé en pourcentages. 8. Mobilité des mâles Pour mettre en évidence l’impact du Neem-Azal sur l’activité des mâles, un des paramètres essentiels pour le succès à l’accouplement, leur mobilité a pu être évaluée grâce à l’utilisation d’un actimètre tubulaire (Fig. 6) généralement utilisé pour contrôler des rythmes d’activité locomotrice chez les drosophiles (Drosophila Activité Moniteur ou DAM2-5, MATERIEL ET METHODES 21 Trikinetics, Waltham, MA, USA). L’actimètre contient 32 trous dans lesquels sont glissés des tubes en verre ouverts aux deux extrémités. D’un côté du tube, le milieu nutritif est déposé puis l’extrémité est refermée avec de la paraffine ; de l’autre côté, l’insecte mâle est introduit puis l’extrémité est refermée avec du coton. Le tube est ensuite introduit dans l’actimètre et un signal infrarouge apparait à chaque fois que le mâle passe au centre. Le nombre de passages est ensuite noté par un compteur automatique (DAMSystem) lié à un ordinateur. Les mâles nouvellement émergés (< 6 heures) ont été séparés et traités par application topique au Neem Azal à la DL50 (0.63 µg). Les mâles des séries témoins (solvant seul) et traitées ont été placés, séparément, dans des tubes contenant un milieu nutritif. Après 48 heures, les mâles ayant survécu au traitement et les mâles témoins (solvant seul) ont été introduit dans les actimètres puis leur mobilité a été évaluée pendant 8 jours.
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