Effets délétères des n-6 AGPI sur l’ischémie cérébrale retardée après hémorragie sous-arachnoïdienne chez le rat
INTRODUCTION
L’hémorragie sous arachnoïdienne (HSA) est une pathologie cérébrovasculaire dévastatrice. Son incidence1 mondiale est d’environ 6 à 9 personnes sur 100 000 et par an. Bien qu’elle représente 5% de la totalité des accidents vasculaires cérébraux (AVC), son impact sur la société en termes d’années productives perdues et de coût de prise en charge est estimé à deux fois celui des AVC ischémiques. En effet, l’HSA survient chez le sujet jeune avec un âge moyen de 55 ans. La mortalité est d’environ 40% dans les 30 premiers jours1 . Moins de 40% de ceux qui survivent seront en capacité de récupérer l’activité quotidienne qu’ils avaient auparavant2 , souffrant d’altération des fonctions cognitives supérieures et de séquelles fonctionnelles physiques au cours des mois et années qui suivent l’HSA2 . Parmi les patients ayant survécu à l’hémorragie initiale, l’ischémie cérébrale retardée (ICR) demeure la principale cause de morbimortalité retardée, et de mauvais devenir neurologique dans 30% de tous les cas d’HSA3 en raison du risque d’évolution vers un infarctus cérébral. Alors que le vasospasme (VP) cérébral a longtemps été considéré comme l’unique cause à cette morbi-mortalité retardée, de nombreuses études récentes nous suggèrent de cibler d’autres phénomènes physiopathologiques coexistant ou non avec un VP. L’intensité de l’état inflammatoire et du stress oxydatif liés à la production d’oxyhémoglobine par dégradation érythrocytaire associée à une ischémie aigüe globale transitoire4 créeraient ainsi une inadéquation entre le débit sanguin cérébral (DSC) et la demande métabolique du tissu cérébral. En 1946, Hansen et Burr ont mis en évidence que les Inuits vivant à Terre-Neuve souffraient très peu de pathologies cardiovasculaires. La principale hypothèse en était leur régime riche en acides gras polyinsaturés de la série oméga 3 (n-3 AGPI) (w3) contenus dans les poissons et fruits de mer. Le cerveau est l’organe qui présente la teneur en lipides (30% de son poids sec) la plus élevée après le tissu adipeux. Le principal AGPI les composant est l’acide docosahexaenoique (DHA n-3;22:6n-3), qui représente 10 à 20% de la composition en acides gras totaux du cortex cérébral. Les acides gras précurseurs de ces AGPI, l’acide linoléique (n6) et l’acide alpha-linolénique (n-3), sont uniquement synthétisés par les plantes et doivent donc être apportés par l’alimentation chez les mammifères (AG indispensables). De plus, le DHA est produit en quantité souvent insuffisante et il est recommandé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail de consommer des poissons gras pour compléter ce besoin physiologique (250mg/j de DHA) (ANSES 2011). En raison du développement de l’industrie agroalimentaire moderne depuis les années 60, le régime alimentaire des pays occidentaux s’est modifié qualitativement et quantitativement, coïncidant 3 avec une augmentation des maladies métaboliques (diabète type 2, obésité), inflammatoires (Polyarthrite Rhumatoïde) et cardiovasculaires (IDM, AVC). Il s’est enrichi en n-6 AGPI menant ainsi à un déséquilibre du ratio n-6/n-3 à 20:1 au lieu de 1-4:1 au cours de l’évolution du genre Homo. Puisqu’il existe une compétition entre w6 et w3 pour les voies de biosynthèse ainsi que pour l’estérification et leur incorporation au niveau des membranes cellulaires notamment neuronale, la baisse de consommation en w3 entraine une augmentation du taux d’AGPI w6 dans le cerveau. La recherche de biomarqueurs de l’ICR a permis d’identifier des médiateurs lipidiques tels que l’acide arachidonique5 et ses dérivés oxydés (isoprostanes6 ), dont la présence dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) après l’HSA est corrélée à la survenue de VP7,8 et au pronostic des patients9 . Plus récemment, chez l’homme, Yoneda10,11 a noté une réduction du risque de VP symptomatique, d’infarctus cérébral et une amélioration du pronostic clinique par un apport oral d’ acide eicosapentaénoïque (EPA n-3). Badjatia12 a quant à lui montré qu’un ratio sérique élevé n-6/n-3 AGPI semblait accroître le risque d’ICR après HSA. Cependant, l’association entre un apport alimentaire riche en n-6 AGPI et l’ICR n’a pas encore été étudiée. Ainsi, avonsnous posé l’hypothèse qu’un apport alimentaire riche en w6 pourrait majorer les taux d’éicosanoides présents dans le cerveau et l’espace sous arachnoïdien (ESA) en réponse à une HSA, et ainsi favoriser la genèse d’une ICR. Des approches nouvelles par des technologies émergentes récentes telles que la lipidomique fournissent l’opportunité d’identifier de nouveaux métabolites responsables de phénomènes physiopathologiques donnés13–21. Cela a été appliqué à la recherche sur l’AVC ischémique22, mais aucune description de l’ICR après HSA n’a encore été réalisée. Les termes de « métabonomique ou métabolomique »20,21 ont été définis par J. Nicholson (1999) puis par O. Fiehn (2001) comme «la mesure quantitative de la réponse multiparamétrique liée au temps d’un système multicellulaire à des stimuli physiopathologiques ou à des modifications génétiques ». La lipidomique13–19 est une branche de la métabolomique qui permet « la caractérisation complète des espèces moléculaires lipidiques et de leurs rôles biologiques dans le contexte de l’expression des protéines impliquées dans le métabolisme des lipides et de leur fonction, y compris la régulation des gènes ». La lipidomique peut indiquer une analyse globale sans a priori, ou une analyse ciblée sur une classe particulière de lipides. C’est ce que nous rapportons ici, dans le cadre de l’analyse des oxylipines (médiateurs lipidiques oxygénés dérivés des AGPI). Notre objectif a d’abord été d’évaluer l’effet clinique d’un régime riche en oméga 6 sur l’ICR dans un modèle d’HSA chez le rat. Puis nous avons cherché à identifier les éicosanoïdes impliqués dans la genèse de l’ICR par lipidomique ciblée.
Modèle expérimental
Notre modèle d’HSA utilisé chez le rat a été celui décrit pour la première fois en 1985 par Solomon et al.23.Il consiste en une double injection intra-cisternale (IIC) de sang artériel autologue, dans sa version mini invasive24,25 afin de diminuer les artéfacts en imagerie liés à la chirurgie26. A J1, après induction d’une anesthésie générale (AG) par injection intrapéritonéale de kétamine (75mg/kg) et médétomidine (15mcg/kg), l’artère ventrale de la queue est ponctionnée par voie percutanée (aiguille 29 G) pour recueillir 0,35mL de sang artériel dans une seringue préalablement héparinée. Une ventilation spontanée était maintenue et un masque de taille adaptée apportait l’oxygène nécessaire. Monitoring température rectale et réchauffement externe par matelas chauffant et lampe UV. Analgésie assurée par infiltration (2mg/kg) de la zone opératoire par de la ropivacaïne 0,2% (Astra Zeneca®) et par de la lidocaïne 1% en gel au niveau des barres d’oreille. Tête du rat positionnée dans un cadre de stéréotaxie (900LS, 100 microns de précision, KOPF instruments®). Après rasage et antisepsie de la zone 6 sous occipitale, cisterna magna ponctionnée par voie percutanée (aiguille de 25G adaptée à un système de recueil du LCR (Cathéter et seringue de 1ml)): niveau hydro-aérique visualisé, après progression lente, 2 ressauts doivent ressentis afin de parvenir avec certitude dans l’espace sous arachnoïdien (ESA), et LCR refluent spontanément vers la seringue). 0,1mL de LCR retirés avant l’injection de 0,25mL de sang artériel dans l’ESA (Injection lente sur durée supérieure à 1minute). Après retrait de l’aiguille, tête du rat maintenue en position déclive à 45° pendant 30 minutes. La même procédure est reproduite à 24h d’intervalle (J2). Avant le réveil de l’animal la buprénorphine (0.05mg/kg) était administrée par injection sous-cutanée. Les rats SHAM subissaient une AG et la cisterna-magna était ponctionnée sans que ni du LCR ne soit prélevé, ni du sang ou du LCR artificiel ne soit injectés. Investigations Cliniques : Les rats étaient pesés à l’arrivée puis de façon hebdomadaire pendant les 8 semaines de protocole. Deux jours avant l’opération, les rats étaient répartis de façon individuelle par cage de façon à monitorer de façon quotidienne les ingesta (pesée de chaque mangeoire). Dès J0 au matin (veille de l’HSA), le poids et les ingesta sont suivis de façon longitudinale jusqu’à J6. Sept jours de training préopératoire (Figure 2 annexe) étaient imposés aux rats évalués sur le plan clinique.27 Un score neuro-cognitif global (Figure 2 annexe) était réalisé tel que décrit par Garcia et al.28, à J0, J2 et J5. L’évaluation neurocognitive comprend 6 mesures distinctes (activité spontanée, mouvement spontanée des quatre membres, extension des pattes avant lors de la traction par la queue, escalade sur la grille de la cage, réponse à une stimulation proprioceptive et à une stimulation des vibrisses) notées de 0 à 3. Les animaux étaient donc notés entre 0 et 18. Un Beam Walking Test (BWT) (Figure 2 annexe) était réalisé tel que décrit par Goldstein et al.29, à J0, J2 et J5 après conditionnement préopératoire. Les rats avaient été préalablement entraînés à traverser une barre en bois parallélépipédique (longueur 1m, largeur 28mm, hauteur 50 cm du sol). Le paramètre étudié était le temps, en secondes, nécessaire pour la traversée. Une chute ou un temps supérieur à 30s étaient considérés comme un échec. Les 32 rats évalués sur le versant clinique étaient différents des 28 rats évalués sur le versant imagerie afin de ne pas biaiser l’évaluation clinique par l’effet d’anesthésies inhalées répétées réalisées lors des séquences d’imagerie.
REMERCIEMENTS |