L’abondance et la distributi on des organismes dans l’ environnement sont déterminées par une multitude de fac teurs abi otiques te ls que le c limat et les nutriments, et biotiques, soit les interac tions avec d’autres organismes, te ls les prédateurs, les proies ou les compétiteurs inter- et intra-spéc ifiques. Historiquement, le domaine de l’écologie des communautés était dominé par les é tudes sur la compétiti on, ma is plus récemment, la prédati on a tro uvé sa place comme mécanisme a lternatif et ‘compétitif’ qui contribue significativeme nt à expliquer l’assemblage des espèces dans une communauté (Chase et al., 2002 ; Chesson & Kuang, 2008). Il Y a plus de 80 ans que Lotka et Volterra (Lotka, 1920, 1925; Vo lterra, 1926) ont présenté les équ ati ons théoriques pour explique r l’effet direct de la prédation sur la dynamique des popul ati ons des prédateurs et des proies et les cyc les de populati ons qui peuvent en découl er . De puis, que lques études à long terme, comme celle sur les cyc les de popul ation des lièvres et des lynx dans la fo rêt boréale du Canada (Elton & Nicholson, 1942), nous ont fourni les données empiriques pour supp0l1er en partie les modèles théoriques qui ex plique nt la dynamique de ces interacti ons. Avec sa démonstration de la réponse fo ncti onnell e des prédateurs (Holling, 1959), défini par la relation entre le nombre de proies consommées par un prédateur et la densité de proies , Holling a pavé la route pour de futures recherches ex pliquant la stabilité de ces cycles (Murdoch, 1969 ; Oate n & Murdoch, 1975) de même que leurs implicati ons pour des proies alternati ves (HoIt, 1977).
La théorie d’approvisionnement optimal (Charnov, 1976) suggère que lorsqu ‘ un prédateur est confronté à deux types de proies, il devrait maximiser la consommation des proies de plus haute qu alité et plus fac iles à capturer afin de maximiser la valeur nutriti onnelle tout en réduisant les coûts énergétiques de capture (Macarthur & Pianka, J 966). Si deux proies ont une valeur nutritive et un coût de capture égaux, le facteur déterminant le choix sera la densité relative des deux types de proi es. Les prédateurs se concentreront sur la proie de densité la plus é levée, jusqu’à ce que la densité de cette proie passe en dessous d’un certain seuil. Passé ce cap, le prédateur devrait préférer l’autre proie alternati ve (Figure 1.3; Murdoch, 1969). L’hypothèse des proies alternatives est en grande pa rtie basée sur ce comportement de changement de préférence des prédateurs. Par définition, le changement de préférence signifie que quand l’ abondance d’ une proie augmente, le prédateur va augmenter son taux de consommati on de cette proie de manière dispropotionnée et encourir une réponse fonctionnell e (Murdoch, 1969 ; Oaten & Murdoch, 1975). L’effet de changement de préférence pour une proie alternati ve est amplifié quand le prédateur a une forte réponse numérique à la proie préférée (la relation entre la taille de popu lation des prédateurs et l’abondance des proies) et peut même engendrer des cyc les dans les popu lations de proies alte rnatives (Bêty et al., 2002; L. G. Underhill , 1993; Summers, Underhill & Syroechkovski , 1998).
Même en l’absence de changement de préférence, les cyc les prédateurs-proies peuvent avoir un effet sur des proi es altematives. Quand il y a une forte réponse numérique de la part des prédateurs face aux proies préférées, la prédation sur d’autres proies qui sont seulement trouvées de façon accidentelle peut augmenter à cause de cet accroissement de l’activité des prédateurs (Crabtree & Wolfe, 1988; Vickery, Hunter & Wells, 1992). Une proie acc identelle est une proie qui ne fait pas l’objet d’ une recherche dirigée de la part d’ un prédateur (Vickery, Hunter & Wells, 1992). Les proies acc identelles constituent souvent une petite propol1ion dan s le régime alimentaire des prédateurs est n’influencent pas la croissance des populations de prédateurs. Par contre, une augmentati on des populations de prédateurs, soit réell e soit par agrégati on, peut augmenter le risque de prédation sur les populations de proies accidentelles (Holt & Kotler, 1987). S’il est assez sévère, un risque de prédation élevé peut générer l’exclusion spatiale (extinction locale; Holt, 1984) des proi es accidentelles et changer la composition des communautés (Holt & Lawton, J 994).
Il est évident que les effets direc ts de la prédation , comme la mortalité, peuvent influencer fortement les paramètres démographiques de base comme la survie des adultes et le recrutement des jeunes pour tous les types des proies (préférées, alternati ves, accidentelles). Nous avons dorénavant de bons outi ls pour quantifi er ces paramètres (Cutl er & Swann , 1999 ; Juillet etaI. , 2010; Lebreton et aI. , 1992) et les études empiriques sur les effets directs de la prédation augmentent (Fondell et al., 2008; Smüh & Wilson, 20 10 ; Stenzel et al. , 2007). Par contre, il existe aussi des effets non-morte ls de la prédation. Ces 4 effets sont moins évidents, mais peuvent avoir une influence tout aussi importante sur l’abondance et la distribution des organismes. Les effets non-mortels de la prédati on s’expriment souvent par le biais du comportement des individus, principalement les comportements anti prédateurs ou la sélection d ‘ habitats sans prédateurs (Jeffries & Lawton, 1984 ; Schmjdt, 2004). En influençant la sélection d’ habitat à plusieurs éche lles (Cresswell, Lind & Quinn, 2010) les comportements anti-prédateurs peuvent influencer la structure des communautés. Cette thèse vise à examiner les effets directs et indirects de la prédation sur une communauté d’oiseaux de ri vage nichant dans l’Arctique. Spécifiquement, j’examine les re lati o ns entre la va ri ati on inte rannue ll e du risque de prédati o n et de l’abondance d ‘autres pro ies sur la survie des nids à fine échelle dans le Haut-Arctique canadi en. À plus grande éche lle, j’examine l’ importance du risque de prédati on sur la sélectio n d’ habitat de reproduc ti on des migrateurs de longue distance ni c hant dans l’Arctique canadi en.
LES INTERACTIONS PRÉDATEURS-PROIES DANS L ‘ARCTIQUE.
Avec 1 à 3 mois par année sans lumiè re du j our, une pé ri ode de couve lture de neige 5 qui dure de 6 à 10 mois, et des tempé ratures qui atte igne nt les -70 C, il n’est pas é to nnant que la biodi versité de la faune arc tique soit relativement simpl e en compa raison à d ‘autres écosystèmes dans le monde. Se ul e ment une trentaine d ‘espèces peuvent vivre dans ces habitats te rrestres toute l’année (Pielou, 1994). Pendant la courte saison estivale, la bi odive rsité faunique augmente considérabl eme nt avec l’éme rgence des insectes et l’ immi grati o n temporaire des oiseaux migrate urs qui vie nnent pendant que lques mois pour ni c he r. M ême pe ndant cette recrudescence de bi odi versité au cours de l’été, le nombre po tentie l d ‘ inte rac ti on prédateurs-proies est encore beaucoup plus bas que dans les en vironnements du sud . C’est pour cette raison que l’écosystè me a rctique est idéa l pour étudi e r les interactio ns préda teurs-proies. Les prédateurs sont peu abondants, souvent spéc ialisés sur les popul ations cyc liques de petits rongeurs ou, a lte rnati vement, sur les œufs d’oiseaux. Dans J’ A rctique canadi en, le re na rd arctique (A lopex lagopus) est un des principaux prédateurs de la toundra (Ange rbj orn , Tanne rfe ldt & Erlinge, 1999; Bêty et al., 2002). Leurs proies princ ipales sont les lemmjngs (Careau et al., 2008; E lmhagen et al., 2000) qui présente nt des cycles d ‘abondance de 3 à 5 ans (Gruyer, Gauthi e r & Berteaux, 2008). Dans les années de faible abondance de lemmjngs, les o iseaux qui ni che nt en abo ndance pendant l’été fournissent une pro ie a lte rnati ve sous forme d’œufs (Careau et al., 2008 ; Giroux, 2007).
La toundra a rctique fournit a insi un excelle nt laboratoire naturel pour teste r les prédi cti ons des théories des interac tio ns prédateurs-proies. M ais, dans le contexte des changements globaux, ce laboratoire est en pleine mutati on. Les proies de l’Arctique sont bie n adaptées au c limat sévère, ma is sembl e nt assez susceptibles a ux c hangements climatiques. Pour la re produc ti on, les popul ati ons de lemming sont dé pe ndantes d’ une bonne couverture de ne ige pe ndant l’hi ve r (Stenseth & 1ms, 1993) et les oiseaux ni c heurs sont dépe nda nt du court, ma is fort, pic d ‘abonda nce de nourriture (soit les pla ntes ou les insectes) disponible pe ndant l’ été. D ‘ un point de vue pratique, ou da ns une perspecti ve de conservation , une compré he nsion des inte racti ons prédate urs-proi es dans les e nviro nneme nts a rctiques est c ritique da ns le contexte du réchauffeme nt planéta ire. Les scéna ri os de c hangeme nts de tempé rature globa le prédisent un réc hau ffeme nt de 1.4 à 5.8 oC dans les 100 prochaines a nnées, ma is on a nti c ipe que la magnitude de ces c ha ngeme nts sera beaucoup plus gra nde da ns les régions pola ires où les tempé ratures pourraie nt augme nte r de 4 à 7 oC (ACIA 2004). M ême avec les c hangeme nts modé rés que nous connaissons ma inte nant, desexemples des effets sur la dynamjque des popul ations prédateurs-p roies ont é té docume ntés. Au x niveaux des mammifè res, la diversité de la communauté de prédate urs a ugme nte dû, entre autre, à l’ expa nsion spati a le de la distributi on du renard roux da ns l’ Arc tique (Hickling et al. , 2006 ; T a nne rfe ldt, Elmhagen & Ange rbj orn, 2002). L’activité des prédateurs pe ut augme nte r a uta nt a u niveau tempo re l qu ‘au ni veau spati a l. Avec un retra it de la g lace de me r de plus e n plus hâtif, l’ours po la ire, princ ipa leme nt un prédate ur marin , passe plu s de temps sur la toundra et la fréque nce de destruc tion des colo nies d ‘oiseaux de me r a a ugmenté depuis 20 a ns (S mith et al., 2010a). Au ni veau des pro ies, il y a des évide nces qua nt au fa it que les cycles des lemmings sont présenteme nt e n train de s’effondre r (Gilg, Sittle r & Hanski , 2009 ; Kausrud et al. , 2008). Pour les oiseau x, l’amé li o rati o n du c limat pe nda nt l’été sembl e fac ilite r la re produ cti on pour que lques espèces comme les grandes oies de ne iges (Dickey, Gauthi e r & Cadi e ux, 2008 ; M OlTissette et al., 2010) avec des popu lati ons qui connaissent de fortes croissances. Pour d ‘autres espèces d ‘oiseaux dont les populati o ns sont e n déc lin , comme les oiseaux de ri vage, les réperc ussions des c hangeme nts da ns l’Arctique sont moins optimistes (Pearce-Hi ggins et al. , 2009).
CHAPTER 1 INTRODUCTION ET CADRE THÉORIQUE |