EFFETS DE LA GRATUITE DES INTRANTS ANTIPALUDIQUES SUR LE FONCTIONNEMENT DES SERVICES DE SOINS
Effet sur la fonction de gestion des ressources financières
La perte de revenus des structures sanitaires occasionnée par l’abolition des frais aux usagers est à compenser pour assurer le maintien des services. Au Kenya, où la gratuité s’est appliquée à tous les services à l’exception des services de diagnostic (laboratoire), le manque de fonds a finalement conduit le gouvernement à rétablir les frais aux usagers. Au Ghana, en Ouganda et à Madasgascar, des fonds supplémentaires ont été dégagés pour mettre en œuvre la politique d’abolition; mais la rapidité de mise à disposition de ces fonds, et leur pérennité, a varié. En Ouganda, où la gratuité a concerné tous les services, 526 000 US$ ont été dégagés immédiatement pour l’achat de médicaments à distribuer gratuitement, et le budget du secteur de la santé a augmenté de 12.5 millions US$ dans l’année suivant l’abolition, et a continué à croître les années suivantes [36, 39]. En revanche, à Madagascar il s’est écoulé plusieurs mois entre l’annonce de l’abolition des frais aux usagers à tous les services de santé et la mise à disposition de 3 millions US$ de médicaments gratuits. Au Ghana, tous les services reliés à l’accouchement ont été rendus gratuits même dans les structures sanitaires privées. Dans ce pays, 2 millions US$ auraient été alloués aux régions de la première vague d’abolition, mais selon Witter et Adjei [28], le financement additionnel a été supprimé quelques mois après l’extension de l’abolition aux autres régions. Seuls des travaux sur le Ghana fournissent quelques informations sur le calcul des fonds consacrés à la mesure d’abolition. Le niveau central a calculé les allocations aux régions en fonction de leur population, avec un taux per capita plus élevé pour les régions les plus pauvres, et non pas en fonction du nombre prévu d’accouchements. Dans les faits, les versements du niveau central se sont avérés très insuffisants par rapport au niveau d’activité des structures sanitaires. En fait, aucun plan fixant la durée et le coût total du programme d’abolition n’avait été établi. Pour finir, on note le rôle de deux acteurs face auxquels les ministères de la Santé ont eu peu de marge de manœuvre. D’une part, les fonds proviennent de financements externes (Banque Mondiale en Ouganda, 14 fonds d’allègement de la dette au Ghana, nécessité exprimée d’un soutien des bailleurs de fonds pour maintenir la gratuité des soins à Madagascar [28]). D’autre part, les ministères des Finances ont le premier rôle dans les décisions d’allocation budgétaire. En Ouganda, ces décisions ont avantagé le secteur de la santé; mais au Ghana, le ministère des Finances a fini par retirer le financement du programme de gratuité des accouchements, en partie semble-t-il à cause de la «concurrence» d’un autre programme émergent, l’assurance-santé nationale [30, 41]. Les conséquences sont variables sur les revenus du système de santé. Au niveau sociétal, la perte de revenus pour le système de santé ougandais est estimée à 3.4 millions US$ par an mais serait largement compensée par les gains économiques générés par l’abolition des frais. Permettant un meilleur accès aux soins, l’abolition aurait considérablement réduit, surtout pour les pauvres, les pertes de revenus de travail pour cause de maladie [39]. Au niveau des structures sanitaires, l’abolition soudaine des frais aux usagers en Ouganda a initialement causé une perte de revenu les mettant en difficulté pour assumer leurs dépenses récurrentes, jusqu’à ce que le financement compensatoire soit dégagé [36, 37]. Au Ghana, la compensation des revenus auparavant tirés des frais aux usagers était cruciale, car les accouchements sont des services coûteux. Lorsque ces fonds compensatoires étaient encore disponibles, les responsables de structures sanitaires les ont préférés au financement par les usagers, qui les obligeait à poursuivre les parturientes ayant des difficultés de paiement. Mais cette compensation a été insuffisante, conduisant les structures sanitaires à s’endetter, jusqu’au point où certaines ont dû rétablir les frais aux usagers.
Effet sur la fonction d’administration: intégration et articulations des activités
L’aspect communication est évoqué dans seulement un travail de recherche réalisé en Ouganda , un sur l’Afrique du Sud [38], et trois sur le Ghana. Tous expriment les plaintes de soignants et gestionnaires locaux, pour n’avoir pas été consultés durant le processus de décision et de planification de l’abolition des frais aux usagers. La communication en sens inverse s’est aussi avérée problématique au Ghana. Les structures et autorités sanitaires locales n’ont pas rendu compte au niveau central de l’utilisation des 16 fonds reçus [28, 40]. Le manque d’information est un autre problème rapporté. En Afrique du Sud et au Ghana, les soignants et les gestionnaires se plaignent de manquer de soutien pour implanter la politique d’abolition [28,38, 40]. Au Ghana, il semble que les communautés n’aient pas bien compris la mesure d’abolition, malgré la publicité faite par différents moyens. Le défaut de planification de l’abolition des frais aux usagers, d’implication des prestataires et des gestionnaires aux processus de décision et de mise en œuvre a créé à leur niveau un sentiment de frustration. Les versements du niveau central se sont avérés très insuffisants par rapport au niveau d’activité des structures sanitaires [40]. De ce fait, les médicaments et consommables sont le plus souvent en rupture du fait de l’accroissement de la demande et de l’insuffisance voire le manque de planification [36]. Au niveau des hôpitaux de district, la distribution des kits accouchements n’a pas été proportionnelle à la population. Les insuffisances dans la planification, la mise en œuvre et le suivi menacent la pérennité de la politique. En plus de cela, la complexité du processus des remboursements et la multiplicité des interlocuteurs constituent autant de facteurs qui empêchent une réelle transparence du processus et la responsabilisation des acteurs aux différents échelons du système. La multiplicité des acteurs rend difficile l’identification d’un responsable.
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