Effets de la formation musicale sur la production de l’anglais
Production de la prosodie
Dans l’étude n°3, nous avons posé comme hypothèse que les locuteurs dont l’oreille a été entraînée par la pratique musicale rencontreraient plus de facilités à reproduire les éléments musicaux de l’anglais, c’est-à-dire les éléments prosodiques. Cette hypothèse se vérifie partiellement pour deux variables sur les trois variables étudiées.
Forme de la courbe
En ce qui concerne la forme de la courbe, il apparaît en effet qu’en situation de répétition immédiate, la proportion de contours spécifiquement anglais est plus grande chez les enfants musiciens. Inversement, la proportion de ces contours dans les productions des non musiciens est plus faible, révélant peut-être un phénomène de crible prosodique avec le français en situation de répétition immédiate (réalisation de contours descendants à la place des contours en cloche). Pour des enfants de 7 ans, il ne suffit donc pas de répéter des mots après un locuteur natif pour pouvoir les reproduire correctement. En revanche, le fait d’avoir un oreille entraînée par la pratique musicale leur permet de mieux repérer les caractéristiques prosodiques non natives et donc de mieux les reproduire. Par ailleurs, les enfants musiciens généralisent la production des contours en cloche aux énoncés où ces contours ne devraient pas apparaître, c’est-à-dire dans les mots monosyllabiques à l’initiale non voisée (normalement affectés d’un contour descendant). Les enfants se montrent donc « bons imitateurs », non pas dans le sens où ils imitent fidèlement la réalité, mais dans le sens où ils sont capable d’isoler les principales caractéristiques d’une langue et de les incorporer à leurs productions pour avoir au final des énoncés qui « sonnent » anglais, en tout cas aux oreilles des français. Ce faisant, ils se comportent exactement comme le ferait un caricaturiste lorsqu’il restitue les traits caractéristiques du visage d’une personne sur un dessin ou sa façon de parler dans une imitation vocale ou sa façon de bouger dans une imitation corporelle et gestuelle. Si les contours en cloche contribuent à la couleur « anglaise » de l’énoncé, alors pourquoi ne pas les généraliser ? VIII) Effets de la formation musicale sur la production de l’anglais La Langue en Harmonie : influences de la formation musicale sur l’apprentissage précoce d’une langue étrangère 470
Localisation de l’accent
On retrouve un phénomène similaire dans la restitution de l’accent dans les mots trisyllabiques. Nous avons vu qu’il était difficile de tirer une conclusion quant à la différence entre G1 et G2 et ce, à cause du petit nombre d’occurrences analysées. Cependant, lorsque les enfants des deux groupes se trompent et localisent l’accent sur une mauvaise syllabe, c’est le plus souvent la première syllabe qui est concernée et non la syllabe finale, ce qui aurait traduit une interférence avec la rythmique du français. Or, l’accentuation initiale constitue l’une des caractéristiques distinctives de l’anglais par rapport au français (cf. Chapitre V, 2.1.1.2.). Comme pour les contours en cloche, les enfants pourraient avoir identifié cette caractéristique distinctive et la généraliser. Ainsi, même s’ils font des erreurs, leurs productions ressemblent à des mots anglais. Cette stratégie de généralisation est utilisée par les enfants des deux groupes, sûrement à cause du fait que l’accent en anglais est un phénomène sonore saillant. Il n’y a donc pas besoin d’avoir une oreille particulièrement entraînée pour le repérer. Nous avons vu dans le chapitre VII que l’accent était perçu facilement dans le test de perception T5 et ce, par l’ensemble des enfants de notre échantillon (étude n°1). Les résultats concernant leur restitution de l’accent dans les mots bisyllabiques confirment cette interprétation. En effet, les enfants des deux groupes le localisent quasiment parfaitement (plus de 90 % de productions correctes dans les deux groupes) en situation de répétition immédiate. En revanche, la tâche semble beaucoup plus difficile en répétition différée et ce sont les musiciens qui s’en acquittent le mieux. Dans ce type de répétition, c’est la mémoire à long terme qui est mise en jeu puisque ces enfants restituent des énoncés qu’ils ont appris en classe. La capacité des musiciens à reproduire correctement des énoncés stockés à long terme pourrait provenir d’une mémoire musicale plus optimale. La mémoire musicale de la parole est définie par Llorca (1992 : 47-48) comme : « celle qui repose seulement sur les données concrètes, données phonétiques et prosodiques d’une séquence entendue, indépendamment de leur valeur linguistique : il s’agit purement de la mémoire des sons perçus et de leur agencement ». La mémoire musicale est très importante dans une LE, puisqu’elle permet la mémorisation d’une forme sonore avant l’accès à son interprétation linguistique et à son sens. La prosodie joue un rôle essentiel dans cette mémorisation : VIII) Effets de la formation musicale sur la production de l’anglais La Langue en Harmonie : influences de la formation musicale sur l’apprentissage précoce d’une langue étrangère 471 « On découvre que l’intégration des intonations et des schémas rythmiques se fait davantage par des souvenirs sonores que par des connaissances théoriques. Par exemple, on ne retient vraiment la place de l’accent dans un mot anglais que lorsqu’on a le souvenir de sa prononciation par une personne particulière, avec la voix de cette personne et l’intervalle mélodique qu’elle a placé entre la syllabe accentuée et la syllabe inaccentuée » (Llorca, 1992 : 60). Les musiciens semblent donc capables de conserver des « souvenirs sonores » précis des énoncés qu’ils ont appris, probablement parce qu’ils ont été entraînés à mémoriser des extraits sonore au cours de leur formation musicale. En revanche, les énoncés seraient moins bien stockés par les non musiciens et pourraient être plus facilement altérés par des effets de filtre avec la langue maternelle. Il est donc nécessaire d’opérer un « rafraîchissement » fréquent au contact du modèle natif pour éviter ces phénomènes d’assimilation « à long terme ».
Exagération de la courbe
Contrairement aux deux autres variables, notre hypothèse ne se vérifie pas pour la variable « exagération de la courbe ». Non seulement les enfants musiciens n’utilisent pas de stratégie d’exagération, mais de plus, leurs contours moyens sont étonnamment identiques à ceux des enfants non musiciens. En effet, les contours des deux groupes se superposent presque parfaitement et ce, sans distinction de situation de discours. Par ailleurs, ces contours moyens sont beaucoup moins amples que les productions du locuteur natif, même en répétition immédiate. Pourtant, nous avions trouvé, dans un corpus rassemblant les productions de 10 enfants du même âge (Dodane, 1997, 2000), un enfant musicien, Anthony, qui manifestait une stratégie d’exagération très marquée. Il est possible que cette stratégie ne se manifeste que chez des enfants ayant un très bon niveau musical, ce qui était le cas de cet enfant. Il est également possible que d’autres facteurs interviennent dans la formation de ce type de stratégie comme la personnalité de l’apprenant par exemple. En effet, est-ce que l’apprenant va oser exagérer ses productions en anglais ou au contraire, va-t-il les « tasser » par peur d’avoir l’air ridicule devant ses camarades ? L’âge pourrait également se révéler déterminant, les enfants plus jeunes n’ayant pas peur de jouer avec les sons ; le poids social est déjà identique à 7 ans pour tous les enfants mais il est possible qu’une étude avec des enfants plus jeunes fasse apparaître des différences entre les groupes. Dans la présente étude, nous avons choisi d’étudier les productions des enfants par groupe, « groupe musiciens » et « groupe non musiciens ». VIII) Effets de la formation musicale sur la production de l’anglais La Langue en Harmonie : influences de la formation musicale sur l’apprentissage précoce d’une langue étrangère 472 Ainsi, les contours étudiés sont des contours moyens, c’est-à-dire qu’ils gomment les différences entre les individus. Avec cette méthode, si l’un des enfants de notre corpus manifeste une stratégie d’exagération, nous ne pouvons pas le remarquer. Il serait donc intéressant, dans le futur, de compléter notre analyse par une étude qualitative des productions de chaque enfant de notre corpus. Cette étude sera facilitée par le fait que nous disposons dorénavant des contours moyens produits par l’ensemble des enfants, contours que nous pourrons comparer aux productions individuelles. Si nous n’avons pas fait apparaître de stratégie d’« exagération », nous avons en revanche fait apparaître, et de manière plus marquée chez les enfants musiciens que les enfants non musiciens, une stratégie de « généralisation » des caractéristiques prosodiques spécifiquement non natives de l’anglais.