Effets de la coexposition d’abeilles émergentes au CBPV et au thiaméthoxame
Développement d’une méthode de transmission du CBPV par contact
Introduction
Le CBPV est déjà connu comme pouvant se propager facilement par contact lorsque les abeilles sont confinées dans la ruche (Bailey et al., 1983). Plus récemment, il a été avancé aussi le rôle des fèces des abeilles infectées dans la dissémination virale au sein de la colonie (Ribière et al., 2007). Cette dernière étude a démontré également qu’une transmission était possible par application du virus sur la cuticule épilée du thorax d’abeilles. Expérimentalement, la transmission peut aussi être réalisée par injection thoracique de 4 x 104 copies de virus purifié (Chevin et al., 2012). Toutefois, ces deux voies expérimentales de transmission du CBPV induisent un stress lié à l’injection et à la manipulation individuelle des abeilles qui s’ajoute aux effets de l’infection du pathogène et peut induire des biais expérimentaux. Afin de diminuer au maximum les stress subits par les abeilles testées, nous avons décidé de développer une méthode, reproductible, d’exposition au CBPV en conditions expérimentales, proche du mode naturel de transmission entre des abeilles infectées, symptomatiques et des abeilles saines (figure 22). J’ai donc mis en présence d’abeilles saines des abeilles préalablement injectées avec une quantité de CBPV connue pour provoquer la paralysie chronique (4 x 104 copies de virus purifié (Chevin et al., 2012)), présentant des signes cliniques de paralysie chronique (3 à 4 jours après l’injection). Ces abeilles injectées ont donc servi d’inoculum en transmettant le virus par contact, remplaçant l’injection thoracique ou l’application du virus sur la cuticule des abeilles. Afin de définir la proportion d’abeilles préalablement infectées pour obtenir une diffusion virale, suffisante, j’ai testé l’introduction de nombres différents d’abeilles malades par cagettes.
Matériel et méthodes
Toutes les expériences de chapitre ont été réalisées en cagette, en conditions contrôlées proche des tests standards d’exposition aux pesticides (méthode n° 230 ; Commission des Essais Biologiques and Association Française de protection des plantes, 2014). Cependant, nous avons adapté quelques paramètres au regard du risque infectieux. Notamment, nous avons remplacé l’alimentation en miel et pollen par du Candy vendu sous vide (Apifonda, Südzucker AG, Allemagne) du sirop de saccharose à 50% (D(+)-sucrose, Acros Organics, Fisher Scientific, USA) et une solution protéique spécifique (sirop 50% + 1% Provita’Bee, ATZ Diététics, France), afin d’éviter toute contamination des abeilles mises en cagette. Certains virus sont en effet connus pour être transmissibles via le pollen (Singh et al., 2010). De plus, nous n’avons pas non plus standardisé les expérimentations par rapport à l’insecticide référence, le diméthoate. En effet, notre objectif à terme était d’observer l’effet de la co-exposition entre le CBPV et le thiaméthoxam relativement aux effets individuels de ces stress, et non en fonction de la référence de toxicité. Fin avril 2015, des abeilles émergentes provenant d’une ruche sans signe clinique de paralysie chronique ni infection supérieure à la limite de quantification de la PCR quantitative (103,9 copies/abeille) ont été réparties dans 24 cagettes selon les modalités suivantes : trois groupes d’abeilles exposées mises en présence d’une, de trois ou de six abeilles malades pour 10 abeilles saines (pour chaque conditions : 4 cagettes de 30 abeilles par jour de prélèvement), un groupe de 30 abeilles témoins négatifs (sans mise en contact d’abeilles infectées ; 1 cagette par jour de prélèvement), et un groupe d’abeilles témoin positif (inoculées par voie intrathoracique ; 1 cagette par jour de prélèvement). Les abeilles témoin positif et celles préalablement malades ont reçu la même dose de virus par injection (estimé par RT-PCR quantitative à 4 x 104 copies de génomes viraux par abeille). Le suivi a été réalisé à 5, 10, 15 et 18 jours après contact avec les abeilles infectées en analysant les mortalités et la charge virale individuelle de huit abeilles, par RT-PCR quantitative (Blanchard et al., 2012). Les statistiques effectuées comprennent une ANOVA, ainsi qu’un post hoc de TukeyHSD (logiciel PAST) afin de comparer les charges virales des différents groupes.
Résultats et discussion
Les charges virales des abeilles ne présentaient pas de différences significatives en fonction de la proportion d’abeilles malades ajoutées à la cagette, variant de 10% à 30% (Figure 24. Les charges virales des abeilles infectées par injection ne sont pas non plus significativement différentes de celles infectées par mise en présence d’abeilles malades. On observe que de faibles charges virales ont été détectées chez les abeilles du groupe témoin négatif. Cependant, ces faibles charges virales, proches voire en dessous de la limite de quantification de la méthode, sont stables dans le temps et restent significativement inférieures aux charges virales observées dans les abeilles des autres groupes (p<0.05). Nous avons également procédé à une vérification, afin de savoir si les virus quantifiés résultaient bien d’une réplication chez l’abeille et n’étaient pas simplement adsorbés à la cuticule à l’extérieur des abeilles testées. Ainsi, une quantification sur de nouvelles abeilles a été effectuée après lavage avec du tampon phosphate additionné de RNases (10 U, RNase A, Roche. On observe une différence significative entre la médiane des témoins (Figure 25) et celle des abeilles en contact avec les abeilles infectées (p=0.03). A l’inverse il n’y a pas de différence significative entre les abeilles en contact avec des abeilles infectées et des abeilles ayant subi une injection de CBPV (p=0.06). On peut en conclure que les abeilles en contact avec des malades répliquent le virus, puisque leurs charges sont supérieures à celles des témoins et voisine des charges virales observées chez les abeilles inoculées avec le CBPV.
Metabolisation du thiame thoxam et coexposition avec le CBPV
Pour déterminer s’il existait une interaction entre le thiaméthoxam et le CBPV, j’ai utilisé la méthode de transmission non invasive précédemment décrite. J’ai ainsi pu expérimenter les effets conjoints d’une infection par le CBPV et d’une exposition chronique au thiaméthoxam sur la survie, et suivre les charges virales en CBPV d’abeilles en cagettes (figure 25). En amont, j’ai également réalisé une expérience qui m’a permis de montrer la cinétique de métabolisation du thiaméthoxam en clothianidine chez l’abeille domestique (figure 26). Les résultats obtenus ont été valorisés dans un article accepté dans Pesticide Biochemistry & Physiology (Coulon et al., n.d.)(21/10/2017)