Physiopathologie
La peau est le plus grand et le plus lourd organe du corps humain (Gartner, Lacave, Hiatt, & Fajac, 2004). Sa principale fonction est de protéger les structures sous-jacentes contre les agressions physiques, chimiques et biologiques. La peau constitue une barrière imperméable à l’eau, offre une protection contre les rayons ultraviolets, synthétise la vitamine D et régularise la température corporelle (Gartner et al., 2004). En histologie, les types de peau sont classés en fonction de l’épaisseur de la couche de cornée, soit une peau de type fine ou une peau de type épaisse. La peau de la face plantaire du pied est considérée comme une peau épaisse étant donné l’ importance de la couche cornée. La peau plantaire est constituée de trois couches distinctes: l’épiderme, le derme et le tissu sous-cutané (également subdivisées en plusieurs sous-couches, dépendantes les unes des autres). L’épiderme est composé de cinq sous-couches cellulaires. Normalement, en 28 à 30 jours, les cellules provenant de la couche la plus profonde maturent vers la couche superficielle pour ultimement desquamer et se détacher complètement de l’épiderme (Eckhart, Lippens, Tschachler, & Declercq, 2013; Gartner et al., 2004).
La couche la plus profonde, le stratum basale, est formée d’une mono couche de cellules souches de forme cubique. Ces cellules chemineront vers la couche supérieure, le stratum spinosum, par mitose. À ce niveau, les cellules deviennent polyédriques et sont appelées kératinocytes. Elles forment la couche la plus épaisse de l’épiderme et sont reliées entre-elles par des jonctions intercellulaires appelées des desmosomes. Les kératinocytes entrent également en mitose par différentiation et donnent naissance à la couche suivante, le stratum granulosum. Les cellules de cette couche contiennent des granules de kératohyaline remplissant graduellement la cellule. Une fois que la cellule est complètement remplie de ces grains, le noyau et les organites sont détruits. À ce moment, la cellule fait partie de la quatrième couche, le stratum lucidum (seulement présente dans les peaux épaisses). Finalement, le contenu des grains de kératohyaline, au cours de la maturation cellulaire, provoque la production et le relâchement de facteurs hydratants ainsi qu’une modification de la membrane cellulaire qui devient une enveloppe rigide, extrêmement résistante, et insoluble. Une fois ce stade cellulaire atteint, les cellules, appelées coméocytes, forment la couche la plus superficielle, le stratum comeum, et sont reliées entre-elles par les coméodesmosomes. Les liaisons cellulaires sont par la suite détruites par des enzymes et les coméocytes sont relâchés, ce qui constitue la desquamation continue et observable de la peau (Gartner et al., 2004).
Description du cor plantaire Un CP est une affection dermatologique qui consiste en un épaississement conique de la couche cornée de l’épiderme (stratum corneum) (Dockery & Crawford, 1997). Le sommet de cet épaississement correspond à l’un des points de pression ou friction de la plante du pied (Kim et al., 2010). Cette réaction cutanée à des traumatismes répétés a été décrite dans plusieurs études (Kim et al., 2010; Mann & Mann, 2004; Thomas, Dykes, & Marks, 1985). Lors de ces traumatismes, les kératinocytes augmentent leur vitesse de différenciation. Cette vitesse étant plus élevée, les cellules de l’épiderme ne parviennent pas à une différenciation complète. Par conséquent, les cellules d’adhésion telles que les cornéodesmosomes sont toujours fonctionnelles et la desquamation n’a pas lieu. Les cornéocytes restent donc en contact les uns avec les autres et ne peuvent pas se détacher du reste de l’épiderme (Haftek et al., 1997). Il Y a donc une accumulation et un épaississement de la couche cornée (stratum corneum). Pour les CP de cause génétique, il s’agit de mutations causant des troubles au niveau du développement cellulaire des cornéocytes ou encore de leur desquamation (Shwayder, 2004). Ces modifications, tout comme les traumatismes cutanés répétés, causent 4 un épaississement de la couche cornée. Cliniquement, les sujets affectés d’un CP décrivent des douleurs similaires à un corps étranger tel un caillou ou une aiguille à chaque pas. Il s’agit d’un problème médical important, particulièrement à cause des autres troubles qui lui sont associés. Effectivement, il en résulte des difficultés à marcher ainsi qu’une perte d’équilibre pouvant entraîner des chutes étant donné que le sujet modifie sa démarche pour ne pas mettre de poids sur la lésion (Balanowski & Flynn, 2005). Par ailleurs, certaines personnes âgées peuvent perdre une partie de leur autonomie considérant les difficultés à se déplacer(Araguas Garcia & Corbi Soler, 2018a).
Les traitements conservateurs disponibles
Débridement chirurgical conservateur. Le traitement de référence pour les CP est le débridement chirurgical conservateur (Booth & McInnes, 1997; Helfand, 2004) et consiste au retrait de l’épaississement conique à l’aide d’un scalpel muni d’une lame stérile et d’une fraiseuse podiatrique (Balanowski & Flynn, 2005; Dockery & Crawford, 1997). Considérant que les cellules retirées, les cornéocytes, ne sont pas liées à des terminaisons nerveuses ni à des capillaires sanguins, la procédure se fait habituellement sans douleur ni saignement. Plusieurs études ont évalué l’effet du débridement chirurgical conservateur sur l’intensité de la douleur chez les sujets présentant des lésions hyperkératosiques (Araguas Garcia & Corbi Soler, 2018b; Davys et al., 2005; Landorf et al., 2013; Redmond, Allen, & Vernon, 1999; Siddle et aL, 2013). Immédiatement après l’intervention, une diminution significative de la douleur est rapportée. Suivant le débridement, en plus d’une diminution de la douleur, cette intervention améliorerait l’équilibre, augmenterait la fonctionnalité et diminuerait la pression maximale sur la surface planta.ire(Araguas Garcia & Corbi Soler, 20 18b). Par contre, sur le long terme, le débridement chirurgical conservateur des lésions hyperkératotiques chez les sujets atteints d’ arthrite rhumatoïde ne diminuerait pas l’intensité des douleurs (Siddle et aL, 2013).
En effet, Siddle et al. ont comparé deux groupes de sujets atteints d’arthrite rhumatoïde. L’un des groupes a reçu des débridements chirurgicaux conservateurs aux 6 à 24 semaines sur une période de 18 mois alors que l’autre groupe ne recevait pas d’ intervention. À 18 mois, l’ intensité de la douleur associée était la même au sein des deux groupes. D’après la littérature, il semble donc que ce type de traitement ne soit efficace qu’à court ou moyen terme (Gij6n-Noguer6n et aL, 2017). Les sujets présentant cette affection dermatologique doivent donc consulter plusieurs fois pour le même problème de santé et même plusieurs fois par année dans la plupart des cas. TI est difficile d’émettre des moyennes précises sur le temps de réapparition des lésions hyperkératosiques suite au débridement puisqu’il n’y a pas d’études disponibles sur le sujet et que la fréquence varie en fonction de l’intensité de la douleur ressentie par le sujet. Dans l’étude de Balanowski et Flynn (2005), l’ intensité de la douleur et les incapacités secondaires au CP ont diminué suite à un débridement. Par contre, cette différence s’était résorbée sept jours après l’intervention. Cette approche thérapeutique est priori sée en clinique podiatrique puisqu’elle soulage immédiatement le sujet, qu’elle n’est pas invasive et qu’elle est abordable (Davys et al., 2005~ Landorfet al., 2013 ~ Shwayder, 2004 ~ Siddle et al., 2013).
Effet cutané de la Iidocaïne La lidocaïne est un anesthésiant local de la classe des amides qui est fréquemment utilisé lors d’interventions chirurgicales. Celle-ci est disponible en plusieurs concentrations et combinée ou non avec de l’ épinéphrine. La lidocaïne possède plusieurs propriétés. TI est connu que lorsqu ‘elle est injectée, elle crée un flot sanguin cutané plus important que l’ injection d’ESP ou l’insertion d’une aiguille (Cederholm et al., 1991; Ghali et al., 2008; Newton, McLeod, Khan, & Belch, 2007). Effectivement, cet anesthésiant local diminue le tonus sympathique des vaisseaux sanguins et cause, conséquemment, une augmentation du flot sanguin. De plus, la lidocaïne a un effet négatif sur la prolifération des fibroblastes en milieu de culture tissulaire (Martins son, Haegerstrand, & Dalsgaard, 1993; Payne, Connolly, Staughton, Weiss, & Lant, 1990). Les fibroblastes sont des cellules du derme qui interagissent continuellement avec les kératinocytes à l’aide de facteurs de croissance (O’Keefe, Chiu, & Payne, 1988). Les fibroblastes ont donc un effet direct sur le taux de prolifération des kératinocytes. Ces effets ont notamment été observés à des concentrations usuellement utilisées en clinique (Bisla & Tanelian, 1992; Payne et aL, 1990). Finalement, en apportant des variations aux influx intra et extracellulaires des ions calcium et sodium, la lidocaïne modifie la conformation des membranes cellulaires des granulocytes qui sont des globules blancs ayant un rôle dans l’inflammation. Puisque les membranes sont modifiées, ces cellules ne peuvent plus adhérer aux surfaces, les empêchant de libérer des facteurs inflammatoires (Hollmann & Durieux, 2000; MacGregor, Thomer, & Wright, 1980). Pour ses propriétés anti-inflammatoires, cet anesthésiant local est utilisé lors de nombreuses chirurgies abdominales, puisque ce type d’ intervention est souvent associé à d’importants relâchements de facteurs inflammatoires (Hollmann & Durieux, 2000). Lors de la destruction d’un tissu sain, comme le derme sous le CP, il Y a relâchement de médiateurs de l’inflammation produisant une sensation douloureuse (Hollmann et al., 2000). Cette propriété intéressante de la lidocaïne pourrait donc possiblement diminuer la douleur associée au CP.
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