Effet Lehmann thermique
L’objectif de ce chapitre est d’introduire la problématique de la thèse en faisant le point sur les expériences et les avancées théoriques relatives à l’effet Lehmann depuis sa découverte, en mettant en évidence les para- doxes et les points de vue contradictoires.que dans un échantillon chauffé par le bas, des gouttes de cristaux li- quides sont en perpétuelle rotation dans le sens inverse des aiguilles d’une montre et que leur texture s’enroule. Selon lui, le phénomène pour- rait être relié à un effet de tension de surface, mais d’après les sens de ro- tation et d’enroulement de la texture, les gouttes semblent être entraînées depuis l’intérieur et non par leur surface. Il envisage également l’exis- tence d’un écoulement dans l’échantillon.En 1921, après avoir multiplié les observations grâce à son microscope à cristallisation, chauffant et polarisant, Lehmann donne des informations supplémentaires [Leh21]. En réalité, la rotation ne se produit pas avec n’importe quel cristal liquide. Il constate qu’elle ne se produit avec le para-azoxyphénétole — une molécule non chirale — qu’après avoir ajouté une « faible quantité » d’impuretés qui induisent une torsion en hélice de la texture en absence de flux de chaleur. Suivant la nature de l’impureté, colophane ou benzoate de cholestéryle, il observe une rotation dans le sens des aiguilles d’une montre ou en sens inverse, correspondant au sens de la torsion de la texture. Ce point est fondamental, puisqu’il montre le rôle joué par la chiralité. En augmentant la quantité d’impuretés, la torsion augmente ainsi que la vitesse de rotation. De plus en ajoutant simultanément les deux impuretés en proportions telles que leurs effets sur la torsion de la texture se compensent, Lehmann n’observe aucune rotation, ou des oscillations. La première conclusion que l’on peut tirer de ces expériences est que le phénomène ne se manifeste que dans les cristaux liquides cholestériques, jamais dans les nématiques.
Le livre de 1921 donne une autre information importante : en effet, Lehmann est convaincu que ce n’est pas la goutte elle-même qui tourne, mais seulement sa texture, puisqu’il n’observe pas d’écoulement du cris- tal liquide. La rotation n’est donc qu’apparente et seulement due à une réorientation des molécules qui donne une impression de rotation de la goutte elle-même.trations en molécules chirales des mélanges de Lehmann, quelles vitesses de rotation a-t-il observé et quel gradient de température a-t-il utilisé ? Quelles épaisseurs avaient ses échantillons ? Les lames de verre étaient- elles traitées ? Les gouttes étaient elles en suspension, et le cas échéant dans quoi ? etc. Ce manque d’information explique probablement pour- quoi, à notre connaissance, l’expérience de Lehmann n’a jamais été repro- duite depuis cette époque.Pourtant, le livre de Lehmann était accompagné d’un film en noir et blanc muet qu’il avait lui-même réalisé, conscient qu’il serait plus simple de comprendre ses observations en les voyant plutôt qu’en li- sant ses explications. Hélas, le film qui n’existait qu’en un, peut-être deux exemplaires, n’est plus en possession de la société de production (UFA- Produktion) qui existe toujours. Les grandes bibliothèques ont également perdu sa trace ainsi que la bibliothèque de l’université de Karlsruhe où Lehmann travaillait et qui a conservé bon nombre d’archives sur lui. Ni la fondation Otto Lehmann, ni ses descendants ne savent non plus ce qu’il est advenu de ce film. Il a donc très probablement été perdu ou détruit pendant la seconde guerre mondiale.
En 1933 Oseen introduit l’idée, que dans l’expérience de Lehmann, toutes les molécules de la goutte tournent à la même vitesse autour d’axes verticaux — parallèles au gradient de température — passant par leurs centres de gravité [Ose33].Il faut ensuite attendre 1968 et les travaux de Leslie sur l’hydrodyna- mique des cristaux liquides [Les68] pour que la question soit de nouveau abordée. Dans sa théorie, Leslie propose des équations constitutives re- liant linéairement le flux de chaleur, les forces sur les particules fluides et les couples sur l’orientation du directeur, aux gradients de vitesse, d’orientation du directeur et de température. Ces équations montrent que dans un cholestérique plongé dans un gradient de température s’exerce a priori un couple sur le directeur, qui tend à le faire tourner autour de la direction du gradient et proportionnellement à ce dernier. Le coefficient de proportionnalité sera appelé coefficient Lehmann et noté n dans la suite.