La découverte des nanofils
Dans la littérature, les tous premiers articles stipulant la croissance d’objets du type nanofils datent des années 1955-1956. Franks explique alors la croissance d’objets allongés ou «whiskers» d’étain par l’existence de contraintes induisant une relaxation hors du plan de la surface. D’autres travaux évoquent la cristallisation d’un matériau présent sous forme de vapeur ou de liquide sur des dislocations. Un peu plus tard, la méthode d’élaboration décrite par Gershenzon et Mikulyak repose sur la réaction d’un mélange d’oxyde de gallium avec du phosphore sublimé pour former des cylindres de GaP micrométriques et monocristallins. Les voies d’élaboration sont diverses et les mécanismes de croissance sujet à discussion. Les premiers articles relatant la croissance de structures similaires à base d’éléments IV datent de 1964-1965. A cette époque, Wagner et Ellis obtiennent pour la première fois la croissance de whiskers de silicium micrométriques par une méthode nouvelle. Le mécanisme de croissance met en jeu l’utilisation de la matière sous trois formes à savoir les états vapeur, liquide et solide. Il est donc logiquement qualifié de «Vapour Liquid-Solid» ou «VLS». Pour leurs expériences de Dépôt Chimique en phase Vapeur ou «Chemical Vapour Deposition» (CVD), une particule d’or est déposée sur un substrat de Si . L’ensemble est porté à 950°C de manière à former un alliage AuSi. Cet alliage est alors soumis à un flux gazeux de SiCl4 ou de SiI2 qui va se décomposer à son contact pour libérer des atomes de Si. L’incorporation de Si est favorisée par la présence de l’alliage liquide ce qui permet la croissance de whiskers. Les différentes étapes de croissance sont alors mises en évidence . Tout d’abord, la formation de l’alliage liquide permet d’obtenir une forte capacité d’adsorption. L’incorporation d’atomes provoque une sursaturation en Si dans cette phase liquide. Un gradient de concentration est établi et donne lieu à une précipitation du Si vers l’interface liquide-solide où il cristallise pour engendrer la croissance d’un whisker, préférentiellement selon une direction cristalline <111>. Wagner et Ellis utilisent avec succès le platine, le palladium, le nickel, l’argent et le cuivre en lieu et place de l’or pour élaborer leurs whiskers. Cependant, la cinétique de croissance, la forme des objets synthétisés ainsi que les facettes apparentes s’en retrouvent modifiées.
De la formation de whiskers micrométriques à celle de nanofils
Après ces premières découvertes sur la croissance d’objets semiconducteurs à la géométrie particulière, beaucoup d’efforts sont concentrés sur la synthèse d’objets de composition, structure cristalline, taille et forme maîtrisées. Ces travaux mettent en compétition différents groupes, travaillant sur différents matériaux et des techniques d’élaboration diverses. Des approches bottom up comme la méthode VLS et d’autres approches du type top down vont se développer en parallèle au fil des avancées technologiques. Les naissances conjuguées de la technique de gravure par faisceau d’ions focalisé ou « Focussed Ion Beam » (FIB) (entre 1975 et 1978) et de la lithographie électronique ou « Electron Beam Lithography » (EBL) (plus difficile à situer dans le temps), ont rapidement donné l’avantage à l’approche top down. Toutefois, deux problèmes majeurs subsistent avec cette approche : la qualité cristalline est inconnue et il est probable que l’exposition du cristal à un faisceau d’ions puisse endommager sa structure ; il reste très délicat d’obtenir un véritable confinement 2D car les canaux sont gravés sur le substrat.
Il faudra attendre environ 30 ans et les progrès des techniques de caractérisation pour retrouver enfin des avancées notables sur les technologies bottom up. Le retour en grâce de l’approche bottom up est issu de travaux sur des éléments IIIV. Fujii et al. obtiennent la croissance de whiskers de GaP et de «needles» de GaAs en 1988-1990. Les travaux de Hiruma et al. permettent, en 1991, de pénétrer l’univers des nanofils, i.e. celui de whiskers de diamètres inférieurs à 100nm. Des « microcristaux de taille quantique en forme de pointe » de GaAs sont élaborés sur substrat de GaAs grâce à l’introduction d’organométalliques utilisés comme précurseurs du gallium (triméthyle gallium Ga(CH3) en plus de l’arsine (AsH3), précurseur de l’arsenic. Des diamètres aussi faibles que 10nm sont revendiqués bien qu’il s’agisse en réalité du diamètre final du nanofil, le diamètre initial étant plutôt de l’ordre de 100nm.
Yazawa et al. de la société Hitachi produisent aussi des nanofils d’InAs de très faibles diamètres sur substrat d’InAs ou de GaAs avec une méthode similaire (triméthyle indium In(CH3)3 au lieu du triméthyle gallium). Les fils s’orientent, là encore, selon des directions quelle que soit l’orientation du substrat utilisé. Même avec un désaccord de paramètre de maille élevé (7.2%), ils ne présentent pas de dislocation mais seulement des fautes d’empilement. Ce résultat est donc très prometteur puisqu’il suppose que la nanostructuration permet de relaxer efficacement les contraintes sans création de défauts majeurs.
Intégration de nanofils semiconducteurs pour la fabrication de transistors verticaux : amélioration du contrôle électrostatique des porteurs dans le canal
Dans un cadre que l’on peut qualifier de «more Moore», on peut envisager l’intégration de nanofils pour fabriquer des transistors verticaux. Un des problèmes majeurs lié à la diminution des dimensions des transistors concerne le contrôle électrostatique des porteurs dans le canal de conduction. Des «effets de canaux courts» d’importance croissante avec la réduction des longueurs de canaux posent désormais d’importants problèmes. On peut citer par exemple : l’effet d’abaissement de barrière par le potentiel de drain ou Drain Induced Barrier Lowering (DIBL). Pour des canaux de longueur inférieure à 100nm, l’application du champ électrique source-drain abaisse la barrière de potentiel normalement contrôlée exclusivement par la grille. Cet effet induit l’apparition de courants de fuite ce qui altère les caractéristiques du transistor et augmente sa consommation électrique ; les effets de porteurs chauds. En régime de saturation, le fort champ électrique (inversement proportionnel à la distance) entre source et drain procure une énergie cinétique importante aux porteurs. Ceux-ci peuvent alors ioniser des atomes du réseau et de ce fait
libérer d’autres porteurs. Si l’énergie est très importante, un phénomène d’avalanche peut se produire et endommager le dispositif. Les porteurs créés par ionisation peuvent engendrer un courant de substrat important, eux aussi participer à un abaissement de la barrière de potentiel et ainsi dégrader le contrôle électrostatique par la grille ; l’effet tunnel dans les oxydes minces. La réduction des dimensions est associée à une réduction de l’épaisseur du diélectrique de grille. Dès lors, davantage de porteurs peuvent traverser cet oxyde par effet tunnel et dégrader le comportement du transistor. A l’heure actuelle, on peut considérer qu’une épaisseur de 5nm d’oxyde de grille est la limite basse pour conserver un courant de fuite acceptable par la grille. A ces soucis technologiques, on peut aussi ajouter la saturation de la vitesse des électrons (régime quasi balistique) et des diffusions accrues pour les porteurs notamment du fait de l’augmentation de leurs interactions avec les interfaces. Ces phénomènes résultent en une limitation du courant dans le canal.
Ces différents problèmes peuvent être en partie résolus par une modification de la géométrie du transistor. Aussi, la réalisation de transistors horizontaux à double grille (FinFET9) a déjà permis de démontrer une amélioration significative des performances des dispositifs. La géométrie nanofil est propice à l’utilisation de grilles enrobantes qui permettent un meilleur contrôle électrostatique des porteurs de charge. Avec cette géométrie, il a été démontré que la diminution des effets de canaux courts peut atteindre 35% par rapport à la géométrie FinFET. L’avantage principal d’un transistor à nanofil est la réduction du courant à l’état OFF ce qui permet d’obtenir des rapports de courant ON/OFF très élevés.
Des nanofils comme capteurs moléculaires ultrasensibles
Grâce à leur fort rapport surface/volume développé, les nanostructures en général et les nanofils en particulier sont de bons candidats pour la fabrication de capteurs moléculaires haute sensibilité. Dans ce cas, l’idée est d’exploiter les changements de conductivité du nanofil par la modification électrostatique de sa surface (O-, O2-, H+ et OH- sont dans la plupart des cas les espèces interagissant avec les molécules à détecter). L’adsorption de molécules à la surface déplète le nanofil ce qui affecte considérablement sa résistivité . L’effet est aussi visible sur la tension de grille à appliquer pour restaurer la conductivité initiale dans le cas d’un dispositif du type transistor . Comme l’action et l’encombrement stérique (lié à la densité de molécules adsorbables sur une surface donnée) de chaque molécule diffèrent, on peut obtenir une bonne sensibilité à l’élément adsorbé . Il est par ailleurs possible de rafraîchir le dispositif en désorbant les molécules présentes à sa surface par chauffage ou par application d’une tension de grille. Les capteurs réalisés avec des nanofils ou des nanotubes apparaissent plus rapides et plus sensibles que des capteurs de technologie planaire .
L’utilisation de nanofils de différents matériaux permet d’obtenir par exemple une sensibilité à la présence de gaz inflammables ou toxiques. Les différents essais prouvent, entre autres, une détection efficace du monoxyde et du dioxyde d’azote , de l’éthanol, du monoxyde de carbone , de l’ammoniac et de l’oxygène . Il est aussi possible d’envisager une fonctionnalisation des dispositifs, par exemple en déposant des nanoparticules à la surface des nanofils ou par greffage moléculaire. On peut alors augmenter de manière significative le signal de détection par une sorte de catalyse de surface ou rendre le dispositif sensible à un type de molécule particulier. Il est par exemple possible de fabriquer des capteurs à ADN par ce type de greffe.
Les défis à surmonter
Si les travaux sur les nanofils ont connu un essor considérable, il reste de nombreux points à améliorer en vue de leur intégration dans des circuits ou des dispositifs. Nous allons maintenant présenter quelques aspects qui suscitent encore de nombreux efforts de recherche et d’optimisation.
Diminuer le diamètre et la dispersion : Il est communément accepté que le diamètre des nanofils soit déterminé par celui des clusters métalliques servant à initier leur croissance. Afin de réduire les diamètres et surtout leur dispersion, il est donc important de contrôler la formation des catalyseurs. Plusieurs options sont envisageables : considérer d’autres métaux pour la croissance. La formation de gouttelettes par démouillage amène cependant toujours une certaine dispersion en taille ; réaliser la croissance à basse température pour éviter la coalescence des gouttes. Cela se fait toutefois aux dépens de la qualité cristalline et d’une bonne maîtrise de la morphologie ; définir des zones sur la surface sur lesquelles le métal sera déposé de manière sélective . Il s’agit d’une alternative intéressante et ayant produit de bons résultats. La complexité et coût de fabrication des nanofils s’en retrouvent malgré tout augmentés ; utiliser des colloïdes métalliques de diamètre contrôlé. C’est souvent la solution adoptée afin d’étudier les effets de dimensionnalité sur la croissance et sur les propriétés physiques des nanofils . Les conditions de croissance doivent en revanche être adaptées pour obtenir une bonne nucléation (l’interaction avec le substrat diffère par rapport au cas du démouillage simple) ainsi que pour éviter une coalescence des colloïdes une fois fondus. Malgré l’avantage du contrôle des diamètres, cette approche n’est pas directement applicable pour des croissances MBE car il est préférable d’effectuer la préparation de surface in situ, surtout dans le cas du Ge qui s’oxyde facilement ; développer de nouvelles techniques d’élaboration. L’ablation laser fait partie des approches permettant de réduire les diamètres obtenus. Ainsi, Morales et Lieber obtiennent des nanofils de Si avec des diamètres compris entre 6 et 20nm et même entre 3 et 9nm pour le Ge . Mais, subsiste le problème inhérent à cette méthode pour le positionnement des nanofils.
Il n’existe donc pas, à ce jour, de solution permettant un contrôle total des dimensions des nanofils. La technique s’en rapprochant le plus consiste en l’utilisation de colloïdes.
Maîtriser l’orientation des nanofils : La direction de croissance des nanofils est aussi très importante pour bon nombre d’applications. Pour l’intégration de nanofils dans des structures du type transistors verticaux, les nanofils doivent s’orienter perpendiculairement à la surface. Ce comportement est fréquemment obtenu sur des substrats orientés. Pour la fabrication de dispositifs planaires (transistors ou interconnexions), il faut pouvoir guider le nanofil dans le plan de la surface. Pour des applications visant à absorber de manière efficace un rayonnement incident, des nanofils inclinés peuvent s’avérer intéressants.
Il est cependant délicat de gérer l’orientation des nanofils. Une réduction de l’énergie de surface est souvent considérée comme responsable de cette orientation . Les nanofils de diamètre supérieur à 20nm (pour le Si), s’orienteraient selon la direction alors qu’en dessous de ce diamètre les directions de croissance.
Une des méthodes permettant de contrôler l’orientation serait donc en premier lieu de contrôler le diamètre. Malheureusement, des nanofils de Si et Ge orientés ne sont jamais observés et ce quel que soit leur diamètre. Cela constituerait pourtant la solution la plus favorable puisque les substrats fréquemment utilisés en microélectronique sont des substrats Si(001).
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
Bibliographie
CHAPITRE I LES NANOFILS SEMICONDUCTEURS
I.1. La découverte des nanofils
I.2. Etat de l’art
I.3. Potentiel applicatif des nanofils
I.4. Les différentes techniques d’élaboration
I.5. Les défis à surmonter
I.6. Conclusion
Bibliographie du chapitre I
CHAPITRE II MECANISME DE CROISSANCE VAPEUR-LIQUIDE-SOLIDE APPLIQUE A LA CROISSANCE PAR EPITAXIE PAR JETS MOLECULAIRES
II.1. Transport de matière
II.2. Vitesse de croissance des nanofils élaborés par MBE
II.3. Points spécifiques du mécanisme VLS
II.4. Géométrie des gouttes d’alliage
II.5. Aspect énergétique
II.6. Une variante du mécanisme VLS : croissance VSS
Bibliographie du chapitre II
CHAPITRE III TECHNIQUES EXPERIMENTALES
III.1. L’épitaxie par jets moléculaires : un outil adapté à la formation de nanostructures
III.2. La diffraction d’électrons de haute énergie en incidence rasante (RHEED) : caractérisation structurale in situ
III.3. L’implantation ionique : une alternative pour le dopage des semiconducteurs
III.4. La microscopie électronique à balayage
III.5. La microscopie électronique en transmission
III.6. Mesures magnétiques et mesures de magnétotransport
Bibliographie du chapitre III
CHAPITRE IV CROISSANCE DE NANOFILS DE SILICIUM ET DE GERMANIUM PAR EPITAXIE PAR JETS MOLECULAIRES
IV.1. Croissance de nanofils de silicium par épitaxie par jets moléculaires
IV.2. Croissance de nanofils de germanium par épitaxie par jets moléculaires
IV.3. Conclusion
Bibliographie du chapitre IV
CHAPITRE V EFFET DU MANGANESE SUR LA CROISSANCE DES NANOFILS DE GERMANIUM ET DE SILICIUM
V.1. Bibliographie
V.2. Effet du manganèse sur la croissance des nanofils de germanium
V.3. Effet du manganèse sur la croissance des nanofils de silicium
V.4. Conclusions et perspectives
Bibliographie du chapitre V
CHAPITRE VI PROPRIETES STRUCTURALES ET MAGNETIQUES DE NANOFILS DE GERMANIUM IMPLANTES MANGANESE
VI.1. Références bibliographiques
VI.2. Dopage des nanofils de germanium par implantation
VI.3. Conclusion
Bibliographie du chapitre VI
CHAPITRE VII ETUDE DES PROPRIETES DE TRANSPORT DE NANOFILS DE Ge INTRINSEQUES ET DE MAGNETOTRANSPORT DE NANOFILS DE Ge FONCTIONNALISES PAR UN DEPOT DE GeMn (STRUCTURES CŒUR/COQUILLE)
VII.1. Transport dans des nanofils de germanium intrinsèques individuels
VII.2. Elaboration des hétérostructures Ge/GeMn et étude de leur magnétotransport
VII.3. Conclusion sur l’élaboration et le magnétotransport de nanofils hétérostructurés Ge/GeMn
Bibliographie du chapitre VII
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
ANNEXE ASPECTS TECHNOLOGIQUES DE LA PRISE DE CONTACTS SUR DES NANOFILS DE GERMANIUM ET DIFFICULTES RENCONTREES
A.1. Prise de contacts sur des nanofils de germanium individuels
A.2. Difficultés rencontrées pour la prise de contacts sur des nanofils de germanium
Bibliographie de l’annexe