La polyploïdie
Occurrence et formation
La polyploïdie est un phénomène évolutif qui se traduit par la présence de plus de deux séries complètes de chromosomes (Stebbins, 1950; 1971 ; cité dans Otto et Whitton, 2000). Elle est très répandue dans le règne végétal où elle constitue entre 30 et 80 % du nombre total d’espèces (Masterson, 1994; Otto et Whitton, 2000). Elle est également présente chez les animaux, mais de façon plus rare et sporadique (Muller, 1925 cité dans Orr, 1990). La polyploïdie survient suite à de rares accidents au niveau de la mitose ou de la méiose qui provoquent la formation de gamètes non réduites (Comai, 2005). Selon l’origine de leur formation, les organismes polyploïdes sont habituellement divisés en deux groupes distincts. Les autopolyploïdes sont formés suite à des mutations au sein d’un même génome menant à l’ union de mêmes séries de chromosomes alors que les allopolyploïdes proviennent de l ‘ hybridation entre deux espèces menant à l’union de deux séries ou plus de chromosomes différents (Otto, 2007). En réalité, il existe plutôt un gradient entre ces deux extrêmes qui dépend de la divergence existant entre les génomes qui s’unissent (Otto et Whitton, 2000; Comai, 2005).
Conséguences génétigues
Plusieurs conséquences génétiques sont liées à la formation d’organismes polyploïdes. Ainsi, le maintien de certains hybrides polyploïdes (allopolyploïdie) peut être 1 ié au phénomène d ‘hétérosis dans lequel le fitness de l ‘hybride est supérieur à celui des deux espèces parentales. La formation d’un tel hybride peut toutefois provoquer la situation inverse où celui-ci sera moins bien adapté que les espèces parentales (Cornai, 2005). La redondance de gènes et leur maintien peuvent avoir différentes explications. D’abord, les multiples copies d’un même gène possédées par un polyploïde permettent de masquer plus efficacement les allèles délétères comparativement aux diploïdes (Otto et Whitton, 2000; Frankham et al., 2002). Parallèlement à cette situation, les polyploïdes ont également de plus fortes probabilités de porter un allèle bénéfique pour la population. En second lieu, la sélection envers une expression génique accrue pourrait favoriser le maintien de plusieurs copies d’un même gène (Otto et Whitton, 2000). Finalement, il est possible que certaines copies d’un gène acquièrent de nouvelles fonctions. Une copie du gène pourra être utilisée pour remplir une sous fonction déjà existante (subfonctionalisation, i.e. expression génique différentielle selon les tissus; Lynch et Force, 2000; Adams et al., 2003; Otto, 2003) ou générer une nouvelle fonction (néofonctionalisation; Osborn et al., 2003).
Effets phénotypiques
La polyploïdie est associée à une augmentation du contenu en ADN des cellules, donc de la taille du génome. Cette augmentation de la taille du génome est habituellement liée à quelques modifications phénotypiques. D’abord, l’observation la plus commune liée à celle-ci est l’augmentation du volume cellulaire (Cavalier-Smith, 1978; Gregory, 2001). Plusieurs espèces de plathelminthes et de copépodes montrent une relation allométrique positive entre leur volume cellulaire et leur taille de génome; ce qui se traduit également par une augmentation de leur taille corporelle (Gregory et al., 2000). La relation entre le volume d’une cellule et son contenu en ADN est également retrouvée chez plusieurs vertébrés dont les poissons, les amphibiens, les reptiles, les oiseaux et les mammifères, mais la nature de cette relation est variable d’ un groupe à l’autre et selon l’environnement (Gregory, 2001; Otto, 2007). Chez la levure Saccharomyces cerevisiae, la taille des cellules a été comparée entre quatre (4) souches ayant comme unique différence leur niveau de phidie (allant de ln à 4n); montrant ainsi une relation positive entre ce paramètre et le niveau de ploïdie (Galitski et al., 1999). Bien que la polyploïdie soit liée à des cellules de plus grande taille, cette situation ne se traduit pas obligatoirement par une taille corporelle adulte supérieure: elle est associée de façon générale à une augmentation de la taille corporelle adulte chez les plantes et les invertébrés, mais pas chez les vertébrés (Otto et Whitton, 2000; Gregory et Mable, 2005).
Au niveau de la vitesse de développement, le contenu en ADN des cellules a une forte relation négative avec le taux de division cellulaire mitotique ou méiotique des cellules pour plusieurs groupes (Gregory, 2001). Cette situation tiendrait au fait qu’un plus grand contenu en ADN dans la cellule augmente le temps de réplication en prévision de la division cellulaire. De plus, les plus grandes cellules tendent à avoir un rapport surface/volume inférieur, ce qui se traduirait en faible taux de croissance des cellules polyploïdes (Otto, 2007). Chez les plantes, les polyploïdes tendent à montrer un développement ralenti lié à de faibles taux métaboliques (Levin, 1983). De plus, les stratégies de développement chez les plantes ont un lien avec la taille du génome. Les plantes annuelles doivent se développer rapidement pour compléter leur cycle de vie à l’intérieur d’une saison de croissance. Pour les vivaces, le développement est lent, car il s’étend sur plusieurs saisons de croissance. En association avec leur taux de développement, les vivaces ont habituellement des tailles de génome supérieures à celles des annuelles (Gregory, 2002). Chez plusieurs espèces d’amphibiens (grenouilles et salamandres), il y a une relation positive entre la taille du génome et le temps de développement (Gregory, 2002). Chez les arthropodes, les études s’ intéressant à la variation de la taille du génome en lien avec ses effets phénotypiques sont rares. Quelques études concernant les copépodes ont toutefois montré une relation négative significative entre la taille du génome et la vitesse de développement (McLaren et al » 1988; White et McLaren, 2000).
Il est souvent avancé que les organismes polyploïdes sont tolérants à une plus grande gamme de conditions environnementales grâce à l’augmentation de l’hétérozygotie permettant une plus grande flexibilité métabolique (Otto et Whitton, 2000). Chez les animaux, de meilleures performances métaboliques de polyploïdes comparativement à leurs vis-à-vis diploïdes ont été observées chez les artémies (Varo et al., 1991,1998) et chez les geckos du genre Heteronotia (Keamey et al., 2005). Cependant, les cas répertoriés à ce sujet sont rares et il n’est pas possible de considérer la plus grande flexibilité métabolique comme une généralité.
La parthénogénèse géographique
Les organismes asexués ont souvent tendance à occuper des habitats aux conditions plus extrêmes que leurs progéniteurs sexués. Ainsi, les asexués sont souvent retrouvés à des altitudes et des latitudes plus élevées et occupent de plus vastes territoires que leurs vis-à-vis sexués. Ce phénomène est appelé parthénogénèse géographique (Vandel, 1928). La reproduction sexuée constitue une importante barrière à l’établissement des organismes polyploïdes du règne animal. De ce fait, la parthénogénèse, malgré sa faible fréquence, est étroitement liée à la polyploïdie chez les animaux (2/3 des animaux polyploïdes sont parthénogènes; Otto et Whitton, 2000).
Face au phénomène de la parthénogénèse géographique, quelques chercheurs se sont penchés sur le succès .écologique et évolutif des asexués. Ainsi, ils ont voulu savoir si l’asexualité est la principale cause du succès évolutif de certaines espèces ou bien s’il s’agit de phénomènes étroitement liés à celle-ci, soit la polyploïdie et l’hybridation. Ils en sont venus à la conclusion que ce n’est pas l’asexualité en elle même qui explique le succès évolutif, car plusieurs plantes allopolyploïdes sexuées ont une répartition semblable aux patrons de parthénogénèse géographique (Kearney, 2005; Lundmark et Saura, 2006). Kearney (2005) suppose que l’hybridation constitue le principal facteur responsable du succès écologique des organismes parthénogènes dans la colonisation des nouveaux environnements laissés vacants par le retrait des glaces à la fin du Pléistocène. Cependant, cette prise de position a été critiquée et débattue (Lundmark, 2006). Selon Lundmark et Saura (2006), la polyploïdie est le facteur le plus important dans l’explication du succès évolutif des organismes clonaux et particulièrement des invertébrés parthénogènes. Ils considèrent plutôt l ‘hybridation comme une étape vers la polyploïdisation ou comme un phénomène complémentaire à la polyploïdie qui augmente l’effet de chacun (Lundmark et Saura, 2006). De cette façon, la polyploïdie semble expliquer une part importante du succès des organismes asexués, mais l’hybridation doit quand même être prise en considération.
Le système des daphnies
Dans l’est du Canada, le complexe Daphnia pu/ex est très répandu et il inclut les espèces D. pulex, D. pulicaria et D. middendorffiana. D. pulex est habituellement retrouvé dans les étangs peu profonds alors que D. pulicaria se retrouve dans les lacs. Ces deux espèces sont diploïdes, se retrouvent dans les zones tempérées et utilisent deux modes de reproduction, soit la parthénogénèse cyclique et la parthénogénèse obligatoire. Les hybrides de première génération entre D. pulex et D. pulicaria ne se reproduisent que par parthénogénèse obligatoire (Hebert et al., 1993). La polyploïdie semble associée à des latitudes élevées (Dufresne et Hebert, 1995), mais également à des altitudes élevées (Aguilera et al., 2007). Dans les zones subarctiques, des populations de daphnies apomictiques diploïdes et polyploïdes coexistent alors qu’en milieu arctique, la plupart des clones du complexe D. pulex sont polyploïdes (Beaton et Hebert, 1988). D. middendorffiana est une espèce polyploïde circumarctique qui a une ongme polyphylétique généralement liée à l ‘hybridation entre deux espèces : D. pulicaria comme espèce maternelle et D. pulex comme espèce paternelle (Dufresne et Hebert, 1994; 1997). Cependant, quelques cas de clones polyploïdes ayant un génome mitochondrial de D. pu/ex, donc n’étant pas de l’espèce D. middendorffiana, ont récemment été identifiés (Vergilino et al., 2009).
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