EDUCATION ET SOCIETE dans Maïmouna de Abdoulaye Sadji

EDUCATION ET SOCIETE dans Maïmouna de Abdoulaye Sadji

Approche globale de la société africaine

 L’homme a toujours évolué au sein d’une famille constituée de ses parents qui prennent soin de lui, le nourrissent et l’éduquent d’une manière générale. En dehors de cette famille, il s’identifie à un groupe dans lequel il évolue avec ses semblables tout en ayant l’obligation d’adopter le mode de vie que lui impose sa société. Sous ce rapport, pour parler de la société africaine dans une perspective littéraire, il faut s’inscrire dans la globalité pour éviter de verser dans la sociologie. La société africaine étant fortement hiérarchisée, nous distinguons l’ethnie, la tribu, le clan et le lignage. L’ethnie se révèle la plus grande des groupes culturels que nous connaissons à telle enseigne que nous avons tendance à l’associer à la notion de peuple. Elle est le produit de personnes issues d’un même ancêtre ou d’une longue cohabitation qui a généré des 9 liens de parentés assez forts. Les membres d’une même ethnie sont reconnaissables par leurs caractéristiques d’unité et de solidarité. Cette définition de Bromlei, citée par Makhtar Diouf épouse la logique de notre argumentaire : « L’ethnie est un ensemble stable d’êtres humains, constitués historiquement sur un terrain déterminé, possédant des particularités linguistiques, culturelles communes et relativement stables, ainsi que dans la conscience de leur unité et de leur différence des autres formations semblables…»Le partage d’une langue et de certaines particularités culturelles entre les membres d’un même groupe retient notre attention dans cette définition. Evoquer ces particularités permet d’appréhender la notion de la société car au Sénégal nous relevons une multitude de langues qui traduit la diversité culturelle. Toujours selon Makhtar Diouf, le Sénégal compte cinq grands groupes ethniques qui sont le wolof, le sereer, le haal pular, le joola et le manding. Chacun de ces groupes a une ou des langues qui lui sont spécifiques. Si nous considérons la société wolof par exemple, nous ne pouvons manquer de déceler un groupe hiérarchisé composé de geer, de ñeño, de jëf-lekk13 et de sab-lekk14, selon le terme de Abdoulaye Bara Diop. En effet, la division du travail a imposé cette stratification qui se fondait sur la corporation. A noter que celle-ci est toujours de mise dans des contrées où prédomine encore la tradition. La relation interethnique ne pose pas de problème puisque la société sénégalaise, dans les rapports quotidiens, développe ce qu’on appelle le cousinage à plaisanterie16 qui solidifie les relations interpersonnelles entre les individus n’appartenant pas à la même ethnie. Cette analyse de la société semble se ranger dans la sphère sociologique, néanmoins elle est nécessaire pour saisir les fondements de la société africaine voire sénégalaise. L’écrivain qui tente de produire une œuvre s’inspire de cette réalité et la retouche pour, in fine, la transposer dans une œuvre de fiction. Dans ce cas l’analyse de la société sénégalaise telle que décrite par les romanciers s’avère plus aisée. 

Par ailleurs, cette stratification dont nous avions parlé apparaît sous la plume de Cheik Aliou Ndao. Dans Buur Tilleen, roi de la Médina,   le romancier fait doter son personnage principal, Gorgui Mbodj, des caractéristiques d’un homme qui s’identifie plus à l’époque ancienne. Aussi, Gorgui Mbodj croit-il toujours au problème des castes. Son attitude au su de la relation de sa fille, Raki, avec Bougouma le prouve amplement. Malgré son amitié avec Meïssa le père de ce dernier, Gorgui refuse d’admettre une relation ne reposant pas sur le respect de la stratification sociale. Dans son monologue, il s’adresse à sa fille en ces termes « A vrai dire Raki, quand tu déclares Bougouma responsable ton comportement dépasse mon entendement. Il n’est pas de ta condition ».Il est resté ébahi par l’état de grossesse de sa fille surtout quand celle-ci déclare avoir offert son cœur au jeune instituteur. Gorgui Mbodj affiche ainsi un refus catégorique quand à toute relation qui n’est pas d’ordre amical avec ses voisins d’extraction inférieure. En fait, il estime que chacun doit respecter sa place au sein de la société. Cependant chez les jeunes, c’est tout à fait le contraire car ils ne trouvent pas leur compte dans les croyances traditionnelles complètement en désaccord au rythme des temps modernes. Avec son nouvel état, Raki de même que son fiancé (Bougouma) sont fiers d’avoir défié ces normes érigées par la société sénégalaise. Même si la tradition apparaît comme le legs des ancêtres, les jeunes tentent de bousculer ses balises. En effet la tradition avait instauré un système de valeur, des us et coutumes, des savoirs et certaines pratiques qui contribuaient à l’éducation et à l’épanouissement de l’individu au sein de sa société. Au demeurant, certaines pratiques rappellent encore la présence de la tradition. Nous pouvons citer, entre autres, la célébration de la vie et de la mort, le mariage, la circoncision, l’excision, le tatouage gingival et labial ou le henné, etc. Toutes ces pratiques peuvent ne pas se rencontrer ensemble dans un groupe donné, mais chaque groupe peut s’y retrouver. Par exemple, chez les wolofs, le tatouage gingival ou labial, était pratiqué par les femmes, une façon de mettre en exergue leur féminité. Ainsi, dans Maïmouna, la jeune héroïne pose du henné sur ses pieds et ses paumes de mains, pour se faire belle lors de la fête de la korité . De même dans Buur Tilleen Maram se rappelant sa jeunesse affirme « (…) le henné donnait à nos paumes ce bleu– noir d’un ciel d’hivernage qui plaisait tant aux jeunes gens ».20 Le henné apparaît ainsi dans le groupe wolof comme une pratique séductrice chez les jeunes filles au même titre que les coiffures. Toutes ces pratiques citées contribuent à conférer une identité chez l’individu. Les us et coutumes ainsi que les rituels consolident l’appartenance à un groupe social permettant à l’individu de se situer et se tailler une place parmi ses semblables. Elles ont également une dimension pédagogique car il est facile de déceler, avec ces pratiques des comportements positifs ou négatifs qui attestent d’une bonne éducation ou non. En somme, nous pouvons inférer qu’avec l’approche globale de la société africaine le concept de l’éducation est mieux appréhendé. Dès lors, nous savons qu’elle n’est pas l’apanage d’une seule personne mais de tous les membres ou acteurs de l’éducation qui interagissent dans le cadre de la formation du type d’individu à promouvoir. La société éduque au même titre que la famille qui, pourtant, demeure prioritaire, car ayant la possibilité d’exercer directement son action éducatrice sur l’individu. Elle a donc a un rôle important à jouer dans l’éducation de ses membres. Aussi, Mariama Bâ avait-elle raison de stipuler que « la réussite d’une nation passe donc irrémédiablement par la famille ».

 Les valeurs de vie communautaire

 Pour vivre en parfaite harmonie avec ses semblables, l’individu a l’obligation de respecter un certain nombre de valeurs édictées par sa communauté. Ses rapports avec les autres membres du groupe sont érigés en référence à ces valeurs. Elles favorisent la cohésion et l’entente entre les membres d’un groupe. Notre corpus composé de trois romans permet d’effectuer ici un examen de ces valeurs. 

 L’honneur 

 La société sénégalaise comme toutes les sociétés d’ailleurs a fait de l’honneur une valeur primordiale. Cette valeur permet à l’individu de rester intègre quels que soient les aléas du quotidien. Elle est associée à la fois à l’amour propre et le respect de soi car un homme chez qui on décèle la perte de cette valeur devient insignifiant aux yeux de ses pairs. Le héros de Buur Tilleen a en fait son principe de vie, aussi pour rien au monde ne remet-il en cause son honneur. Il déclare à cet effet : « Je n’ai pas dévié de l’enseignement de mes pères ; sur le chemin de l’honneur, je me suis conduit en homme bien né. Ma devise : ne pas déchoir aux yeux de mes pairs. Je m’en suis tenu à la vérité, refusant le rôle de brandon de discorde, la tête haute quoiqu’il advienne».  Le principe de vie que Gorgui Mbodj s’obstine à vouloir respecter est en désaccord avec l’attitude de sa fille unique qui entretient une relation coupable avec un roturier. En fait, dans la famille traditionnelle une jeune fille qui se laisse tromper souille son honneur et partant celle sa famille. Généralement dans ce genre de situation, elle subit l’ostracisme de sa famille. Gorgui Mbodj, après avoir appris la grossesse de Raki, fut tellement courroucé au point de renier sa fille unique. Ainsi, après murissement de sa décision, il infère à ce propos : « Je ne souffre plus de voir Raki chez moi (…) Que Raki sorte de ma maison. Qu’elle aille où elle veut». 23 En agissant de la sorte, le patriarche espère retrouver son honneur devant ses voisins et habitants de la Médina. Il aurait souhaité que sa fille arrive vierge à sa nuit de noces comme le recommande la tradition. Selon les préceptes de cette tradition, une femme de bonne famille se doit de préserver son honneur en offrant ses quelques gouttes de sang à son mari, signe de sa chasteté faisant la fierté de ses parents. Maram, la mère de Raki avait suivi les sillons de la tradition et avait gardé la tête haute après sa nuit de noces. En prouvant sa virginité, elle a honoré ses parents ainsi toute sa famille. Cependant, c’est tout à fait le contraire avec Tante Astou, sa sœur, qui a préféré suivre un Blanc à Dakar. Ce qui est mal interprété par la famille traditionnelle qui veut que la jeune fille reste auprès de ses parents jusqu’à son mariage. L’honneur est donc une valeur fondamentale dans la famille traditionnelle car elle confère à l’individu un statut et une place auprès des siens. Comme si son destin était lié à celui de sa nièce, Tante   Astou avait fait face durant sa jeunesse à l’ostracisme de son milieu pour avoir ternie la réputation de sa famille. « En effet, Tante Astou a perdu sa réputation, en, suivant un Toubab à Dakar. Abandonnée, condamnée, évitée par la famille de Ndar, elle ne jouit d’aucune considération».  Par ailleurs dans les familles traditionnelles, il était rare de voir des cas de grossesse indésirable puisque les jeunes filles se conformaient aux vertus imposées par la tradition. Maïmouna, l’héroïne de Sadji et Ken Bugul dans Le Baobab fou ont raté une partie de leur vie familiale en refusant de respecter cette valeur. La première s’est déshonorée à la grande ville et la seconde mène une vie libertine au Sénégal et en Europe. Ainsi, dans les milieux traditionnels, les acteurs de l’éducation s’efforcent d’inculquer cette valeur fondamentale aux jeunes car elle permet de déterminer la véritable personnalité de l’individu. Les personnages qui s’identifient toujours à l’époque traditionnelle tiennent énormément à l’honneur. C’est le cas de Gorgui Mbodj, de sa femme Maram et de son ami Meïssa dans Buur Tilleen et dans Maïmouna, nous avons Yaye Daro et Rihanna. Cependant, avec l’avènement du modernisme, cette valeur tend à disparaitre surtout chez les jeunes qui manifestent de plus en plus leur soif de liberté.

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 Le respect 

Le respect est fortement recommandé au sein de la société sénégalaise. Il doit exister entre parents et enfants, entre frères et sœurs ou entre des personnes de même classe d’âge. Mais avant tout, la personne est tenue de cultiver le respect de soi-même car « l’homme qui se respecte (…) craint la honte et il sait « se conférer à la dignité ». Dès lors, cultiver cette valeur, la parole donnée, le respect des parents semblent primordial chez l’individu. Il est alors souvent décelable à travers le comportement de la personne, ses paroles ou son attitude envers les autres. En effet, dans la famille traditionnelle, un enfant qui s’adresse à ses parents ou à de grandes personnes est sommé de baisser la tête pour éviter de croiser leur regard, ce qui est interprété comme un signe de respect à l’égard des personnes plus âgées. Maram, convoquée par ses parents devant lui faire part de son mariage, manifeste par son attitude, du respect à l’endroit de ces derniers. Elle fait remarquer à cet effet « Je me tenais la tête baissée, tortillant entre mes doigts une frange de mon pagne, pour dissimuler ma gêne». Cette façon de se comporter chez Maram démontre la politesse et la bonne éducation qu’elle a reçue. Ainsi, le respect et la considération manifesté envers les parents est le gage de la réussite chez l’individu. De la même manière, le contraire entraîne la malchance. Une personne qui ne respecte pas ses parents subit le plus souvent les conséquences. Souvent, elle est infortunée, comparée à ses compagnons d’âge, elle est toujours la dernière dans toute entreprise. Cela démontre que la bénédiction des parents est essentielle pour celui qui ambitionne de se lancer dans une entreprise ou un projet ; une bénédiction qui n’est d’ailleurs octroyée qu’à la personne vouant respect et considération à ces derniers. Il nous semble, qu’avec Maïmouna de Sadji, c’est la malchance qui s’est abattue sur l’héroïne puisque Yaye Daro, sa mère, n’approuvait pas son départ vers la grande ville. Maïmouna, en jeune fille capricieuse, part finalement à Dakar mais la fin de son séjour témoigne de son infortune. Elle retourne chez sa mère avec une grossesse hors des liens du mariage. Toujours dans la même perspective, le héros de La Plaie de Malick Fall, est devenu victime de la malédiction maternelle. Magamou, qui a tenu tête à sa mère pour se rendre en ville, y connaîtra l’insuccès. Il est emprisonné car considéré comme un fou, donc un parasite pour la société. C’est comme si la prière de sa mère a été exaucée par le Tout-Puissant. Relevons au passage cette invocation de Yaye Aïda: « Mon Dieu, fais qu’il me revienne ! Fais qu’il soit malheureux là-bas (la prière d’une mère Mon Dieu, tu l’as toujours exaucé !) Fais qu’il languisse à la ville. Ferme son cœur à la tentation de s’établir définitivement à Ndar. Que les contrariétés l’obligent à reprendre le chemin du Salut, Amen ».

Table des matières

PREMIERE PARTIE: SOCIETE ET EDUCATION
1 – Approche globale de la société africaine
2 – Les valeurs de vie communautaire
2-1- L’honneur
2-2- Le respect
2-3- L’endurance
2-4- La dignité
3- Situation de l’individu dans la société
4-La notion de parenté
5- La structure parentale
5-1- La relation mère-enfant
5-2- La relation père-enfant
5-3- La relation entre frère et sœur
5-5- La relation entre tante maternelle et nièce
DEUXIEME PARTIE: ESPACE ET EDUCATION
1-L’espace rural
1-1- Espace d’éducation initiale
1-2- L’espace de retour ou de reconversion
2- L’espace urbain
2-1- La ville, une autre école de vie
2-2- La dégradation des mœurs en ville
3- L’éducation dans un espace en mutation
TROISIEME PARTIE : EDUCATION ET ROMAN
1- Roman et formation
2- Roman comme cadre d’apprentissage
3- L’éducation au féminin

 

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