Ecouter la voix des enfants et la voix des adultes
L’approche mosaïque (Clark, 2004, 2005; Clark & Moss, 2011) mise en place consiste à recueillir des données à travers plusieurs outils de recherche afin d’écouter la voix des enfants et des adultes. Dans la littérature francophone, ce type de démarche méthodologique a été menée par le laboratoire EXPERICE11 pour une recherche dans quatre lieux collectifs d’accueil et d’éducation des jeunes enfants afin de saisir les regards croisés des acteurs (parents, professionnels et enfants) sur la socialisation des enfants (Garnier, Brougère, Rayna, & Rupin, 2016). Dans la continuation de cette recherche, j’ai adapté cette approche à mon terrain, qui s’est focalisé sur 22 enfants, âgés de 3-4 ans dans 3 classes d’écoles maternelles, ainsi que sur les parents et les professionnels proches de ces enfants. Les trois enseignants suivent globalement le même script institutionnel et la même pédagogie, et suivent les programmes du ministère de l’Éducation nationale: je ne prends pas en compte les différences entre les trois classes d’école maternelle. Tous suivent les même rythmes en ce qui concerne le déroulé d’une journée à l’école maternelle, comme montré dans le tableau précédent concernant l’emploi du temps en petite section.Le recueil des données mosaïques pour cette recherche ethnographique a eu lieu principalement pendant la première année de scolarisation, en petite section, de mars à juin 2015, pendant les matinées lors des différents moments du déroulement d’une journée à l’école maternelle (accueil, regroupement, atelier, récréation). Les données empiriques ont été rassemblées afin de constituer des mosaïques pour les enfants choisis pour cette étude. À partir des spécificités de chaque enfant ainsi que des différences et des ressemblances entre les enfants, les données mosaïques contribuent à la construction des portraits. Ces derniers peuvent être constitués d’un enfant, deux ou plusieurs, en fonction des certaines caractéristiques qu’ils ont en commun à partir des critères d’analyse comme les modalités de participation par rapport au script institutionnel, les relations entre les pairs, le cadre familial, les pratiques linguistiques.
Des méthodes visuelles pour capter des expériences quotidiennes
La méthodologie choisie pour cette étude vise à explorer les perspectives des enfants, des parents et des professionnels sur la construction des répertoires de pratiques dans la vie quotidienne des enfants. Les méthodes visuelles permettent la validité d’un outil dans un contexte spécifique – la recherche auprès des jeunes enfants. L’approche globale offerte par les observations vidéo permet d’avoir des points de vue multiples sur les situations vécues par les enfants. Par exemple, en regardant plusieurs fois la même séquence vidéo, plusieurs éléments peuvent émerger à chaque visionnage. Cet outil visuel permet de saisirparticularité du terrain d’enquête, la spécificité du contexte dans lequel se déroule la participation des enfants de migrants aux activités quotidiennes dans le cadre de l’école maternelle française. La recherche à travers les observations vidéo capte également la dimension linguistique, un élément essentiel dans cette étude qui analyse notamment les pratiques linguistiques des acteurs. Ainsi, les méthodes visuelles, qui impliquent l’enregistrement vocal, représentent un soutien essentiel dans la recherche des aspects linguistiques (Li, 2014). La section suivante présente plus en détail chaque outil de recherche utilisé pour recueillir des données.
La collecte de données empiriques
Recueillir des données de terrain pour cette enquête auprès des enfants et des adultes proches a été une étape essentielle, qui a eu des implications majeures sur le design initial de la recherche, ainsi que sur le déroulement du travail de terrain et l’évolution des questions de recherche. Cette section montre le travail empirique à partir de l’entrée dans le terrain, des acteurs rencontrés et les données mosaïques pour croiser leur point de vue, jusqu’au dernier outil de recherche utilisé afin de saisir le point de vue des enfants.
L’entrée dans le terrain – un défi surmonté
À l’ère de la technologie et de l’internet, mon premier abord dans le recrutement des acteurs a été via l’email. Ainsi, j’ai rédigé un texte court pour présenter ma recherche et mon souhait de la mener dans des classes d’école maternelle. Parmi les nombreux emails envoyés, j’ai reçu une seule réponse, et cette réponse était affirmative. Suite à ce premier contact, j’ai obtenu par téléphone un rendez-vous sur place, à l’école maternelle A, à S. Il s’agit du directeur de cette école, enseignant en petite section, qui m’a accueillie chaleureusement en me présentant aux enseignants et en leur expliquant le motif de ma présence. En outre, il m’a proposé de rencontrer le directeur de l’école maternelle B, enseignant en petite section, et nous nous sommes déplacés le jour même pour faire la connaissance de ce deuxième directeur qui allait m’accueillir lui aussi pour mener ma recherche dans sa classe. Ainsi, le directeur de l’école A a joué le rôle d’intermédiaire pour recruter l’école B, et également, plus tard, pour avoir accès aux parents des enfants de mon étude. Le choix du terrain a été fait pour des raisons pratiques également, je venais de déménager à S et la proximité me permettait l’accès hebdomadaire. Pourtant, outre cette commodité pratique, la spécificité de ce terrain avec ses acteurs et la situation en REP+ (Réseau d’éducation prioritaire renforcée) des écoles m’ont permis l’accès à un environnement particulièrement riche pour une recherche qui porte sur les expériences des enfants de migrants à l’école maternelle. Le défi de l’entrée dans le terrain des institutions éducatives surmonté à l’aide des professionnels de ces deux écoles maternelles, j’étais prête à rencontrer les autres acteurs de ma recherche : les enfants et les parents. Afin de saisir le point de vue de chaque acteur, mon enquête fait appel aux outils de recherche suivants : l’observation vidéo, l’entretien et la visite guidée.
L’observation vidéo
L’observation vidéo représente un des outils de recueil de données auprès des jeunes enfants et des professionnels dans le contexte de l’école maternelle. Cet outil de recherche, outre un cadre général de ce qui se passe à l’intérieur de cet espace si difficile à accéder si on n’est pas un professionnel de l’école, en tant que outsider (Mullings, 1999), permet de focaliser l’attention sur des situations spécifiques et des expériences réelles des jeunes enfants de migrants. Ainsi, mes analyses se basent premièrement sur les situations observées directement, et sont complétées par les discours des adultes à travers les entretiens et les conversations informelles développées pendant mes séances d’observation, ainsi que sur le dispositif de la visite et sur des photos prises par moi-même ou par les enfants (voir figure 1). Cette manière d’utiliser des données empiriques en complémentarité permet de saisir le point de vue des enfants au-delà des discours des adultes et en allant plus profondément dans leur vécu quotidien, leur réalité de la vie de tous les jours à l’école. Ainsi, les résultats issus de l’observation vidéo ont été complétés, dans la logique de l’approche mosaïque, par les résultats issus des entretiens, des conversations informelles, des photos et des visites guidées.