Écoulements de fluides à seuil en milieux confinés

Dans l’industrie et la nature il existe une grande gamme de matériaux, i.e. des fluides à seuil, qui coulent comme des liquides seulement quand ils sont soumis à une contrainte plus forte qu’une valeur critique [27]. Ces matériaux se comportent comme des solides quand une contrainte inférieure à cette valeur est appliquée, gardant ainsi la forme qu’on leur a donnée. Cette propriété joue un rôle critique pour de nombreuses applications quand on veut par exemple donner une forme au matériau ou suspendre des bulles ou des particules. De tels matériaux sont par exemple des crèmes, des gels, des suspensions d’argile utilisées dans la cosmétique, de nombreux matériaux utilisés dans le génie civil comme les peintures, les mortiers, les plâtres, les pates de ciment à l’état frais, les boues de forages, des denrées alimentaires comme les confitures, les purées, les soupes, les sauces, les mousses, les pates alimentaires pour des gateaux extrudés, des crackers, des biscuits, les boues d’eau usée, les suspensions des déchets minéraux de l’industrie minière, les laves torentielles dans les torrents de montagne.

Dans de nombreuses applications, une connaissance de base nécessaire pour élaborer la procédure est la force ou la pression à appliquer pour imposer un débit voulu. C’est le cas par exemple pour le pompage (suspensions minérales, béton), l’injection dans des milieux poreux (forage, renforcement de sol), l’injection dans les coffrages (béton), l’enduction (mortier), etc. Mis à part quelques cas spécifiques pour lesquels des expressions semi-empiriques et plus ou moins complexes ont été suggérées, il n’y a presque pas d’information dans la littérature sur ce point. Il y a ainsi un grand contraste entre ce domaine et celui de l’hydraulique des fluides simples pour lequel les propriétés d’écoulement et en particulier la chute de pression dans les écoulements à travers différentes géométries sont bien maîtrisées et très largement documentées. Le travail présenté dans cette thèse peut être vu comme un premier pas vers une telle compréhension pour les fluides à seuil. Dans ce contexte, notre objectif est d’examiner s’il existe une forme générale de la relation entre le gradient de pression et le débit dans le cas d’un écoulement d’injection et si les paramètres de cette expression peuvent être facilement déterminés ou prédit à partir de la connaissance de la géométrie d’écoulement.

Ici nous considérons exclusivement des écoulements en régime permanent à travers des géométries solides, sans glissement à la paroi. Pour les fluides newtoniens, sous ces conditions, la force est simplement proportionnelle au débit via un facteur qui dépend de la géométrie et qui peut être déterminé par une seule mesure avec un autre type de fluide newtonien à n’importe quel débit. Pour les fluides à seuil la forme de l’expression et la détermination pratique de ces paramètres sont toujours des problèmes ouverts. L’objectif de ce travail est de commencer à clarifier ces aspects. Nous avons opté pour une approche multi-échelle expérimentale et numérique dans des milieux poreux complexes et modèles.

Les fluides à seuil sont des matériaux qui se comportent comme des solides quand une contrainte inférieure à une valeur crtique leur est appliquée et comme un liquide au-delà. Ils sont généralement constitués d’un grand nombre d’éléments mésoscopiques fortement compactés ou enlacés, immergés dans un liquide et dont les intéractions donnent naissance à ce comportement particulier. La présenece de nombreux phénomènes complexes dans les fluides à seuil comme la migration de phase, la thixotropie  , la localisation du cisaillement et les bandes de cisaillement, rendent leur compréhension plus difficile. Afin d’utiliser ces matériaux dans leur état brut, pour développer des produits innovants ou pour optimiser des procédés industriels (voir [27] et [32]), il est nécessaire dans un premier temps de caractériser leurs propriétés sous écoulement ou à l’arrêt.

Les courbes d’écoulement (τ, γ˙) sont établies en réalisant des rampes de contraintes (ou de taux de cisaillement selon les rhéomètres utilisés). Pour des fluides à seuil, si on procède par une rampe en montée suivie d’une en descente, exceptée la première partie de la courbe de montée qui est associée à des déformations dans le régime solide, les parties croissante et décroissante de la courbe reliant le contrainte de cisaillement et le taux de cisaillement se superposent . La partie décroissante est donc plus appropriée pour décrire la courbe d’écoulement du matériau car elle permet d’atteindre des taux de cisaillement plus faible en écoulement que la courbe de montée. L’obtention de ces résultats doit être mené avec soin pour faire face à plusieurs problèmes expérimentaux comme le glissement à la paroi. Par ailleurs, des effets de ségregation, d’inhomogénéités du matériau, etc ne peuvent pas toujours être suivis à l’aide d’un rhéomètre standard. Selon les matériaux étudiés, les résultats des mesures ne donnent donc pas toujours le comportement réel du matériau mais le comportement apparent. De plus, comme bon nombre d’essais sont réalisés sous certaines hypothèses de comportement du matériau, la vérification de la validité de ces hypothèses est primordiale. Par exemple, pour des émulsions, il a été montré par une technique d’imagerie [73] que la courbe d’écoulement apparente obtenue à partir d’observations macroscopiques correspond au comportement effectif local observé. Ainsi, les essais rhéométriques doivent être menés avec précaution afin d’obtenir une description pertinente du comportement du matériau [27] mais sur la base des connaissances actuelles, il est possible d’avoir des données pertinentes.

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Si l’on s’interesse à l’écoulement des fluides à seuil à travers des milieux poreux, on s’attend à ce que le seuil d’écoulement induise des propriétés spécifiques qui ne sont à l’heure actuelle presque pas identifiées. La connaisssance basique de la chute de pression, ∆p, nécessaire pour engendrer un écoulement permanent sans inertie d’un fluide à seuil à travers un milieu poreux n’est pas encore très avancée. En pratique, le but ultime sera la possiblité de prédire la relation entre la chute de pression et le débit à partir de mesures indépendantes des caractéristiques rhéologiques du fluide et des caractéristiques géométriques du milieu poreux (basé sur des paramètres macroscopiques comme la perméabilité).

Les approches existantes pour établir la relation entre la chute de pression et le débit pour les fluides à seuil reposent sur l’approche physique habituelle du coefficient de perméabilité qui apparait dans la loi de Darcy pour les fluides newtoniens : elles utilisent l’analogie avec l’écoulement à une échelle locale à l’intérieur du milieu poreux soit avec l’écoulement dans un capillaire soit autour d’une particule isolée. Ainsi, elles aboutissent à une équation reliant la chute de pression à la vitesse moyenne qui intègre des échelles de longueur spécifiques mais en partie inconnues (taille des pores, longueur totale du chemin d’écoulement). Par cette approche, de nombreuses expressions pour ∆p = f(V ) ont été obtenues [2, 20, 76, 77, 103]. Elles ont toutes la structure suivante typique des fluides à seuil : la vitesse devient différente de zéro seulement en dessus d’une différence de pression critique ∆pc, puis elle augmente progressivement à mesure que l’écart entre la différence de pression appliquée et ∆pc augmente.

La pertinence de ces approches pour les fluides à seuil est sujette à question. En particulier, Balhoff et Thompson [5] ont suggéré que pour chacune de ces relations, « il n’est pas encore très clair si des ajustements universels sont possibles (en particulier pour les longueurs caractéristiques) ou si des réglages au cas par cas sont nécessaires ». Balhoff and Thompson[5] sont les premiers à avoir évoqué que le comportement convergeant-divergeant d’un pore individuel à un effet important dans le cas des fluides à seuil. En outre, on peut penser que contrairement à l’écoulement à travers un capillaire, l’écoulement d’un fluide à seuil à travers un pore ne mobilise pas nécessairement un volume constant de fluide : à mesure que la différence de pression augmente, une région de fluide plus grande commence à couler [30]. Donc, contrairement aux fluides newtoniens, à mesure que la différence de pression augmente, la longueur caractéristique reliée au volume de fluide disponible pour l’écoulement à l’échelle locale augmente. Une seconde différence des caractéristiques de l’écoulement est qu’à l’échelle macroscopique on s’attend à ce que l’écoulement démarre comme un effet de percolation : à la pression critique l’écoulement a lieu seulement le long d’un chemin spécifique à travers le milieu poreux [5, 88]. Puis, à mesure que la différence de pression est augmentée, de plus en plus de chemins d’écoulement se forment à travers le milieu poreux. En fait, ces effets ne devraient pas amener un comportement apparent à l’échelle macroscopique fondamentallement différent de celui qui a été observé ou prédit : ils
sont cohérents avec un seuil de pression critique suivi d’une augmentation progressive de la différence de pression avec la vitesse. Par ailleurs, de nombreuses approches basées sur des réseaux modèles [21, 91] permettent de comprendre des effets de percolation ou d’orientation des canaux mais ne fournissent pas d’expressions analytiques génériques pour la relation entre la différence de pression et la vitesse. Malheureusement, les études expérimentales dans ce domaine [2, 20, 76] sont encore peu abondantes et reposent sur des plages assez limitées de variation des paramètres (taille de pore ou paramètres rhéologiques). Les données existantes fournissent des mesures d’écoulement en milieu poreux dans des gammes restreintes de vitesse moyenne, typiquement autour d’une décade. Ainsi la comparaison avec des modèles peut rarement être discriminante. Par ailleurs, les comparaisons sont effectuées en échelle linéaire et donc les différences aux faibles débits sont négligées ce qui constitue un point critique qui exclut une estimation pertinente de la différence de pression critique. Enfin, les auteurs ne discutent pas si les taux de cisaillement atteints en rhéométrie et en écoulement à travers le milieu poreux sont similaires. En effet, la comparaison entre les prédictions du modèle qui utilisent les paramètres rhéologiques mesurés indépendamment et les expériences ne peut se faire que sous cette condition.

Table des matières

Introduction
1 Etat des connaissances
1.1 Fluides à seuil
1.2 Ecoulements en milieux poreux
1.3 Suivi d’écoulements par IRM
1.4 Ecoulements en géométries modèles
1.5 Les motivations
2 Matériels et méthodes
2.1 Matériaux
2.2 Tamis
2.3 Essai d’injection macroscopique
2.4 Essai d’injection sous IRM
3 Caractérisation RMN des écoulements confinés
3.1 Approche générique du problème
3.2 Prise en compte de la diffusion
3.3 Diagrammes de réglage en milieux poreux
3.4 Application au réglage d’une expérience
4 Ecoulement à l’échelle du pore
4.1 Injection sous IRM : écoulement dans un pore modèle
4.2 Simulations dans les pores modèles
5 Ecoulement en milieux poreux
5.1 Injection en poreux : mesures macroscopiques
5.2 Injection en poreux : mesures par IRM
5.3 Vers une loi de Darcy généralisée
Conclusion 

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