Ecoulement des mousses en ´ milieu poreux
Les mousses sont couramment utilisées dans de nombreux domaines tels que l’alimentation, le transport, la construction, la sécurité et la médecine. Son application a été proposée depuis des décennies dans le domaine pétrolier. En effet, les travaux de laboratoire et les essais pilote montrent l’intérˆet économique de l’injection de mousse comme un agent de contrôle de mobilité du gaz dans la récupération du pétrole. Ainsi, un mod`ele fiable et prédictif des écoulements de mousse en milieu poreux est nécessaire pour le développement d’un gisement pétrolier sur la base de ce procédé. Il est important avant tout de bien définir le mélange de fluides que constitue la mousse, de détailler ses principales caractéristiques lors de son écoulement dans les milieux poreux et d’identifier les principaux mécanismes et param`etres influen¸cant son comportement.
Définition de la mousse
Hors milieu poreux, la mousse est définie comme une dispersion d’un grand volume de gaz dans un petit volume de liquide. Les bulles de gaz sont séparées par des films de liquide tr`es fins de l’ordre de 10-100 nm, appelés lamelles. Les lamelles se rencontrent pour former une jonction de liquide plus épaisse, dénommée bordure de Plateau (cf. Figure 1.1 (a) et (b)). Ces bordures de Plateau et ces lamelles forment un réseau continu pour la phase liquide. Cette dispersion est instable et se désagr`ege rapidement pour des raisons essentiellement thermodynamiques : l’état de l’énergie libre la plus basse est l’état correspondant à une aire minimale des interfaces liquide/gaz, c’est-à-dire effondrement des bulles pour former une interface plane séparant les deux phases. Les processus déstabilisants d’une lamelle sont multiples dont deux sont prédominants : la coalescence des bulles par succion capillaire et la diffusion du gaz de la petite bulle vers la plus grosse. Ces notions sont présentées en détail en section 1.3.2.2.L’ajout de tensioactifs permet de stabiliser les lamelles. Un tensioactif est une molécule constituée de deux parties : une tˆete hydrophile (ayant une affinité pour l’eau) et une queue hydrophobe (n’ayant pas d’affinité pour l’eau). La partie hydrophile peut ˆetre chargée ou pas selon ses caractéristiques chimiques. Les tensioactifs peuvent ˆetre de différents types en fonction de la polarité de la tˆete hydrophile : anionique, cationique, amphot`ere et non ionique. Les deux parties d’une molécule de tensioactif se fixent de part et d’autre des interfaces de liquide et se repoussent, assurant ainsi la stabilité des lamelles (cf. Figure 1.1 (c)). Le type du tensioactif à utiliser est généralement choisi en fonction de plusieurs considérations à savoir la solubilité du tensioactif dans l’huile, la stabilité à la température et à la pression du réservoir, la capacité moussante du tensioactif définie comme la quantité de mousse formée par unité de volume de solution, l’adsorption du tensioactif à la surface de la roche, etc. Ainsi, le gaz, le liquide et le tensioactif sont les trois éléments clés de la formation d’une mousse. Pour les applications pétroli`eres, différents gaz peuvent ˆetre utilisés dans les solutions moussantes notamment le CO2, le N2, le gaz naturel ou encore la vapeur d’eau.Une fois injectée dans un milieu poreux, la mousse se présente généralement comme une succession de lamelles reliées entre elles par des films mouillant les parois. La taille des bulles de gaz dans un milieu poreux serait au moins aussi grande que celle des pores, voire bien supérieure. Ces conclusions sont issues d’observations des tailles de bulles à la sortie d’une carotte au laboratoire [17]. Cela a été expliqué par le phénom`ene de diffusion qui peut éliminer rapidement les bulles de gaz de taille plus petite que celle des pores. Par conséquent, la distance entre deux lamelles de liquide adjacentes est au moins supérieure à la longueur du pore considéré. On distingue généralement deux états de mousse en milieu poreux [18] : — A phase gaz continue : pour laquelle il existe au moins un passage continu de gaz non ` interrompu par la présence des films de liquide. Les lamelles de liquide sont ainsi immobiles et bloquent l’écoulement du gaz uniquement dans des portions du milieu poreux. Dans ce cas, la mousse est appelée une mousse faible (cf. Figure 1.2 (b)).— A phase gaz discontinue : pour laquelle il n’existe pas de chemin continu pour le gaz à ` grande distance en raison de la présence de films liquides dans tout le réseau poreux. Ainsi, l’écoulement du gaz ne peut avoir lieu à moins que les lamelles avancent dans le réseau poreux et franchissent les seuils entre pores, ce qui suppose que le gradient de pression exc`ede une valeur-seuil. Dans ce cas, la mousse est dite mousse forte o`u les bulles de gaz présentes in-situ sont tr`es petites et nombreuses (cf. Figure 1.2 (c)). La transition entre une mousse faible et une mousse forte est appelée génération de mousse et est obtenue si le gradient de pression exc`ede un seuil minimal de génération, auquel correspond un seuil de vitesse totale [19, 20, 21, 22]. Le comportement de la mousse en terme de rhéologie diff`ere entre les deux états puisque les mécanismes de transport des bulles de gaz semblent ˆetre tr`es distincts. Cette distinction fait apparaˆıtre deux notions cruciales pour la caractérisation de l’écoulement des mousses : (1) la texture de la mousse qui est définie comme le nombre de lamelles par unité de volume de gaz et qui est donc inversement proportionnelle à la taille des bulles, et (2) la qualité de la mousse qui est définie comme la fraction volumique du gaz dans la mousse, qui est égale au rapport entre la vitesse de filtration du gaz et la vitesse de filtration totale (du gaz et du liquide constitutifs de la mousse).
Comportement rhéologique de la mousse
La mousse réduit la mobilité du gaz
Il est généralement admis que la présence de mousse ne modifie pas directement la mobilité de l’eau [24, 25, 26]. En revanche, la mobilité du gaz est considérablement réduite en présence des films de liquide d’un facteur de 10 à 10 000 [11] : cela constitue l’effet principal de la mousse en milieu poreux. Dans notre cadre habituel d’écoulement Darcéen, cette réduction de mobilité du gaz peut ˆetre considérée comme une réduction de la perméabilité relative, ou une augmentation de la viscosité effective du gaz en présence de mousse, ou encore la combinaison des deux mécanismes. Tout au long de ce manuscrit, la mobilité de la mousse désigne la mobilité du gaz en présence de mousse. La réduction de mobilité du gaz moussant n’a lieu que lorsque des conditions d’existence de la mousse en milieu poreux sont satisfaites. En effet, pour une mousse forte (déjà formée), ces conditions font intervenir essentiellement une pression capillaire limite P ∗ c . Khatib et al (1988) [27] ont en effet montré l’existence d’une valeur limite de pression capillaire au-delà de laquelle la mousse disparaˆıt.
Facteurs influen¸cant la mobilité du gaz
De nombreuses expériences en laboratoire et études théoriques ont montré que la mobilité de la mousse n’est pas uniquement fonction de la saturation comme dans le cas d’un fluide Newtonien, mais varie également en fonction d’autres param`etres tels que la texture de la mousse, les vitesses des deux fluides, la perméabilité et la porosité du milieu poreux, la concentration en tensioactif et son type, la salinité, la saturation en huile, etc. Ces effets sont les suivants. Effet de la texture : plus la texture de la mousse est fine, plus le nombre de lamelles à mobiliser est important, et par conséquent, la résistance à l’écoulement des bulles de gaz augmente. La texture est le param`etre principal dans la détermination de la mobilité du gaz sous forme de mousse. Des relations de dépendance entre la mobilité du gaz et la texture ont été établies sur la base des études théoriques de l’écoulement de train de lamelles dans des capillaires qui présentent, ou pas selon la complexité de l’étude, des restrictions [10, 11, 28, 29]. Tous ces travaux montrent que la viscosité du gaz est proportionnelle à la texture, et en mˆeme temps, qu’elle dépend aussi d’autres param`etres influents. Il faut garder à l’esprit que la texture n’est pas un param`etre constant lors de l’écoulement de la mousse : elle résulte de plusieurs phénom`enes de génération et de destruction qui se produisent à l’échelle des pores et qui sont eux-mˆemes fonctions de plusieurs param`etres. Ceci rend la modélisation de la texture plus ou moins difficile et nécessite l’usage de lois de population microscopiques. Ces phénom`enes au niveau des pores seront présentés en détail dans la section 1.3.2. Effet des vitesses : les effets des vitesses d’eau et de gaz sur le comportement de la mousse peuvent ˆetre étudiés à l’aide du diagramme présenté d’abord par Osterloh et Jante (1992) [30], et ensuite, par Alvarez et al (2001) [1] et qui a été obtenu suite à des mesures expérimentales (cf. Figure 1.3 (a)). Ce diagramme met en évidence l’existence de deux régimes pour une mousse déjà formée : (1) un régime faible qualité pour lequel les gradients de pression stabilisés ∗ sont presque indépendants de la vitesse de l’eau, et (2) un régime haute qualité o`u les gradients de pression ne changent pas avec la vitesse du gaz. Notons que les deux régimes sont régis par des mécanismes différents : l’écoulement de la mousse dans le régime faible qualité est contrôlé par la génération et la mobilisation des lamelles, alors que le régime haute qualité est marqué par la destruction et la coalescence des bulles puisque les films de liquide dans ce régime deviennent instables. Comme toute ligne droite tirée de l’origine de ce diagramme représente une qualité de mousse fixe, on peut distinguer une valeur de qualité spécifique, appelée qualité de mousse optimale, qui divise le domaine en deux parties et fournit le gradient de pression maximal pour une vitesse totale d’écoulement quelconque. Il est possible aussi de distinguer ces deux régimes de mousse en tra¸cant l’évolution du gradient de pression ∇P pour une série de déplacements à vitesse totale fixée d’une mousse de qualité variable. En particulier, en considérant la mousse comme une seule phase homog`ene dans le milieu poreux, il est possible de lui attribuer une viscosité apparente µ app f calculée à partir de la loi de Darcy monophasique comme µ app f = k u |∇P|, o`u k désigne la perméabilité du milieu poreux et u la vitesse totale d’écoulement. Au régime faible qualité, la viscosité apparente augmente avec la qualité jusqu’à atteindre une valeur maximale pour une qualité dite optimale. Pour les qualités supérieures, la viscosité apparente diminue et atteste de la rupture des lamelles, marquant ainsi le régime haute qualité (cf. Figure 1.3 (b)).