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Fondements théoriques des mécanismes incitatifs
Les mécanismes d’incitations s’appuient essentiellement sur les enseignements théo-riques du modèle d’agence. Dans ce modèle, le principal (employeur) engage un agent (employé) pour exécuter une tâche contre rémunération. La caractéristique principale de cette relation d’agence est l’asymétrie informationnelle. En effet, l’agent connaît son type et l’effort qu’il fournit mais le principal n’a qu’une observation imparfaite de cet effort. Ainsi, les récompenses ou les rémunérations des agents sont basées non pas sur les efforts fournis puisqu’ils sont inobservables par le principal mais sur les indicateurs fortement corrélées avec le niveau d’effort. Dans ces conditions d’actions cachées, l’agent peut adopter un comportement opportuniste du fait de la pénibilité de l’effort et de la divergence manifeste entre les préférences de l’agent et les objectifs du principal. Le défi majeur pour le principal dans ce contexte d’aléa moral est de trouver les modalités de contrôle (évaluation et mesure de la performance) et des mécanismes incitatifs (récom-pense liée à la performance observée) permettant de limiter les risques de comportement opportuniste de l’agent. Tel est l’objectif principal de la théorie d’agence.
L’étude des mécanismes incitatifs est au cœur des développements récents de l’éco-nomie du personnel (Lazear [1998]). Cette nouvelle économie des ressources humaines dresse une typologie des dispositifs de compensation de l’effort comme la promotion (Lazear et Rosen [1981]), l’évaluation (Baker et al. [1984]) et les primes (Lazear [1986]). Elle examine également les conditions d’application des contrats incitatifs optimaux en matière de gestion des ressources humaines. Une littérature empirique a d’ailleurs tenté d’analyser les modes d’incitation au mérite issus des enseignements théoriques du mo-dèle principal-agent. Dans ces travaux, le critère de la performance absolue, par laquelle le mérite des agents est basé sur la production individuelle ou collective (salaire à la pièce ou partage de profit), se distingue de l’évaluation de la performance relative, où la récompense est attribuée sur la base de la hiérarchie des performances individuelles. L’article fondateur de Lazear et Rosen [1981] sur la théorie de tournois s’inscrit dans cette dernière orientation.
En pratique, en dehors des contrats temporaires, la relation contractuelle qui unit sur le marché du travail le principal et l’agent, relève d’un contrat de long terme. A chaque séquence d’interactions stratégiques, chaque agent ne peut formuler qu’une probabilité d’arrêt du jeu. Dans une perspective de politique d’incitation et de sélection, le principal peut alors organiser des tournois répétés (Meyer [1992]) entre les agents. Ces tournois peuvent lui permettre de différencier des cohortes d’agents les plus productifs (les pro-mus) des agents les moins productifs (les non-promus). Dans le cadre de la mise en place de sa politique d’incitation, le principal peut écarter définitivement dans ce processus de promotion, des agents non promus à la suite de la première étape du tournoi ou leur donner la possibilité de participer à de nouveaux tournois organisés à cet effet. Le tournoi devient alors dynamique avec des phases de succès ou d’échecs caractérisant les trajectoires individuelles de promotion dans cette perspective de contrats de long terme. La littérature a mis en évidence que les promotions des agents à l’issue d’un tournoi peuvent être plus fortement déterminées par leurs succès passés, et en particulier leurs succès « précoces », que par l’effort immédiat (fast-track). Mais les échecs et les démotivations des perdants peuvent aussi être à l’origine des phénomènes de « plafond de verre » (glass ceiling).
Le cas particulier des enseignants-chercheurs est très intéressant à analyser parce qu’il permet de mettre en évidence l’effet du multitâche qui caractérise leur métier sur le suc-cès ou l’échec des tournois dynamiques qui accompagne leur trajectoire professionnelle. Dans leurs travaux, Holmström et Milgrom [1990] précisent les formes contractuelles incitatives lorsque les agents exercent simultanément plusieurs tâches. Les principaux résultats de leurs études montrent que les agents vont allouer leur effort non seulement en fonction des coûts et des avantages relatifs des diverses tâches exercées mais aussi selon le caractère complémentaire ou substituable de ces différentes tâches. En parti-culier, ils montrent que la récompense attribuée à une tâche ou à un sous-ensemble de tâches peut induire une réallocation de l’effort en faveur de la tâche ainsi rétribuée au détriment de celles qui ne le sont pas. Compte tenu des implications que peuvent avoir ces dispositifs sur les caractéristiques et le comportement des agents, la rémunération à la performance peut engendrer des effets pervers particulièrement importants si les tâches non récompensées sont difficiles à mesurer, à valoriser et à définir : ce qui est souvent le cas de certaines tâches de l’enseignant-chercheur.
En effet, les missions de l’enseignant-chercheur sont multiples et variées comptant par-fois la production en équipe de certaines tâches qui lui sont assignées, ce qui complique amplement leur évaluation et la mise en œuvre des mécanismes incitatifs. Cependant, le problème multitâche et les dispositifs incitatifs proposés comme solutions à ce type de problème reçoivent plus d’intérêts dans la littérature récente sur les modèles de tournois. Hannaway [1992] propose par exemple la spécialisation des tâches comme solution au problème multitâche. D’autres auteurs comme Holmström et Milgrom [1991] préconisent l’utilisation des systèmes de rémunération basés sur l’évaluation de la performance relative pour y remédier. En particulier, ils montrent que les tournois intégrant ce mode de rémunération sont particulièrement bien adaptés au contexte multitâche (Lazear et Rosen [1981], Malcomson [1984, 1986]). En effet, cette forme d’évaluation de part sa flexibilité contractuelle 4, a l’avantage de révéler la véritable contribution individuelle. Toutefois, la mise en concurrence des individus présente aussi des inconvénients en cas d’interactions productives importantes : le sabotage 5. Enfin, Clark et Konrad [2007], Czerny et al. [2012] soulignent que les performances individuelles observées par activités peuvent permettre de déterminer les promus du tournoi. La Prime d’Excellence Scienti-fique qui fait l’objet de cette étude allie observation des performances individuelles par critères de production scientifique et comparaison des performances individuelles en vue de l’obtention de la prime.
Données
La Prime d’Excellence Scientifique
Les réformes institutionnelles (mise en place de l’AERES, de l’ANR, de la loi LRU) se sont succédées depuis 2007 en France. Elles visent à améliorer d’une part, la posi-tion des universités dans le classement mondial et d’autre part, à constituer des pôles d’excellence au niveau national. Ces réformes se sont focalisées sur l’évaluation des per-formances institutionnelles plutôt que sur celle des performances individuelles. La mise en place de la Prime d’Excellence Scientifique a ouvert un changement dans l’évaluation des performances des chercheurs et des enseignants-chercheurs. C’est la performance relative plus que la performance absolue qui conduit à l’obtention de la prime. C’est en cela que son principe s’inscrit dans une logique de tournoi.
Les candidats éligibles 6 à la PES doivent renseigner outre leurs caractéristiques indi-viduelles comme l’âge, le genre, l’expérience ou l’ancienneté, leurs activités sur une période allant du 1.01.2005 au 1.01.2009 pour la campagne 2009, du 1.01.2006 au 1.01.2010 pour la campagne 2010 et du 1.01.2007 au 1.01.2011 pour la campagne 2011. Ces activi-tés portent essentiellement sur le volume d’heures enseignées, le nombre et le niveau d’excellence des publications, les tâches administratives et les responsabilités collectives, l’encadrement et les tâches pédagogiques. À toutes ces informations s’ajoutent l’obten-tion de prix et distinctions scientifiques, les invitations dans les universités étrangères, les missions d’expertise et d’évaluation et les actes de colloques nationaux et internatio-naux.
Les informations recueillies permettent d’évaluer les candidats à la PES sur quatre activi-tés principales 7 : les publications scientifiques, l’encadrement doctoral, le rayonnement et les responsabilités scientifiques. Pour chaque candidature, le comité d’experts donne son avis sur chacune des activités puis un avis global. C’est sur la base de ces notes envoyées aux établissements auxquels les candidats sont affiliés que la prime est ac-cordée pour une durée de quatre ans sur décision du directeur d’établissement après avis du conseil scientifique. Elle est cependant attribuée de plein droit aux enseignants-chercheurs placés en délégation auprès de l’Institut Universitaire de France.
Nous partons des enseignants-chercheurs de la section 05 du CNU 8 candidats à la PES en 2009, 2010 et suivons leurs trajectoires respectivement en 2010 pour les candidats de la campagne 2009 et 2011 pour ceux de la campagne 2010. Ainsi, 189 candidatures ont été enregistrées pour la campagne 2009 et 148 candidatures pour la campagne 2010. Parmi les candidatures de 2010, on recense 98 nouvelles candidatures en 2010 auxquelles s’ajoutent 50 candidats qui n’ont pas obtenus la prime en 2009. La figure 1.1 illustre les trajectoires des enseignants-chercheurs suivant un processus séquentiel que nous avons construit à partir des campagnes 2009, 2010 et 2011. Nous recensons au total un échantillon de 287 enseignants-chercheurs qui participent pour la première fois à la campagne de la PES. Parmi eux, 118 candidats ont obtenu la prime du premier coup et 169 ne l’ont pas eu. Parmi les 169 perdants, 105 candidats quittent la compétition académique tandis que les 64 autres candidats décident de tenter leur seconde chance à la prochaine campagne. Seuls 16 des 64 candidats ont obtenu la PES après un second essai. L’échantillon que nous avons constitué à partir de ces différentes strates relève cependant d’une auto-sélection des candidats à ces différentes campagnes. Les résultats statistiques et économétriques obtenus à partir de cet échantillon ne peuvent être interprétés que relativement à sa composition 9. Nous présentons dans le tableau 1.1, la représentativité de notre échantillon par corps et par sexe par rapport à la distribution de la population des enseignants-chercheurs de la section 05 en novembre 2010.
Ce tableau montre une sur-représentativité des professeurs dans notre échantillon (51,22%) en comparaison avec la proportion de ces derniers (29,50%) dans la population des enseignants-chercheurs de la section CNU 05. Nous notons une représentativité relativement correcte par genre des professeurs des universités dans notre échantillon. Les données recueillies 10 à partir des candidatures à la PES 2009, 2010 et dont nous retenons l’essentiel dans le cadre de cette étude sont présentées dans le tableau 1.2.
Les hommes représentent près de 75% de l’échantillon des enseignants-chercheurs. L’âge moyen de l’échantillon est d’environ 45 ans avec un écart type de presque 10 ans. En ce qui concerne la distribution de l’échantillon par grade, les maîtres de conférences représentent près de la moitié de l’échantillon avec une forte proportion des maîtres de conférences de classe normale (41,11%) et moins de 8% de maître de conférences hors classe. Les professeurs de deuxième classe, de première classe et de classe exceptionnelle constituent respectivement 21,60%, 19,86% et 9,76% de l’effectif de notre échantillon. Parmi les enseignants-chercheurs candidats à ces campagnes de la Prime d’Excellence scientifique, près de 70% étaient titulaires d’une Habilitation à Diriger les Recherches (HDR) et 22,30% étaient titulaires de la Prime d’Encadrement Doctoral et de Recherche (PEDR). Enfin, les enseignants-chercheurs dont les universités de provenance sont : universités de Paris et Ile-de-France représentent plus de 36% de notre échantillon.
Les activités renseignées par les candidats sur leurs dossiers de candidatures et leurs cur-riculum vitæ ont permis à la commission nationale d’établir une évaluation qualitative à trois niveaux (A, B, C). En ce qui concerne le critère d’encadrement doctoral, 31,71% des enseignants-chercheurs de notre échantillon ont eu la note A, 30,31% ont eu la note B et 37,98% la note C. Le critère de rayonnement regroupe 70 candidats (24,39%) dont la note est A, 122 candidats (42,51%) avec la note B et enfin 95 candidats (33,10%) avec la note C. Du point de vue du critère des responsabilités scientifiques, nous recensons 24,04% de l’échantillon pour la note A, 42,16% pour la note B et environ 34% de note C. Enfin pour les publications, on comptabilise 40,42% de A, 33,45% de B et 26,13% de note C.
C’est donc sur la base de ces différentes évaluations qu’une note globale est attribuée à chaque candidat par la commission nationale. Ainsi, 70 candidatures ont reçu un avis très favorable pour la prime, 96 ont reçu un avis favorable et les 121 restants, un avis défavorable. Globalement, les notes envoyées par la commission nationale aux établissements ont été suivies puisque dans notre échantillon tous les avis très favorables ont obtenu la prime, 64,58% des avis favorables l’ont également reçu et enfin seulement 2 des 121 ayant des avis défavorables ont pu avoir la prime. Au total 134 sur les 287 enseignants-chercheurs (46,69%) de notre échantillon ont obtenu la prime.
Analyses statistiques
En prélude aux estimations économétriques, nous avons souhaité comparer les moyennes des notes obtenues par les promus et les non-promus à la première candi-dature, par ceux qui quittent la compétition et par ceux qui déposent une nouvelle fois leur candidature et enfin par les gagnants et les perdants de la seconde campagne. Nous utilisons le test Welch 11 pour savoir s’il y a une différence significative entre les moyennes des sous-échantillons considérés dans notre modèle séquentiel. Les résultats de ces tests statistiques sont présentés dans les tableaux 1.3, 1.4 et 1.5. Les résultats statistiques de cette première étape de la compétition académique in-diquent que la proportion d’hommes dans le groupe des promus est statistiquement plus importante que celle des hommes du groupe des non promus. En revanche l’âge moyen est relativement identique dans les deux groupes. En qui concerne les critères d’encadre-ment doctoral, de rayonnement et de responsabilités scientifiques, le tableau 1.3 montre que la proportion des enseignants-chercheurs ayant obtenu la note A dans le groupe des promus est significativement plus élevée que celle des enseignants-chercheurs du groupe des non promus. Inversement ceux qui ont obtenu la note C restent très majoritaires dans le groupe des non promus. Pour ces trois critères, les proportions des candidats dont la note est B ne sont pas significativement différentes dans les deux groupes. Enfin dans le groupe des promus, près de 75% des candidats ont obtenu une note très satisfaisante contre seulement 16,57% dans le groupe des non promus pour le critère de publications scientifiques. Ce critère reste le plus sélectif, en témoigne le pourcentage des candidats qui ont obtenu la note B dans le groupe des non promus.
Il n’y a pas de différence significative entre la proportion d’hommes du groupe des enseignants-chercheurs candidats et celle des hommes du groupe des enseignants-chercheurs non candidats à la nouvelle campagne PES après un premier échec. La différence des moyennes d’âge entre les deux groupes n’est pas significative. En re-vanche, les tests font apparaître une différence très significative de moyennes pour la note A du critère des responsabilités scientifiques entre les enseignants-chercheurs candidats et non candidats. Les candidats sont en moyenne ceux qui ont le plus obtenu la note A pour le critère des responsabilités scientifiques. Il n’y a pas de différence de moyennes significative entre ceux qui ont obtenu la note B dans les deux groupes. Les non candidats sont en majorité constitués des notes C. Ces résultats sont presque identiques pour le critère de publications mais avec une différence de moyennes entre les deux groupes pour la note A significative seulement au seuil de 10%. Les candidats sont pour la plupart ceux qui ont eu les notes A et B pour le rayonnement et seulement ceux qui ont obtenu la note B pour le critère d’encadrement doctoral.
Table des matières
Introduction générale
0.1 De l’économie de la connaissance à l’économie de la science : Faits stylisés et enjeux macroéconomiques
0.2 Economie de la Science : Fondements théoriques et résultats empiriques
0.3 L’économie des ressources humaines : Mécanismes incitatifs et compétition académique
0.4 La Prime d’Excellence Scientifique
0.4.1 Modalité de sélection et quelques résultats
0.4.2 Présentation de la base de données
0.5 Objectif et enjeux de la thèse
1 Compétition académique et tournois séquentiels : une analyse économétrique du dispositif PES
1.1 Introduction
1.2 Fondements théoriques des mécanismes incitatifs
1.3 Données
1.3.1 La Prime d’Excellence Scientifique
1.3.2 Analyses statistiques
1.4 Modélisations économétriques
1.4.1 Probit séquentiel sans sélection : modèle de base
1.4.2 Probit simple avec équation de sélection
1.5 Résultats
1.6 Conclusion
1.7 Annexe 1 : Effets marginaux moyens
2 Compétition académique et modes de production scientifique des économistes français
2.1 Introduction
2.2 Les déterminants de la production scientifique
2.2.1 Cycle de vie de la production scientifique et contrôle du multitâche
2.2.2 Effets de voisinage, externalités de coopération scientifique et pression par les pairs
2.3 Une base de données inédite : les candidatures à la PES 2009 et 2010 en économie
2.3.1 Le contrôle des activités multitâches
2.3.1.1 La production scientifique
2.3.1.2 Les activités pédagogiques et administratives
2.3.2 Le contrôle de l’environnement de la recherche
2.4 Les résultats des estimations économétriques par quantiles
2.5 Conclusion
3 Publish or teach ? The role of the scientific environment on academics’ multitasking
3.1 Introduction
3.2 Model
3.3 Data
3.4 Estimations and discussion
3.5 Conclusion
3.6 Appendix 1 : Utility and profit functions
3.7 Appendix 2 : Definition of the optimal research time
3.8 Appendix 3 : General comparative static properties on technological parameters
3.9 Appendix 4 : The moral hazard equilibrium properties
4 Do peer-effects abilities affect portfolio choice ? The case of French Economics Professors
4.1 Introduction
4.2 The data
4.2.1 The publications portfolio
4.2.2 Determinants of portfolio choice
4.3 Econometric methods
4.3.1 Modelling publication counts
4.3.2 Modelling fractional responses
4.4 Results
4.4.1 Analysis of high quality and low quality publications
4.4.2 Analysis of portfolio allocation
4.5 Conclusion
4.6 Appendix : Parameter estimates for two-stage instrumental variables approach
Conclusion générale