Écologisme et post-production dans le documentair
L’origine du documentaire écologique moderne
Pour comprendre comment le documentaire écologiste a pu naitre et se développer aussi vite sur ces dix dernières années, il faut tenir pour acquis qu’il est le fruit d’une idéologie elle-même issue d’une notion scientifique. L’écologie est un terme inventé par un biologiste, Ernst Haeckel, au milieu du XIXe siècle. Il s’agit d’une science pure, celle de la nature. On étudie les interactions entre le vivant et l’environnement1 . Cette science permettra vite de se rendre compte que l’humain a une emprise particulière sur son environnement. Par le biais de l’évolution de la représentation de cette relation au cinéma, puis la formulation d’une idéologie militante dans le secteur, cette première partie sera l’occasion de mieux comprendre la place que l’homme se fait dans la nature, et comment le XXe siècle a été le siècle de balance entre rapport de force et engagement.
La place de la nature au cinéma
La nature n’a pas toujours eu une place d’honneur dans le 7e art. Sa représentation a connu différentes utilités, différents sens au fil des périodes et mouvements cinématographiques. Daniel Bonvoisin, ancien journaliste, aujourd’hui expert en éducation aux médias, mais aussi professeur à l’Institut des Hautes Études de Communication Sociale a rédigé plusieurs articles sur la place de la nature au cinéma. Dans un premier article, Le cinéma à la conquête des paysages de la nature , il explique cette évolution. Partant des premières prises de vue des opérateurs Lumière, trimballant leur lourd matériel dans les villes, témoins d’une ère moderne et urbaine, la nature n’a pas vraiment sa place, même à la création des premiers studios où elle fait office de simple décor, parfois même simplement peinte en arrière-plan. Pendant longtemps, le sujet principal au cinéma reste le personnage. La nature n’a d’intérêt que de localiser une scène, une action. C’est dans les années 1920 que le cinéma se sert de la nature pour représenter des thématiques, des sentiments, du drame, de la poésie. Un paysage peut avoir alors un intérêt métaphorique. On remarque que le cinéma occidental est en général régi par le naturalisme, un mode de pensée moderne qui oppose la réflexion humaine au reste du monde. Il établit une certaine dualité nature/culture, ou le milieu d’un individu peut influer sur ses émotions, mais en laissant l’homme et son esprit au-dessus de toute chose, notamment grâce à cette capacité de ressentir des émotions1 . Cela se reconnait dans l’art, notamment au cinéma, lorsqu’un état d’esprit peut déteindre sur un environnement, ou du moins quand cet environnement peut induire des indices sur une personnalité. Le cinéma se sert donc beaucoup de ces symboles livrés par la nature. La nature peut également incarner un personnage, la plupart du temps un ennemi : son immuabilité, implacabilité, permet de dévoiler le courage ou les défauts des protagonistes lorsqu’ils se mesurent à elle. Cela permet aussi d’ajouter un peu de spectaculaire. « La nature au cinéma devient souvent le siège des luttes internes à l’homme, celle de la chair contre l’esprit, de l’animalité contre l’humanité, de la civilisation contre la barbarie, ou d’une harmonie oubliée contre l’aliénation moderne » 2 . Ainsi, la représentation de la nature au cinéma reste au service de la représentation de l’homme, mais le besoin de l’utiliser témoigne de l’emprise qu’elle a sur nos émotions et notre manière de voir les choses. Lors de la deuxième moitié du XXe siècle, les nouveautés techniques permettent un nouveau regard sur la nature : prises de vues aériennes, sous-marines, couleur, formats plus larges… on peut enfin représenter la nature telle qu’elle est et en tirer une esthétique. Alors que le western devient la pierre angulaire de la 1 BONVOISIN Daniel, « Les fonctions narratives de la nature au cinéma », in Médias plus verts que nature représentation de la nature au cinéma avec la représentation de ces immensités sauvage et du lien fort entre les populations autochtones et leur environnement, l’industrie du cinéma garde son objectif d’attirer le public grâce à des prises de vues inédites. Selon Daniel Bonvoisin, « la technologie de l’image a repoussé les limites de la représentation de la nature au-delà de la nature elle-même » 1 . On cherche à montrer ce que l’œil ne voit pas forcément dans ce qui l’entoure avec des paysages incroyables, des lieux insolites, et l’arrivée des premières images de synthèse. Le cinéma témoigne de l’évolution de la sensibilité de l’humanité par rapport à ce qui l’entoure : d’abord un intérêt certain pour la ville, l’industrie, qui cherche ensuite à s’évader dans les grands espaces, puis rêve en regardant les étoiles… Mais il faut faire attention à un certain paradoxe qu’on peut retrouver dans la représentation cinématographique de ces espaces naturels. La technologie nécessaire à ces représentations est en soi dangereuse pour la nature (par exemple des films à dimension écologique, anti-industrie qui sont pourtant des blockbusters nécessitant de gros moyens financiers et industriels). La nature n’est plus seulement montrée, elle est transformée, utilisée pour les besoins du film. Le cinéma a également tendance à avoir un regard scientifique sur la nature qu’il représente, et donc un regard de dominant. Daniel Bonvoisin dénonce donc une industrialisation de la représentation de la nature, un regard de domination et une esthétique exacerbée du réel qui découlent du cinéma qu’il appelle « de l’attraction » 2 . Néanmoins, il faut comprendre que cela ne peut pas être que négatif, car le plaisir et l’intérêt que ces spectacles procurent au public ne sont pas négligeables. Le cinéma est simplement une preuve matérielle de la manière dont notre société réfléchit aux problèmes de l’environnement et à son exploitation.
Du document au documentaire
Le cinéma est né à la fin du XIXe siècle dans les mains de grands innovateurs, dont les plus reconnus restent les Frères Lumière. Propriétaires d’une usine de photographie à Lyon, ils inventent le cinématographe, un système qui sert à la fois de caméra et de projecteur. Ils envoient alors des opérateurs dans le monde entier pour ramener des images. À cette époque, on ressent largement le lien entre la photographie et le cinéma. Les opérateurs ramènent ce qu’on appelle des « vues » sur le monde, ce sont des captations, comme en photographie, des « choses telles qu’elles sont » 1 . Le lien avec l’art, notamment le théâtre, arrivera à peine plus tard, mais on peut considérer ainsi que le cinéma a d’abord existé sous forme de document, c’est-à-dire un « exemple, modèle, démonstration » 2 si on suit son étymologie latine documentum. On retrouve dans cette étymologie l’essence du cinéma des Frères Lumière et leur envie de représenter le monde, de montrer « la vie sur le vif ». Cette idée de représentation se retrouvera dans le Pathé Journal créé en 1909, des actualités mises en première partie de séance. Ce format sera plus tard critiqué comme trop centré sur le sensationnel et pas assez sur la réalité sociale. Le documentaire se distinguera des actualités en premier lieu grâce à une forme narrative qui le rapproche de la fiction. C’est ce qu’on remarquera dans Nanouk l’Esquimau, réalisé en 1922 par celui qu’on appellera le père du documentaire, Robert Flaherty. Dans ce film, Flaherty ne fait pas que documenter de la vie des Inuits. Il scénarise, il romanise, il dramatise même, dans l’optique de mieux toucher le spectateur afin de les sensibiliser à la dure réalité de ces populations. Le but de Robert Flaherty était de réussir à créer un fil narratif grâce aux populations qu’il filme, en les impliquant au maximum, en présentant un regard autochtone et non pas occidental1 . Ce film, à tendance ethnographique, témoigne également de la vision naturaliste de l’époque, représentant l’Inuit comme un héros luttant chaque jour pour sa survie contre la faim, le froid, avec un ennemi commun : la nature. Le documentaire évoluera sous forme de perception anthropologique, poétique ou engagée du monde. Le passage au cinéma parlant apportera à la fiction les dialogues, mais le format lourd des premiers enregistreurs ne permettra pas tout de suite aux documentaristes d’enregistrer in-situ2 . On assiste à la naissance du commentaire, remplaçant les intertitres. Le commentaire éloignera pendant un temps le documentaire de sa forme artistique, et formatera le genre. L’après-guerre changera les opinions, et le spectateur retrouvera un intérêt certain pour le documentaire et son approche analytique de la réalité du monde, des peuples. On assiste à la naissance du néo-réalisme qui permet d’éloigner à nouveau le genre des actualités propagandistes, en prenant le parti de représenter le monde tel qu’il est : c’est le cinéma direct. Ce cinéma direct guidera certains cinéastes vers le cinéma d’investigation, forme militante et engagée que nous avons déjà évoquée.
Introduction |