Écologie trophique de poissons prédateurs et
contribution à l’étude des réseaux trophiques marins aux abords de La Réunion
Espèces profondes
Conditions physique du milieu
Les espèces profondes étudiées au cours de cette thèse ont été échantillonnées par l’IFREMER dans le cadre du projet DMX II (voir Chapitre I). La gamme de profondeurs exploitée (entre 100 m et 600 m) se caractérise par un fort gradient de température et une très faible luminosité (Figure III.5). La température, homogène dans les cents premiers mètres, passe ainsi de 24°C à 100 m à 10°C à 600 m (Leroy & Barbaroux 1980). La luminosité décroit de manière exponentielle, à 100 m de profondeur, moins d’1% de l’intensité lumineuse de surface est encore disponible (Figure III.5). Cette faible intensité lumineuse ne permet pas le développement de producteurs primaires photosynthétique mais peut être perçue par les organismes qui vivent à ces profondeurs, formant ce qui est appelé le crépuscule abyssal. La pression augmente quant-à-elle de manière linéaire, passant de 11 atmosphères à 100 m à 61 atmosphères à 600 m. Ces conditions de température, de luminosité et de pression induisent des adaptations particulières des organismes profonds. ii) Adaptations des espèces profondes La faible luminosité permet le développement de la bioluminescence chez de nombreux organismes, Téléostéens, Crustacés et Céphalopodes (qui serait trop coûteuse énergétiquement .Les valeurs de températures ont été mesurées autour de La Réunion (Leroy & Barbaroux 1980) tandis que l’intensité lumineuse suit une équation théorique en eau claire pour une longueur d’onde de 450 nm (Le Calvé 2004). en surface, où il faudrait compenser la luminosité ambiante pour être perçu comme lumineux). Celle-ci est utilisée pour diverses fonctions : vision (utilisée comme des phares de voitures), communication, prédation en attirant des proies, leurre pour échapper à un prédateur ou encore camouflage pour ne pas être visible d’en dessous par contraste avec la surface (Figure III.6). Si la bioluminescence n’a pas été mise en évidence chez les espèces de prédateurs présentées dans cette partie, nombre des proies retrouvées dans leurs estomacs en sont capables (par exemple les poissons mésopélagiques des familles Myctophidae et Sternoptychidae ou encore les calmars du genre Chiroteuthis, Figure III.6) (voir Chapitre VI). Figure III.6 : Exemple d’organismes mésopélagiques bioluminescents retrouvés dans les estomacs des prédateurs étudiés dans cette thèse. A) Vue latérale et B) faciale d’un Myctophydae du genre Diaphus possédant des lignes de photophores latéraux et deux grands photophores faciaux lui permettant d’éclairer ces proies C) calmar du genre Chiroteuthis dont l’extrémité de deux tentacules émettent de la lumière afin d’attirer ses proies. D) vue latérale d’un poisson de la famille des Sternoptychidae présentant des photophores ventraux le camouflant pour ne pas être visible d’en dessous par contraste avec la surface. (Photographies : A) S. Zankl, B) D. Fenolio, C) BBC, D) S. Zankl). Chapitre III 11BModèles biologiques et outils méthodologiques 99 La forte pression regnant à ces profondeurs influence beaucoup de processus métaboliques en limitant en particulier la fluidité des membranes lipidiques des cellules. Les organismes vivant dans ces milieux compensent cet effet en modifiant la composition lipidique de leurs membranes qui comportent une plus grande proportion de lipides insaturés. Ce sont les fameux oméga-3 recherchés pour la consommation humaine. iii) Généralités sur les espèces étudiées Les espèces tropicales profondes, dont fait partie le cortège présenté ci-après, possèdent des traits d’histoire de vie caractérisés la plupart du temps par une grande longévité, une croissance lente, un âge à première maturité sexuelle élevé et une faible mortalité naturelle (stratégie-K) (Fry, Brewer & Venables 2006; Morato, Cheung & Pitcher 2006; Simpfendorfer & Kyne 2009). Ces caractéristiques les rendent sensibles à l’exploitation (Fry, Brewer & Venables 2006; Morato, Cheung & Pitcher 2006; Simpfendorfer & Kyne 2009). Les connaissances sur ces espèces sont souvent limitées, du fait de leur distribution qui les rend peu accessibles. C’est le cas pour les espèces étudiées dans le cadre de ces recherches, composées de sept Téléostéens appartenant aux familles des Berycidae (béryx commun Beryx decadactylus), des Bramidae (le zambas Eumegistus illustris), des Serranidae (le cabot de fond rayé Epinephelus radiatus) et Lutjanidae (le vivaneau rouge Etelis carbunculus, le vivaneau la flamme Etelis coruscans, le vivaneau gros-écaille Pristipomoïdes multidens et le vivaneau cerfvolant Pristipomoïdes argyrogrammicus) ; ainsi que d’une espèce de Chondrichtyens : le requin zépine Squalus megalops. Ainsi des lacunes persistent-elles concernant la longévité, la reproduction ou encore le régime alimentaire de ces espèces que le programme DMX II a pour objectif de combler.
Béryx commun
Nom scientifique : Beryxdecadactylus Cuvier 1829 Noms vernaculaires français : Béryx commun, Dorade rose Nom vernaculaire anglais : Alfonsino Classification Ordre/Famille : Beryciformes/ Berycidae Longueur maximale (Lf) : 100 cm Poids maximal : 3,8 kg Taille à maturité (Lf) : 30 cm Longévité : 69 ans i) Habitat, distribution, écologie La dorade rose ou béryx commun (Beryxdecadactylus) est une espèce de la famille des Berycidae. Elle se distingue d’une espèce proche (Beryssplendens) par la hauteur importante de son corps lui donnant une forme sub-ovoïde, compressé latéralement. Cette espèce présente une large distribution de 70°N à 48°S dans les trois océans jusqu’en Méditerranée, présente sur les plateaux continentaux et insulaires ainsi qu’autour des monts sous-marins (Lehodey et al. 1992). Fréquentant des fonds entre 100 m et 1200 m, le béryx est une espèce bathydémersal affectionnant les fonds rocheux. L’homogénéité génétique mise en exergue entre l’Amérique du Nord et les Açores suggère des capacités de dispersions importantes à travers l’Atlantique Nord (Friess & Sedberry 2011a). ii) Croissance, longévité, reproduction La reproduction du béryx a lieu durant l’été : entre juin et septembre dans l’hémisphère Nord (mis en évidence sur la côte est des Etats-Unis, Friess & Sedberry 2011b) et entre décembre et janvier dans l’hémisphère sud (autour de la Nouvelle-Calédonie, Lehodey et al. 1997). La maturité sexuelle semble être atteinte avant 8 ans, autour de 30 cm (Lehodey, Grandperrin & Marchal 1997; Friess & Sedberry 2011b). En Nouvelle-Calédonie, il est possible de distinguer des zones où les juvéniles grandissent jusqu’à la maturité des zones de reproduction utilisées par les adultes (Lehodey, Grandperrin & Marchal 1997). iii) Régime alimentaire Dans l’archipel des Canaries (Espagne), les béryx se nourrissent principalement de Téléostéens, sans montrer de grandes variations de régime alimentaire au cours du développement des individus (Dürr & González 2002). © Fishpics Chapitre III 11BModèles biologiques et outils méthodologiques 101 iv) Importance halieutique Etant reconnu pour la haute qualité de sa chair, le béryx fait l’objet de pêcheries commerciales là où cette espèce (ou une espèce proche B. splendes) est abondante : en Atlantique Nord dans les archipels formant la Macaronésie (Açores, Madère, Canaries, CapVert) (Dürr & González 2002), dans le Pacifique en Nouvelle-Calédonie (Lehodey et al. 1992), en Nouvelle-Zélande (Massey & Horn 1990) et au Japon ainsi que dans l’océan Indien au niveau du banc la Saya de Malha. A La Réunion les qualités gustatives de cette espèce sont très appréciées, ce qui en fait une espèce à haute valeur commerciale (Bertrand, Le Ru & Evano 2012).
Zambas Nom scientifique
Eumegistusillustris Jordan & Jordan 1922 Noms vernaculaires français : Brème noire, Zambas Nom vernaculaire anglais : Brillant pomfret Classification Ordre/Famille : Perciformes/ Bramidae Longueur maximale (Lf) : 100 cm Poids maximal : – Taille à maturité (Lf) : – Longévité : 15 ans i) Habitat, distribution, écologie La distribution du zambas semble étendue avec des observations dans toute la bande intertropicale : dans l’Atlantique au Brésil (Carvalho-Filho et al. 2009), dans le Pacifique aux Philippines (Bos & Gumanao 2013), à Hawaï (Mundy 2005) et Japon (Okiyama 1988) et dans l’océan Indien à La Réunion (Roos, Tessier & Taquet 2001). Espèce plutôt rare, elle est très peu documentée et la majorité des informations disponibles sur cette espèce provient des connaissances empiriques des pêcheurs. Considérée comme bathypélagique, elle exploiterait un intervalle de profondeur entre 250 m et 550 m (Fleury, Aureche & Le Ru 2011). D’après les pêcheurs qui ciblent cette espèce, elle serait plus pélagique que les autres espèces présentées dans cette partie. En effet, alors que la plupart des espèces démersales profondes étudiées ici sont pêchées proche du fond, les zambas sont pêchés en pleine eau, proche de la surface les nuits sans lune. Ceci laisse supposer que cette espèce effectue des migrations verticales journalières. De plus les juvéniles seraient pêchés plus au large que les adultes. © J. E. Randall ii) Croissance, longévité, reproduction Très peu d’éléments sont actuellement disponibles sur la croissance et la reproduction de cette espèce. Le plus grand individu observé mesurait 1 m, pêché en 2011 à La Réunion (Roos et al. 2015). Une étude utilisant un os operculaire à la place des otolithes a estimé l’âge maximal des individus pêchés dans le cadre du programme DMX II à 15 ans (Mahé et al. 2016). iii) Régime alimentaire Aucune publication ne décrit le régime alimentaire de cette espèce à ce jour d’après les recherches menées. iv) Importance halieutique A La Réunion les qualités gustatives de cette espèce sont très appréciées ce qui en fait une espèce à haute valeur commerciale (Bertrand, Le Ru & Evano 2012). Composant 20% des captures d’espèces profondes en 2000, elle a été identifiée comme une espèce potentiellement intéressante commercialement (Roos, Tessier & Taquet 2001). En 2011, son abondance dans les captures a diminué de plus de 90%, ne composant plus que 1,8% des captures (Fleury, Aureche & Le Ru 2011).
Cabot de fond rayé Nom scientifique
Epinephelusradiatus Day 1871 Nom vernaculaire français : Cabot rayé Nom vernaculaire anglais : Goldbandedjobfish Classification Ordre/Famille : Perciformes/ Serranidae Longueur maximale (Lt) : 70 cm Poids maximal : 5,3 kg Taille à maturité (Lt) : 29 cm Longévité : – i) Habitat, distribution, écologie Appartenant à un cortège d’au moins quatre espèces très semblables morphologiquement référées de manière générique à Epinephelus morrhua (les bandes ventrales d’E. morrhua ont une orientation plus horizontale que celles d’E. radiatus), le cabot de fond rayé est réparti en patchs hétérogènes dans l’Indopacifique jusqu’en Mer Rouge (Goldshmidt et al. 1996; Heemstra et al. 2006; McIlwain et al. 2011; Sirajudheen & Kumar 2012). Sa distribution en profondeur, son exploitation par des pêcheries artisanales à petite échelle et les problèmes d’identification sont des caractéristiques qui limitent les informations disponibles sur cette espèce. Les individus de cette espèce changeraient d’habitat au cours de leur développement, fréquentant des eaux peu profondes aux stades juvéniles ; les adultes côtoieraient des profondeurs entre 80 m et 380 m (Bertrand, Le Ru & Evano 2012). ii) Croissance, longévité, reproduction Les premiers indices concernant le cycle reproducteur de cette espèce ont été récoltés durant le programme DMX II. L’âge à maturité semble être de 3 ans pour une taille de 37 cm (Roos et al. 2015). iii) Régime alimentaire Aucune donnée ne permet de constituer un point de référence concernant l’alimentation de cette espèce à notre connaissance. iv) Importance halieutique Comme beaucoup d’espèces de Serranidae, la chair d’E. radiatus est très appréciée ce qui en fait une cible des pêcheries artisanales. Suivies par le Système d’Information Halieutique (SIH) de La Réunion depuis 2010, les productions annuelles sont relativements stables et représentent en moyenne 12% à 15% des débarquements de la pêche profonde (sans tenir compte des captures accessoires abondantes) (SIH 2013). A l’heure actuelle, 84% des captures concernent des individus mâtures (Roos et al. 2015).
PARTIE 1 MISE EN PLACE DE L’ETUDE : OBJECTIFS, LOCALISATION ET METHODES 5. LES POINTS A RETENIR |