Échange ionique
Les cations extracharpentes des zéolithes ne sont pas liés de manière « chimique » avec la charpente et peuvent donc être échangés. Cette propriété des zéolithes est connue depuis plus de cent ans et est aujourd’hui utilisée dans le traitement et l’adoucissement des eaux, notamment dans les lessives. Actuellement, 30 % des lessives commercialisées dans l’Union Européenne contiennent des zéolithes, qui sont de plus en plus utilisées pour remplacer les tripolyphosphates . La zéolithe la plus utilisée est la zéolithe A, pour sa capacité à séquestrer les ions calcium des solutions aqueuses. Les propriétés d’échange ionique des zéolithes sont aussi utilisées dans le traitement des déchets radioactifs afin d’éliminer certains ions radioactifs. Dans ce cadre, la zéolithe la plus utilisée est la clinoptilolite. Au niveau industriel, les zéolithes sont moins utilisées que les résines échangeuses d’ions. Cependant, dans certains cas, elles sont plus adaptées que ces dernières, du fait de leur grande sélectivité d’échange, de leur résistance à la chaleur et aux radiations. Les propriétés d’échangeur d’ions des zéolithes sont aussi utilisées dans la majorité des synthèses de zéolithes. En effet, les matériaux synthétisés contiennent en général un seul type de cation, le plus souvent du sodium. Ces cations sont ensuite échangés pour donner une large gamme de matériaux totalement ou partiellement échangés. Les phénomènes d’échange sont encore relativement mal compris. Pour les caractériser, on étudie expérimentalement les équilibres d’échange d’un matériau avec des solutions contenant des cations de nature différente. On trace alors ce que l’on appelle des isothermes d’échange, où le taux d’échange atteint à l’équilibre est reporté en fonction de la concentration du cation dans la solution. La forme de la courbe nous donne des indications sur l’évolution de la sélectivité de l’échange au cours de la substitution, et sur les aspects thermodynamiques du phénomène. Il n’existe pas actuellement de modèle permettant de prédire les sélectivités d’échange. Ces sélectivités dépendent du matériau considéré, du rapport Si/Al, et de la nature des cations échangés. Les simulations des processus d’échange ionique dans les matériaux poreux sont rares. Manon Higgins et al. ont étudié par des minimisations d’énergie l’évolution de la structure de la zéolithe A pour différents taux d’échange. La localisation des cations extracharpentes a été déterminée [88,283]. Krishnamurthy et al. ont étudié par dynamique moléculaire l’échange ionique de cation lithium et calcium dans la zéolithe NaA. Cependant, la durée des simulations ne leur permet pas d’atteindre l’équilibre . La cinétique de ce type de phénomène est en effet relativement lente. L’approche par simulation des phénomènes d’échange et notamment l’étude des équilibres reste encore à développer. Pour la première fois, nous avons pu lors de ce travail, modéliser en utilisant la simulation Monte Carlo des isothermes d’échange. Récemment, Angela Di Lella, dans le cadre de sa thèse, a développé et validé des potentiels d’interaction de type dispersion-répulsion pour modéliser l’interaction entre les cations extracharpentes et la charpente zéolithique. Ces potentiels testés pour reproduire la localisation des cations dans la faujasite, ainsi que les phénomènes d’adsorption d’eau, donnent de très bons résultats . Pour la première fois, les propriétés de zéolithes bicationiques ont pu être calculées. Nous proposons ici d’utiliser la méthode Monte Carlo pour calculer les propriétés thermodynamiques d’échange des zéolithes. Nous avons utilisé les potentiels développés par Angela Di Lella pour calculer les isothermes d’échange des cations alcalins dans deux faujasites de rapport Si/Al différents, une zéolithe X et une Y.
Formalisme et isothermes d’échange
Je décris dans cette partie le formalisme que l’on utilise pour représenter les équilibres d’échange ionique en phase aqueuse. Je me limite au cas des cations monovalents qui est le cas qui nous intéresse, mais le formalisme est facilement généralisable à des cas où la charge des cations est différente de 1. Pour des questions de clarté, je ne décrirai que les cas où les ions négatifs ne peuvent pas pénétrer dans la zéolithe. On étudie l’évolution à température constante du taux d’échange à l’équilibre (fraction molaire en B) pour différentes compositions de la solution. On peut alors, à concentration totale en cations fixée, tracer des isothermes d’échange, sur lesquels on représente le taux d’échange dans la zéolithe (la fraction molaire en B) en fonction de la fraction molaire en B dans la solution. On obtient alors un isotherme d’échange dont l’aspect est représenté sur la figure IV.1. Ce type d’isotherme se lit comme les diagrammes de sélectivité d’adsorption dans les zéolithes. Si l’isotherme est au dessus de la droite y = x alors le matériau est sélectif en faveur de B. C’est le cas de l’échange caractérisé par l’isotherme de type (a), dans toute la gamme de concentration étudiée. Si l’isotherme est en dessous de la droite y = x, alors le matériau est sélectif pour le cation A. C’est le cas de l’échange caractérisé par la courbe (c). On peut aussi avoir comme dans le cas (b) des changements de sélectivité au cours de l’adsorption, qui sont en général attribués à des changements de sites cationiques des cations échangés. Enfin, l’échange n’est parfois pas total comme dans le cas (c). En fonction de la nature du cation, mais aussi de la structure de la zéolithe et de son rapport Si/Al, on peut obtenir différents isothermes d’échange. La figure IV.2 représente les isothermes d’échange des cations monovalents de la première colonne de la classification périodique dans une faujasite et dans la LTA. On s’aperçoit que suivant la structure et la composition du matériau, l’allure de l’isotherme change. Par exemple, la LTA est sélective en faveur du lithium alors que la faujasite Y ne l’est pas. L’échange du césium dans la LTA est complet alors qu’il est limité dans la faujasite Y. La thermodynamique de l’échange dépend donc de la nature des cations, mais aussi de la structure du matériau échangé. On peut à partir des isothermes calculer le facteur de séparation α B A qui est analogue à la sélectivité que l’on calcule en adsorption : α B A = x B zéox A sol x B solxA zéo (IV.7) Une valeur de α B A supérieure à un indique que l’échange est favorable pour B, alors qu’une valeur inférieure indique qu’il est en faveur de A.
Taux d’échange maximum
Pour un même matériau, la thermodynamique de l’échange dépend de la nature du cation. Dans le cas des faujasites (auquel je vais me limiter à partir de maintenant), l’échange peut être soit complet soit incomplet. Dans certains cas, une amorphisation de l’échantillon est observée au cours de l’échange. C’est le cas pour des petits cations très chargés comme le cobalt [73]. Le tableau IV.1 regroupe les résultats concernant les échanges de différents cations dans les faujasites Y et X. Dans le cas des cations bivalents les plus petits, l’échange n’est pas total. L’échantillon s’amorphise avant d’atteindre l’échange total. Dans le cas des cations les plus gros, l’échange total n’est jamais atteint, sans qu’aucune perte de cristallinité de l’échantillon ne soit observée
Nouveau pas Monte Carlo
Le phénomène d’échange implique une variation du nombre de cations de la zéolithe ou du moins de leur nature, tout en maintenant le système électrostatiquement neutre. Dans le cas où on échange des cations ayant la même charge, cela revient à maintenir constant le nombre de cationsI . Le système étudié est de plus en équilibre avec une solution dans laquelle on a fixé les concentrations des ions et donc les potentiels chimiques de A+ et de B+ . La quantité d’eau adsorbée dans la zéolithe est elle aussi libre de fluctuer. Le système appartient donc à l’ensemble (µA,µB,µeau,Ncations,V ,T) où Ncations = NA + NB est le nombre total de cations dans le système, et µeau le potentiel chimique de l’eau dans la solution. Afin de permettre aux fractions molaires des cations dans la zéolithe de varier, tout en gardant le nombre total de cations constant, nous avons implémenté un pas d’échange, similaire au pas utilisé pour les xylènes dans la faujasite. Le pas consiste à remplacer un cation de type i par un cation de type j, le cation de type j étant introduit à la position précédemment occupée par le cation de type i. C’est une destruction du cation de type i simultanée avec une insertion du cation de type j.Lors de l’échange en phase liquide que l’on étudie, la zéolithe est saturée en eau. Angela Di Lella, dans le cadre de sa thèse, s’est intéressée au phénomène d’adsorption d’eau dans des zéolithes contenant du potassium, du rubidium et du césium. Elle a montré que la quantité d’eau à saturation varie de ∼260 molécules/maille pour une zéolithe contenant uniquement du sodium à ∼230 molécules/maille pour une zéolithe complètement échangée au potassium. Le nombre de molécules d’eau dans la zéolithe est donc susceptible de varier au cours de l’échange. Afin d’étudier l’effet des fluctuations de la quantité d’eau sur les isothermes d’échange, plusieurs simulations ont été lancées pour calculer l’isotherme d’échange de la NaX par le lithium I . Dans la première, la quantité d’eau est libre de fluctuer au cours de l’échange. Nous avons ensuite calculé les isothermes d’échange à quantité d’eau fixée pour deux quantité d’eau différentes : 230 et 270 molécules par maille. Dans les trois cas, l’isotherme obtenue est identique. Nous avons donc choisi de fixer la quantité d’eau dans le système pour accélérer la convergence en augmentant le nombre de pas d’échange dans la simulation.