La Terre est composée de 3 grandes couches internes que sont la croûte (inférieure et supérieure), le manteau (inférieur et supérieur), et le noyau (interne et externe). Le manteau est la couche prédominante sur Terre, aussi bien du point de vue du volume (> 80 % du volume terrestre) que de la masse (65 % de la masse terrestre). Cette présente étude s‘intéressera principalement au manteau supérieur, qui s‘étend d‘environ 5-30 km jusqu‘à 670 km de profondeur. Une autre nomenclature est également utilisée pour décrire les 670 premiers kilomètres de profondeur, plus basée sur des notions de comportement mécanique : la lithosphère, enveloppe rigide constituée de la croûte et de la partie la plus superficielle du manteau supérieur, et l‘asthénosphère, région caractérisée par un comportement ductile, et représentant la partie du manteau supérieur sujette à des processus de convection. La lithosphère a une épaisseur très variable, allant de 0 km au niveau des rides océaniques jusqu‘à 250 km au niveau des zones de craton. La lithosphère mantellique est chimiquement appauvrie, contrairement à l‘asthénosphère, qui s‘étend depuis la base de la lithosphère jusqu‘à la transition entre le manteau supérieur et inférieur (~670 km de profondeur).
Le manteau supérieur est essentiellement constitué de péridotite, roche ultramafique composée en grande majorité de SiO2, MgO et FeO, mais aussi en proportion plus faible de Al2O3, TiO2, Cr2O3, CaO, MnO, Na2O et K2O. Bien que l‘olivine soit le minéral dominant, les proportions modales des minéraux constitutifs de la péridotite évoluent selon les conditions pression (P) – température (T). Dans la classification internationale actuelle, les roches ultramafiques du manteau supérieur terrestre sont classées selon la proportion des minéraux cardinaux suivants : olivine, orthopyroxène et clinopyroxène .
Une phase alumineuse est également présente, dont la nature change en fonction de la pression. Dans le domaine mantellique, une transition s‘effectue entre une péridotite dite à spinelle, qui est la phase alumineuse à basse pression, et une péridotite dite à grenat, qui est la phase stable à haute pression. Cette transition peut varier en pression comme une fonction de la température (Gasparik, 1984 ; Klemme & O‘Neill, 2000). La proportion des différentes phases minéralogiques constituant le manteau supérieur terrestre (global) change avec la profondeur (Irifune & Isshiki, 1998 ; Stixrude & Lithgow-Bertelloni, 2005, 2007 ; Hirschmann et al., 2009), avec l‘olivine qui reste la phase cristalline majeure et le grenat qui devient de plus en plus stable en profondeur. L‘orthopyroxène est absent du manteau au-delà de 300 km de profondeur. L‘eau et le carbone sont les éléments volatils les plus abondants sur Terre, avec des concentrations de plusieurs centaines de ppm au sein du manteau terrestre (Aubaud et al., 2005 ; Cartigny et al., 2008 ; Dasgupta & Hirschmann, 2010; Marty, 2012 ; Michael & Graham, 2015), et dont le rôle prépondérant dans la fusion partielle du manteau supérieur terrestre a depuis longtemps été mis en évidence par les observations naturelles et les études expérimentales. Leur comportement durant ces processus de fusion partielle est directement lié à leur mode de stockage dans la péridotite. L‘eau est principalement stockée dans les minéraux silicatés (Aubaud et al., 2004 ; Hirschmann et al., 2005 ; Ardia et al., 2012). Sous certaines conditions de pression, température et composition, l‘eau peut également être stockée au sein de minéraux hydratés (i.e. H2O dans la formule stœchiométrique), tels que la pargasite ou la phlogopite (Green et al., 2010 ; Kovács et al., 2012). Le carbone présente une solubilité très faible dans les minéraux silicatés, de l‘ordre de quelques ppm maximum (Keppler et al., 2003 ; Shcheka et al., 2006 ; Rosenthal et al., 2015), et son stockage se fait principalement via des minéraux accessoires tels que la dolomite, la magnésite, le graphite ou le diamant (Dasgupta & Hirschmann, 2010). L‘état d‘oxydation du manteau supérieur régit la phase sous laquelle le carbone est stocké : dans des conditions assez oxydantes, les phases carbonatées seront stabilisées, sinon, une phase graphite ou diamant prévaut (Frost & McCammon, 2008 ; Stagno & Frost, 2010 ; Foley, 2011 ; Rohrbach & Schmidt, 2011 ; Stagno et al., 2013). Comme expliqué dans la suite de cette introduction, seule la présence de carbonates diminue fortement les températures du solidus de la péridotite.
Implications de la présence de CO2-H2O dans le manteau supérieur terrestre : objectifs de cette étude
Cette brève introduction a été l‘occasion de démontrer qu‘une large gamme de conditions pression – température – fO2 du manteau supérieur permet de stabiliser de faibles fractions de liquides magmatiques riches en CO2-H2O. Une variation dans les conditions pression – température – teneurs en CO2-H2O dans le manteau peut influer fortement sur la composition des liquides magmatiques. Contraindre l‘évolution de la chimie des liquides magmatiques en présence de CO2-H2O est un objectif primordial dans la compréhension de nombreuses problématiques, telles que les conditions de formation des kimberlites, laves riches en CO2-H2O observées au niveau des zones de craton et présentant un fort intérêt économique en tant que principaux hôtes des diamants (Agashev et al., 2008), ou les conditions de formation des natrocarbonatites observées à la surface du Oldoinyo Lengaï. Outre ces aspects pétrologiques, de nombreuses observations et discontinuités géophysiques trouvent leur origine dans la présence de ces faibles fractions de liquides riches en CO2 et H2O au sein du manteau. Ainsi, une étude récente publiée dans la revue Nature (Sifré et al., 2014) explique les anomalies de conductivité électrique observées au niveau de la LAB (« Lithosphere-Asthenosphere Boundary ») par la présence de ces liquides.
Actuellement, un important et inestimable travail expérimental a été réalisé afin de contraindre de mieux en mieux la composition de ces liquides magmatiques en présence de CO2- H2O dans les conditions du manteau supérieur terrestre. Le résultat de cet effort considérable est une large base de données expérimentales, avec des expériences réalisées dans une vaste gamme de conditions pression – température – composition. A ce titre, la complexité de cette base de données peut devenir un réel problème lorsque l‘on veut essayer de trouver de la cohérence entre ces points, les interpoler, afin de pouvoir ensuite extrapoler et prédire la composition des liquides dans des conditions différentes. L‘objectif de cette étude est de comprendre cette base de données expérimentales, sa diversité, et l‘utiliser pleinement pour mettre en place un modèle thermodynamique permettant de relier ces points expérimentaux entre eux et de décrire les propriétés du liquide magmatique en présence de CO2-H2O, ainsi que d‘apporter des réponses aux problématiques précédemment soulevées.
II. Introduction |