Dynamique océanique et transport de la matière
particulaire dans le Golfe du Lion
Le Golfe du Lion
Localisé dans la partie nord-ouest de la mer Méditerranée (figure 2.1), le Golfe du Lion est une région singulière de part sa topographie, ses régimes météorologiques et hydrologiques. Le Golfe du Lion est situé entre le Cap Creus au Sud-ouest (frontière espagnole) et le Cap Croisette (Sud de Marseille) au Nord-est. Il est caractérisé par un vaste plateau continental en forme de croissant (figure 2.2) dont la largeur atteint 80 km au Cap d’Agde. Le plateau, d’une profondeur moyenne voisine de 76 m, est bordé par un talus continental incisé par de nombreux canyons sous-marins (figure 2.2), conduites naturelles ou` transite la matière particulaire vers le large [Monaco et al., 1990]. La pente se termine par la plaine du Bassin des Baléares à 2500 m de profondeur. Par ailleurs, le Golfe du Lion est entouré par trois massifs montagneux, les Pyrénées, le Massif Central et les Alpes, séparés d’une part par l’étroit passage de Naurouze et d’autre part par la vallée du Rhône. Fig. 2.1 – Image Seawifs de la Mediterranée pour Mai 2001.
Description générale
La Méditerranée est une mer microtidale ou` les courants de marée sont de faibles amplitudes [Lamy et al., 1981]. En automne et en hiver (périodes étudiées), la circulation océanique et le transport sédimentaire y sont influencés essentiellement par les vents, la houle et les apports fluviaux.
Les régimes de vent
Le Golfe du Lion est la région la plus ventée de la Méditerranée [Fieux, 1974]. Les vents dominants dans cette région sont les vents de nord-ouest (Tramontane) et de nord (Mistral). Canalisés entre les massifs montagneux mentionnés ci-dessus, ils soufflent tout au long de l’année. En hiver, ces vents peuvent ˆetre violents et souffler pendant plusieurs semaines. Ils entraˆınent des masses d’air polaire ou continental, froid et sec, qui peuvent induire des modifications hydrologiques significatives par refroidissement et mélange vertical. En été, les vents de nord peuvent durer quelques jours et ont des vitesses plus faibles de 10 à 15 m s −1 [Millot, 1990]. En moyenne, ils soufflent un jour sur deux en Roussillon et un jour sur trois en Languedoc, Camargue et Provence [Darchen, 1974]. Ces vents ont un faible impact direct sur le transport sédimentaire, et en particulier sur la resuspension. Les houles qu’ils engendrent sont peu énergétiques. En revanche, en hiver, nous verrons dans le paragraphe 2.2.3, puis dans le chapitre 5, qu’ils peuvent induire la formation d’eau dense par refroidissement et évaporation. Les cascades de ces eaux denses sur la pente jouent un rôle majeur dans l’exportation de la matière vers le large. Les vents de sud-est sont moins fréquents que les vents de nord. Toutefois, ils peuvent souffler violemment de l’automne au printemps avec des pics de vitesse de 25 ms −1 [Millot, 1990]. Ils engendrent alors
Le Golfe du Lion de fortes houles et des courants côtiers intenses.
Le courant de fond induit par la houle peut atteindre des vitesses de 100 cms −1 pour des profondeurs de 20 m, et de l’ordre de 15 cms −1 pour des profondeurs de 50 m [Lacombe, 1965]. A 100 m de profondeur, la vitesse est estimée inférieure à 1 cm s −1 . Les vents du sud-est ont des conséquences importantes pour la resuspension, jusqu’`a 40 m de profondeur, et le transport sédimentaire près des côtes [Alo¨ısi et al., 1977]. 2.1.2 Les apports fluviaux Les apports fluviaux sont les principales sources de matière particulaire pour la zone côtière. Plusieurs fleuves se déversent dans le Golfe du Lion. Toutefois, 90 % des apports fluviaux proviennent du Rhône, principal fleuve de la mer Méditerranée. Le Rhône possède un débit moyen de 1700 m3 s −1 . Ce dernier présente des fortes variabilités saisonnière et interannuelle. Faible en été, il peut atteindre des valeurs supérieures à 4000 m3 s −1 lors des crues qui ont lieu presque chaque année, entre l’automne et le printemps. Le panache du Rhône a été étudié grˆace à des observations radar [Demarcq et Wald, 1984 ; Forget el al., 1990 ; Broche et al., 1998] et à la modélisation [Estournel et al., 1997 ; Marsaleix et al., 1998 ; Estournel et al., 2001]. L’extension et l’épaisseur du panache sont influencées par le vent et le débit du Rhône. Par vent de nord, le panache s’écoule vers le Sud à proximité des côtes puis vers le Sud-ouest plus au large, comme l’illustre la figure 2.3 (`a gauche). Le vent de sud-est, quant à lui, contraint l’écoulement du panache le long de la côte (figure 2.3 à droite). La majeure partie des eaux douces se déplace vers l’Ouest alors qu’une petite branche pénètre dans le Golfe de Fos [Demarcq et Wald, 1984 ; Estournel et al., 1997 ; Ulses et al., 2005]. En l’absence de vent, une circulation anticyclonique s’écoule en surface et se prolonge en courant côtier. Un contre-courant se développe sous le panache. Au niveau de l’embouchure du Rhône, le panache a une épaisseur de l’ordre du mètre. Il s’approfondit plus au large sous l’effet de mélanges verticaux induits par le vent [Broche et al., 1998]. Les eaux douces qui le constituent vont influencer la circulation dans la Golfe du Lion. Le Rhône est responsable de plus de 80 % des apports fluviaux en matière particulaire dans le Golfe du Lion [Aloisi et al., 1977]. Les estimations du débit solide du fleuve sont comprises entre 2 et 8 M t an−1 [Leveau et Coste, 1987 ; Pont, 1997 ; Antonelli, 2002] avec une variabilité interannuelle. Par ailleurs, 80 % de la matière particulaire pénètrent dans le Golfe du Lion lors des épisodes de crues. Pendant ces événements très courts, le débit solide est fonction du débit liquide, mais aussi des conditions météorologiques et des précipitations [Radakovitch et al., 2005]. Le Rhône transporte majoritairement
Description générale des silts (particules fines)
Le pourcentage de sable est assez faible ; toutefois, il peut augmenter de fa¸con significative pendant les crues [Radakovitch et al., 2005]. La matière particulaire issue du Rhône s’accumule massivement devant l’embouchure, sous l’effet entre Fig. 2.3 – Images satellitales MODIS du 15 septembre 2002 (`a gauche) et du 8 décembre 2003 (`a droite). autre de floculations [Roussiez et al., 2005 ; Lansard, 2004]. Des études ont été menées pour déterminer la dispersion de la matière en suspension au niveau de l’embouchure du Rhône [Aloisi et al., 1982 ; Aloisi, 1986]. Les résultats obtenus mettent en évidence un système de transfert de matière en suspension multi-couches : une première couche superficielle, assez fine, est associée au panache d’eau douce. Sa turbidité décroˆıt vers le large. Une deuxième couche près du fond, appelée couche néphélo¨ıde de fond, est identifiable dès l’embouchure du Rhône. Elle plonge rapidement sous la thermocline et s’étend vers le large. A l’intérieur de cette couche, la concentration de matière en suspension augmente avec la profondeur. D’autres couches turbides peuvent ˆetre détectées dans la colonne d’eau et seraient formées de particules issues de la couche superficielle. Les autres fleuves du Golfe du Lion (Vidourle, Lez, Hérault, Orb, Aude, Agly, Tech, Tˆet) présentent des débits beaucoup plus faibles. Les débits des rivières du Roussillon (Agly, Tˆet et Tech) atteignent quelques centaines de m3 s −1 pendant les crues. Le reste du temps, ils ne dépassent pas la dizaine de m3 s −1 . Alors que le Rhône a un débit solide toujours élevé, les petites rivières sont caractérisées par des régimes hydrologiques très irréguliers, dits torrentiels [Roussiez et al., 2005]. L’apport de matière particulaire au niveau de ces rivières a lieu essentiellement pendant les périodes de crue.
Les autres sources de matière particulaire
En dehors des apports fluviatiles, la matière particulaire peut provenir de la production phytoplanctonique et de l’atmosphère. Enfin, les intrusions de la circulation générale de Méditerranée sur le plateau du Golfe du Lion peuvent également ˆetre responsables d’entrées de matière particulaire. Durrieu de Madron et al. [2000] ont réalisé un bilan des termes d’entrées et de sorties de matière particulaire dans le Golfe du Lion. Ils estiment à 7.8 ± 1.8 106 T an−1 les apports issus de la production phytoplanctonique. Il faut préciser que ces apports ont lieu essentiellement pendant les courtes périodes de blooms phytoplanctoniques, généralement en fin d’hiver/début printemps dans cette région. Nous rappellons que nous ne prenons pas en compte ces apports dans notre étude, qui sont liés à des processus complexes sur lesquelles nous ne possédons pas d’information. De plus, l’étude de la composition de la matière retenue dans les pièges à particules localisés dans les canyons de Lacaze-Duthiers et du Planier de 1993 à 2001 [Guarracino, 2004] a montré que la fraction lithogène était dominante et maximale pendant les périodes automnale et hivernale que nous étudions, ce qui suggère le rôle de second ordre des processus biologiques sur les échanges côte-large concernant notre travail. Les dépôts atmosphériques sont assez faibles dans le Golfe du Lion. Durrieu de Madron et al. [2000] les ont estimés à partir de mesures collectées en Corse à 0.3 ± 0.2 106 T an−1 . Les dépôts mesurés correspondent principalement à des apports sahariens qui sont maximaux en printemps et en été [Guarracino, 2004]. Ils apparaissent clairement négligeables par rapport aux apports fluviatiles pendant la période étudiée. Enfin, des entrées de matière particulaire peuvent ˆetre associées aux intrusions du Courant Nord sur le plateau du Golfe. Les flux d’intrusion sont estimés à des valeurs comprises entre 0.03 et 0.46 Sv et sont maximaux en hiver lorsque le flux du Courant Nord est lui-mˆeme maximal [commun. pers., Julie Gatti, Centre d’Océanologie de Marseille]. En considérant une concentration de matière en suspension comprise entre 0.2 et 0.4 mgL −1 dans le Courant Nord [Lapouyade et Durrieu de Madron, 2001], le flux de matière particulaire maximal lié à ces intrusions s’éléverait alors à 184 kg s −1 . Or, le flux moyen de matière particulaire du Rhône pour la période octobre-mai a été estimé par Lapouyade et Durrieu de Madron [2001] à 373 kg s −1 à partir des données de débit du fleuve de 1987 à 1999 et de la relation de Sempéré et al. [2000]. Les apports liés aux intrusions sporadiques du Courant Nord sont par conséquent faibles dans le cadre de notre étude centrée sur des épisodes de fortes resuspensions et d’apports fluviaux importants.
Description générale
Les sédiments de fond
Sur le plateau, les caractéristiques du sédiment de fond sont fortement liées aux apports fluviaux et à la resuspension induite par l’interaction houle/courant. Fig. 2.4 – Carte des fonds du Golfe du Lion [Monaco et Alo¨ısi, 2001]. Trois zones distinctes ont été définies par Monaco et Alo¨ısi [2001] (figure 2.4). La première zone située près de la côte, appelée cordon infralittoral, est assez inhomogène en raison des apports fluviaux. Loin de l’influence des fleuves, le sédiment est composé de plus de 40 % de sablons (particules dont le diamètre est compris entre 40 et 200 µm) et de moins de 25 % de pélites (particules dont le diamètre est inférieur à 40 µm). Devant les embouchures des fleuves se sont formées des zones d’accumulation de matière terrigène appelées prodeltas [Alo¨ısi et al., 1975a]. Le sédiment déposé est constitué de vase silteuse. Des études récentes [Lansard, 2004 ; Roussiez et al., 2005] montrent que la majorité des polluants et des contaminants issus des fleuves et agrégés aux particules fines est enfouie dans le sédiment à proximité des embouchures. Les prodeltas représentent ensuite une source de particules fines, de polluants et contaminants associés, qui sont remobilisés et dispersés sur le plateau surtout pendant les épisodes de tempˆete. Dans le cas du prodelta du Rhône, la resuspension en dehors des périodes de crues est compensée par un apport constant de particules. En revanche, l’accumulation de particules fines est négligeable devant les plus petites rivières en dehors des périodes de crue, et ne peut compenser l’effet 13 2. Le Golfe du Lion de la resuspension [Roussiez et al., 2005]. La deuxième zone de sédiment définie par Monaco et Alo¨ısi [2001], dite vases circalittorales, se situe entre 50 et 70 m de profondeur. Le sédiment y est constitué d’un dépôt de vase. Enfin, sur le plateau externe (troisième zone), le sédiment est hétérogène. Le fond est couvert principalement d’argile et de sables reliques. Sur le talus continental, le sédiment situé dans les tˆetes de canyon est composé de sables reliques et l’axe actif du canyon est couvert d’argiles vaseux [Monaco et al., 1990]. Le taux de sédimentation peut dépasser 20 cman−1 devant l’embouchure du Rhône [Radakovitch et al., 1999]. L’accumulation massive de particules fines pendant les épisodes de crues favorisent le processus de consolidation [Wiberg, 2000] dans la zone située devant l’embouchure et pourrait donc expliquer la faible érosion et les forts taux de sédimentation [Roussiez et al., 2005]. L’épaisseur de sédiment déposé décroˆıt ensuite le long de la côte vers l’Ouest (figure 2.4) [Monaco et Alo¨ısi, 2001]. Le taux de sédimentation peut atteindre 0.2 cm an−1 sur le plateau continental [Radakovitch et al., 1999].
L’hydrodynamique du Golfe du Lion
La circulation générale
En mer Méditerranée, les pertes d’eau par évaporation sont plus faibles que les apports d’eau par précipitations ou par ruissellement. Ces pertes d’eau sont compensées par des entrées d’eau d’origine atlantique au niveau du détroit de Gibraltar [Lacombe et Tchernia, 1960]. L’eau Atlantique, peu salée, pénètre en surface. Les caractéristiques de cette masse d’eau sont modifiées par évaporation et refroidissement (perte de chaleurs sensible et latente). Elle prend alors le nom de Modified Atlantic Water (MAW). Sa trajectoire est illustrée sur la figure 2.5. Après un écoulement le long des côtes espagnoles, elle rejoint la côte africaine à la sortie de la mer d’Alboran et forme le Courant Algérien [Millot, 1989]. Ce courant s’écoule vers l’Est. Des tourbillons anticycloniques se forment et grandissent pour atteindre des diamètres de 100 km. Puis, ces tourbillons s’éloignent de la côte vers le Nord sous l’effet d’instabilités. Le bassin algérien forme alors un réservoir tampon pour les MAW. Au niveau du détroit de Sicile, deux tiers des MAW franchissent le détroit en surface et s’écoulent dans la Méditerranée orientale. Le dernier tiers pénètre dans la mer Tyrrhénienne en longeant les côtes nord siciliennes puis les côtes ouest italiennes [Millot, 1987]. Au Nord, les eaux franchissent le Canal Corse et forment le Courant Est Corse. Des MAW s’écoulent le long des côtes Ouest de Sardaigne et de Corse et forment au Nord le Courant .
L’hydrodynamique du Golfe du Lion Ouest Corse
Les deux courants Corse fusionnent, à part à peu près égales, dans le Golfe de Gˆenes pour former le Courant Nord. Ce courant suit le talus continental de Provence, du Golfe du Lion et de la mer Catalane [Albérola et al., 1995]. Puis, sa branche principale s’écoule vers le Sud à travers le canal d’Ibiza et est déviée vers le Bassin algérien [Millot, 1989]. En Méditerranée orientale, des eaux chaudes et salées, appelées Eaux Levantines Intermédiaires (LIW), se forment par évaporation. Elles pénètrent dans la partie occidentale par le détroit de Sicile en profondeur puis s’écoulent vers le Nord le long des côtes italiennes [Millot, 1987] (figure 2.5). Une première branche s’écoule dans le Golfe de Gˆenes par le Canal Corse et une seconde branche contourne la Sardaigne et la Corse [Millot, 1987 ; Astraldi et Gasparini, 1992]. Ces deux branches se rejoignent dans le Golfe de Gˆenes. Les LIW suivent ensuite le talus continental des côtes fran¸caises, du Golfe du Lion et de la mer Catalane [Millot, 1987]. Après avoir franchi le canal d’Ibiza, une partie des eaux sort de la Méditerranée par le détroit de Gibraltar et une deuxième partie est entraˆınée vers les côtes algériennes. Dans le Bassin occidentale, ces eaux s’écoulent en dessous des MAW. Ses limites en profondeur atteignent 1300 m en Mer Tyrrhénienne et seulement 800 m au Nord de la Corse [Obaton, 1998]. Elle est caractérisée par des maxima de température et de salinité, respectivement de ≈ 14.10 ˚C et ≈ 38.75 dans le détroit de Sicile, puis de ≈ 13.25˚C et ≈ 38.5 dans le détroit de Gibraltar [Millot, 1989]. Enfin, en Méditerranée occidentale, les vents de nord, froids et secs, génèrent la formation de l’Eau Profonde Méditerranéenne (MDW). Leur zone de formation se trouve essentiellement dans le Bassin Nord et en particulier au large du Golfe du Lion [Millot, 1994 ; La Violette, 1994]. Le processus de génération de ces eaux est assez complexe et peut faire intervenir plusieurs mécanismes. L’évaporation et le refroidissement induisent une densification des MAW. Des instabilités baroclines créent alors des méandres et des tourbillons qui font remonter les LIW en surface. Ces eaux très salées vont atteindre des densités élevées pendant les épisodes de vent de nord [Gascard, 1978] puis plonger à de grandes profondeurs avec des vitesses pouvant atteindre 10 cm s −1 . Les MDW suivent ensuite une circulation cyclonique dans la mer occidentale. Une partie de ces eaux s’écoule en profondeur à travers le détroit de Gibraltar.
1 Introduction |