Dynamique du soulèvement côtier Pléistocène des Andes centrales
Les terrasses marines comme marqueurs spatio‐ temporels de la déformation des marges et de sa quantification
L’intérêt d’étudier une succession de terrasses marines est la quantification des soulèvements côtiers sur une période de l’ordre du million d’années, puisque les processus géologiques menant à la morphologie côtière typique des terrasses marines sont actifs depuis au moins 1 Ma (Rosenbloom et Anderson, 1994 ; Anderson et al., 1999). Cette morphologie particulière est un des seuls marqueurs du paléo‐niveau marin qui permet d’étudier la dynamique récente et notamment le soulèvement de l’avant‐arc d’une marge active. En effet, les terrasses marines enregistrent la position d’un paléo‐niveau marin dont l’empreinte a été déplacée par la tectonique. A partir de l’altitude actuelle de la terrasse marine, l’âge du paléo‐niveau marin responsable de la formation de cette terrasse ainsi que son amplitude par rapport au niveau marin actuel, il est possible de mesurer le soulèvement et, si l’on peut dater la terrasse, de calculer la vitesse moyenne de soulèvement de la côte depuis ce paléo haut niveau marin. Les séquences de terrasses marines bien développées préservent donc un enregistrement cumulé des variations eustatiques et de l’histoire tectonique d’une zone côtière. Un des points les plus intéressants de l’étude d’une série de terrasses marines est que l’on peut avoir une résolution spatiale et temporelle fine de la valeur du soulèvement et de sa variabilité. La durée moyenne d’un cycle glaciaire‐interglaciaire étant de l’ordre de 100 ka, l’information temporelle fournie par une seule terrasse marine est donc de l’ordre de 100 ka environ (un cycle eustatique), incluant : 1) l’érosion et la formation de la terrasse lors du haut niveau marin pendant la période interglaciaire, 2) l’abandon de la terrasse lors de la régression marine de la période glaciaire et 3) l’individualisation et la préservation de la terrasse par soulèvement côtier lors du cycle eustatique. Ce soulèvement doit être suffisamment haut pour que la terrasse ne soit pas atteinte par l’érosion associée avec le haut niveau marin du stade interglaciaire suivant. Les terrasses marines sont donc des objets géomorphologiques que l’on peut utiliser comme géochronomètres de la dynamique d’une région côtière donnée sur des périodes de temps de l’ordre du million d’années, avec une résolution temporelle fine de l’ordre de 100 ka. Un autre point intéressant est l’approche spatio‐temporelle de notre travail de recherche. En effet, nous avons étudié plusieurs séquences de terrasses marines sur plusieurs segments côtiers le long de la marge active de la Cordillère des Andes (Cf. Chapitre 4), ceci pour plusieurs raisons : 1) échantillonner différentes réponses de la plaque continentale aux processus de subduction (approche spatiale) et 2) échantillonner différentes évolutions historiques pendant le Pléistocène (approche temporelle), qui ne couvriront pas forcément la même période de temps, sur chacune des cibles choisies. Cette approche spatio‐temporelle va nous permettre de mettre en évidence les facteurs régionaux et locaux qui interviennent dans l’évolution récente de la morphologie côtière, ainsi que d’avoir le timing de l’évolution de l’avant‐arc andin le long de la chaîne. Ces séquences de terrasses marines ont été remarquablement bien préservées, dans ces différentes zones côtières, à la faveur d’un climat aride à hyper‐aride depuis au moins 3 Ma et un taux d’érosion continentale très faible . Ces conditions climatiques et le faible taux d’érosion favorisent la préservation des marqueurs géomorphologiques et en font un outil indispensable dans l’étude de la dynamique côtière au cours du Pléistocène, et parfaitement adapté pour l’application de la méthode de datation par l’isotope cosmogénique produit in‐situ du 10Be.
Zones d’étude
Nous avons sélectionné quatre segments de la côte le long de la marge active des Andes, localisés le long de la côte Sud du Pérou, entre ~15° et 18°S (trois zones d’étude) et dans le Norte Chico (le Centre Nord) du Chili, entre ~30° et 31,2°S (Figure 9). Ces différentes zones d’étude ont été choisies, non seulement, parce qu’elles présentent des séries de terrasses marines très bien développées et préservées, mais parce qu’elles sont localisées au‐dessus de segments de subduction de type différent, donc dans des contextes géodynamiques différents et aussi, parce qu’elles ont déjà fait l’objet de recherches, ce qui permet de bénéficier d’un grand nombre d’observations . La côte Sud du Pérou, entre ~14° et 17°S La première zone d’étude est la zone de San Juan de Marcona (15,33°S), située au‐dessus du passage en subduction de la ride de Nazca, sur son flanc sud, au‐dessus d’un segment de subduction de transition entre une zone de subduction horizontale vers une zone de subduction normale, et dans une zone où on admet que le soulèvement est directement lié a la subduction d’hétérogénéités bathymétriques (Macharé et Ortlieb, 1992 ; Figure 9). Les seconde et troisième zones d’étude sont la zone de Chala‐Tanaka‐Chaviña (~15,5°S‐ 15,83°S) et la péninsule d’Ilo (17,8°S), situées plus loin vers le Sud, au‐dessus d’un segment de subduction normale, et dans un secteur qui serait en dehors de l’influence de la subduction d’hétérogénéités bathymétriques, associées à la ride de Nazca (Figure 9). Figure 9 (page précédente) : Carte de localisation des quatre segments côtiers étudiés le long de la marge Andine (carte générale ; Cf. Figure 2 pour la légende). 1 – La côte Sud du Pérou entre ~15 et 18°S. Elle se divise en deux zones d’étude principales : la zone qui longe la côte de San juan à Chala (A) et la zone d’Ilo (B). 2 – la zone côtière sur le flanc occidental des Altos de Talinay et de la baie de Tongoy, dans le Centre Nord du Chili, entre ~30° et 31,2°S. Le secteur de San Juan de Marcona est caractérisé par deux séries de terrasses marines développées sur les flancs de deux monts : le Cerro El Huevo (492 m) et le Cerro Tres Hermanas (380 m). C’est le nombre important de terrasses marines, 20 niveaux de terrasses au minimum préservés en moins de 500 m d’altitude, qui en est la caractéristique la plus remarquable. De plus, ce sont des terrasses d’abrasion marine qui ont généralement été isolées d’apports continentaux postérieurs à leur formation. En effet, le Cerro El Huevo et le Cerro Tres Hermanas sur les flancs desquels se sont formées les terrasses marines étaient deux ilots entourés de mer et séparés du continent. Les terrasses ne sont recouvertes que d’une fine couche de sable inférieure à 10 cm d’épaisseur, qui vient draper la surface topographique postérieurement à la formation des terrasses. La particularité de la baie de Chala réside dans le type de terrasses marines étudiées et le nombre de niveaux conservés. Nous avons choisi cette zone parce qu’elle présente des terrasses marines de dépôts avec une épaisseur sédimentaire importante. Cette typologie des terrasses et la configuration de la zone (une baie à l’embouchure d’une rivière importante bordée par deux petites péninsules rocheuses) expliquent sans doute le grand nombre de niveaux : plus de 15 niveaux en moins de 250 m d’altitude. Nous avons aussi étudié une terrasse marine de dépôts entre la zone de San Juan de Marcona et la baie de Chala, à l’Ouest du Village de Chaviña, pour illustrer la transition entre ces deux zones (Figure 9). De même, afin de calibrer les niveaux de terrasses marines de dépôts avec un niveau de terrasse d’abrasion marine, nous avons étudié une terrasse d’abrasion au SSE de la ville de Tanaka, au niveau du cap entre la baie de Tanaka et la baie de Chala (Figure 9). Au niveau de ce cap, cinq niveaux de terrasses d’abrasion marine sont conservés directement sur le substratum rocheux et présentent de nombreux écueils rocheux.
Les mécanismes de formation et de préservation des terrasses marines
Les terrasses marines se forment dans différents contextes géodynamiques : sur les marges actives (37 % des cas cités dans la littérature), les arcs insulaires (35%) et sur les îles ou les marges affectées de hot spot (15%) et les marges passives (13%) (Johnson et Libbey, 1997 ; Pedoja, 2003). Notre travail de recherche se situant le long de la marge active des Andes centrales, nous allons donc nous intéresser uniquement à la formation et la préservation des terrasses marines en contexte de marges actives. Le contact entre l’océan et le continent se compose de trois ensembles : 1) L’estran : espace compris entre le niveau des plus hautes et des plus basses mers, 2) une partie du littoral, au‐dessus de la marée haute, directement influencée par l’action des eaux marines : falaises et espaces atteints par les embruns et 3) une partie toujours immergée et modelée par le travail sous‐marin des vagues qui se brisent. De plus, la côte n’est pas fixe, elle correspond à une position momentanée de la ligne de rivage au gré des transgressions et régressions successives qui peuvent avoir laissé les traces d’une position ancienne.
Les agents de l’érosion littorale
Les vagues et la houle
Une vague poussée par le vent est appelée vague forcée. On appelle houle, la succession de vagues initiées par le vent mais se propageant en dehors de la zone où il souffle. La taille et la période des vagues dépendent de la force du vent, de sa durée et de la dimension du plan d’eau sur lequel il souffle. Les vagues résultent d’un mouvement ondulatoire où chaque molécule d’eau est animée d’un mouvement orbitaire et subit un faible courant appelé courant de houle. On a un déplacement des particules dans le sens de déplacement de la houle appelé décrochement. En effet, le mouvement d’avancée est un peu plus ample que celui de retrait (Figure 11). Les mécanismes de formation et de préservation des terrasses marines Figure 11 : Mouvement des particules dans les vagues, modifié d’après Derruau, 1974. Chaque particule effectue un mouvement orbitaire quasi‐circulaire dont le diamètre décroît rapidement avec la profondeur, en relation avec la longueur d’onde de la vague (Figure 14) (Bloom, 1998). A l’approche de la côte, quand la profondeur d’eau diminue, les vagues subissent des modifications. Dès que la profondeur est inférieure à la demi‐distance entre deux vagues, elles interagissent avec le fond. Elles se réfractent pour devenir presque parallèles aux isobathes et atteindre la côte perpendiculairement. Ainsi, à l’avant des caps, les vagues sont freinées, se réfractent et convergent vers celui‐ci. En revanche, à l’entrée des baies, les vagues sont moins vigoureusement freinées et divergent (Figure 12). Les mécanismes de formation et de préservation des terrasses marines Figure 12 : Réfraction des vagues sur un fond marin irrégulier, d’après Bloom, 1998, modifié. L’énergie des vagues se concentre sur les caps ce qui entraîne leur érosion alors que dans les baies, elle se dissipe sur une plus grande surface ce qui favorise l’accumulation des sédiments. L’énergie concentrée au niveau des caps est largement supérieure à celle arrivant au niveau des baies, ceci explique pourquoi les caps sont soumis à l’érosion et pourquoi on a dépôt de sédiments dans les baies. Les caps présentent des écueils rocheux qui résultent de Les mécanismes de formation et de préservation des terrasses marines l’abrasion marine du substratum rocheux par les vagues, alors que dans les baies l’énergie des vagues est plus faible et favorise les dépôts de sédiments (Figure 12 ; Figure 13). Ainsi, l’érosion tend à régulariser le tracé des côtes. Figure 13 : Exemple concret de l’impact de l’énergie des vagues, qui arrive au niveau du continent, sur la morphologie côtière. (A) Image satellite extraite de Google Earth de la zone entre Tanaka et Chala, Sud Pérou (15,72°S – 15,85°S). Les traits en tirets séparent les zones de caps et de baies c’est‐à‐dire celles où il y a abrasion de celles où il y a sédimentation. (B) Photographie de terrain au niveau du village de Tanaka qui illustre la présence d’écueils au niveau des caps et de dépôts sédimentaires dans les baies. De même, les vagues subissent des transformations de formes : la base des vagues est davantage freinée que le sommet jusqu’à atteindre un décrochement trop fort du cercle de houle (la distance entre deux vagues diminue et la hauteur des vagues augmente) et les vagues déferlent (Figure 14). Les mécanismes de formation et de préservation des terrasses marines Figure 14 : Passage progressif entre les vagues à longueur d’onde constante (vagues d’oscillation) et les vagues déferlantes (vagues de transition). Quand la profondeur d’eau est inférieure à la demi‐ distance entre deux vagues, les vagues sont freinées à leur base et déferlent. L’action érosive des vagues sur le continent y est active et forme une surface d’abrasion (platier ou plateforme d’abrasion d’une terrasse marine). De même, en déferlant, les vagues érodent la falaise côtière et forme le futur escarpement d’une terrasse marine. Les vagues, en déferlant, sapent et érodent le pied de la falaise côtière et favorisent l’effondrement de la falaise côtière par blocs. De plus, ces vagues déferlantes exercent une action importante de pression, par apport d’eau et d’éléments solides sur le rivage, et de succion lors de leur retrait. Des vagues d’oscillation, on passe à des vagues de transition (Figure 14). Enfin, l’action des vagues sur le fond avant le déferlement est mal connue mais on admet qu’elle est nulle au‐dessous d’une profondeur équivalente à 5 fois la hauteur de la vague. En général, elle n’excède pas la dizaine de mètres de profondeur. Quand la bathymétrie est inférieure à la profondeur d’action des vagues, les vagues érodent la côte jusqu’à former une plateforme ou platier au pied de la falaise côtière (Cf. 2.3). Les mécanismes de formation et de préservation des terrasses marines
Dynamique de la houle au‐dessus du platier et érosion
Cette dynamique de la houle est décrite suivant deux équations et peut ainsi se déterminer quantitativement. D’après Sunamura (1992) et Trenhaile (2000), l’énergie de la houle se dissipe en partie au cours de son parcours en eau peu profonde (Es ; Equation 1) et la partie restante est disponible pour percuter la falaise (Ey ; Equation 2). Le rôle de ces énergies est très important car ce sont elles qui favorisent l’érosion mécanique du platier et de la falaise côtière par sapement. Elles érodent le substratum et transportent les blocs, les grains et les particules le long du platier. Elles amenuisent tous les débris en sédiments fins, dissous, qui deviennent hors d’atteinte du mouvement des vagues et ne participent plus à l’érosion du platier.
1. Introduction |