Dynamique des populations de coraux scléractiniaires en milieu insulaire fragmenté (Polynésie française)
Les récifs de Polynésie française
Situation géographique
La Polynésie française représente un vaste territoire marin de 2 500 000 km2 de superficie, au cœur de l’Océan Pacifique. Ce territoire comprend 4 200 km2 de terre émergée répartie en 119 îles sur 5 archipels : Société, Tuamotu, Marquises, Gambier et Australes. Cette forte fragmentation géographique, combinée à la faible démographie d’environ 250 000 habitants inégalement répartis sur les îles, et les grandes distances d’océan ouvert qui séparent ces territoires du reste du monde (Figure 9) font des îles de la Polynésie française des environnements uniques pour l’étude du fonctionnement des écosystèmes naturels.
Historique des investigations et continuité des recherches
Depuis près de 40 ans, l’implantation d’une station de recherche de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE) permet un suivi continu des récifs coralliens de Moorea dans l’archipel de la Société. Cette station initialement établie en partenariat avec le Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) en 1971, a évolué en Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement (CRIOBE) en 1981 et est associée au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) depuis 2006. Depuis 2008, le CRIOBE bénéficie également d’un label du Service d’Observation de l’Institut National des Sciences de l’Univers (INSU) pour son action de surveillance de l’environnement à grande échelle à travers le Pacifique. Aujourd’hui l’USR 3278 CNRS-EPHE CRIOBE est reconnue sur un plan international pour son travail passé et présent en écologie récifale. Cet historique de recherche sur les récifs de Moorea a fortement contribué à faire de cette île un laboratoire grandeur-nature et un modèle unique pour l’étude des récifs coralliens. Depuis l’implantation de l’EPHE à Moorea, la connaissance en écologie récifale et particulièrement l’étude des communautés coralliennes n’a cessé d’évoluer. Dans un premier temps, les travaux ont principalement porté sur l’inventaire des organismes et l’exploration de ces milieux fascinants et encore méconnus que représentaient les récifs coralliens dans les 39 années 1970. Dans les années 1990, des travaux sur la caractérisation des habitats et la structuration des communautés benthiques, ainsi que sur les paysages récifaux ont permis une meilleure compréhension des principaux facteurs qui influencent la distribution des espèces autour de l’île de Moorea (Adjeroud 1996 ; Chancerelle 1996). Depuis les années 2000, ces études ont été complétées par un suivi à long terme du recrutement corallien sur l’île de Moorea (Adjeroud et al. 2007a), et par un réseau de suivi de la dynamique des communautés récifales à l’échelle du Pacifique Sud (Adjeroud et al. 2005, 2009). En 2007, un programme de recherche doctoral a porté sur le rôle du recrutement dans la structuration et le maintien des populations de coraux en Polynésie française (Penin 2007 ; Penin et al. 2007a, 2010). C’est dans la continuité logique de ces décennies d’investigation que la présente étude porte sur la dynamique des populations de coraux sur les récifs de la Polynésie française.
Choix des sites d’étude
Afin de considérer le fonctionnement écologique des récifs du vaste système insulaire et fragmenté que représente la Polynésie française, une approche hiérarchique multi-échelle a été utilisée pour appréhender la dynamique des populations de coraux à différentes échelles spatiales au sein de l’archipel de la Société (Hughes et al. 1999 ; Karlson et al. 2004 ; Adjeroud et al. 2005). Les échelles locale, insulaire et régionale ont ainsi été considérées par l’échantillonnage de 15 stations distribuées selon 3 profondeurs (6, 12 et 18 m) sur 3 sites autour de l’île de Moorea (parmi les Iles du Vent), et 3 profondeurs sur 2 sites autours de l’île de Raiatea (parmi les Iles sous le Vent) située à environ 180 km au Nord-Ouest de Moorea (Figure 9). Les stations étudiées se situent en pente externe océanique où la couverture et la diversité du peuplement corallien sont maximales (Adjeroud 1997) et présentent diverses caractéristiques selon différents gradients environnementaux, ainsi que des chronologies de perturbations contrastées (Adjeroud et al. 2005, 2007b ; Penin et al. 2007b). Par ailleurs, l’ensemble de ces stations font l’objet de suivis au sein de différents programmes de recherches, ce qui permet d’incorporer la présente étude dans une continuité d’investigations menées au sein de l’USR 3278 CNRS-EPHE CRIOBE pour appréhender le fonctionnement des récifs coralliens de cette région. 40 Figure 9. Localisation géographique des sites d’étude. Quinze stations distribuées en 3 profondeurs (6, 12 et 18 m), sur 3 ou 2 sites, autours de 2 îles (Moorea en haut à droite, et Raiatea en bas à droite) ont été considérées. © Images satellites Google Earth
Historique des perturbations
De par leurs vastes superficies et répartitions géographiques, les territoires de la Polynésie française sont exposés à une multitude de perturbations naturelles. Le Tableau 1 résume les principales perturbations naturelles qui ont été documentées sur les 30 dernières années. Sur cette période, l’île de Moorea a connu 7 phénomènes de blanchissement corallien, 2 cyclones et 2 épisodes de prolifération du prédateur corallivore Acanthaster planci. A l’image de Moorea, de nombreuses îles de la Polynésie française sont frappées régulièrement par des perturbations diverses au cours du temps. Un des objectifs de la présente étude est de quantifier l’impact de ces perturbations successives et variées sur la dynamique des populations de coraux, et au-delà sur la dynamique des communautés récifales.
Objectifs du programme de recherche doctoral
Ce programme de recherche porte sur la dynamique des populations de coraux scléractiniaires des récifs de Polynésie française. Il a pour but d’explorer le rôle des processus de recrutement, de croissance et de mortalité dans la structuration, la dynamique et le maintien de ces populations. Il s’agit également d’examiner la contribution relative de certains facteurs intrinsèques (traits d’histoire de vie des espèces) et extrinsèques (prédation et compétition), ainsi que des perturbations de grande ampleur (cyclone et explosion démographique d’Acanthaster planci) dans la variabilité spatio-temporelle de la dynamique de ces populations. Enfin, cette étude se propose de simuler, par une approche de modélisation mathématique à partir des données acquises dans ce travail, différents scénarios d’évolution des communautés coralliennes à l’échelle décennale, et ce afin de mieux appréhender les capacités de résistance et de résilience de ces récifs. Ce travail s’est basé sur des suivis saisonniers et interannuels des taux de recrutement, de croissance, et de mortalité des colonies au sein des populations, et a concerné les trois principaux genres de coraux des assemblages de pentes externes de ces récifs (Acropora, Pocillopora et Porites). Les échelles spatiales abordées sont régionale (entre les îles de Moorea et Raiatea dans l’archipel de la Société), insulaire (différents sites par île) et locale (différentes profondeurs par site). Les résultats issus de ce travail sont présentés et analysés selon les trois sections suivantes : Dynamique des communautés récifales face aux perturbations (Chapitre II) Ce premier volet décrit le déroulement des perturbations naturelles qui ont affecté les récifs étudiés au cours du suivi de la dynamique des populations de coraux, et leurs implications pour la dynamique des communautés récifales. Dynamique des populations de coraux (Chapitre III) Ce second volet porte sur l’investigation de la variabilité spatio-temporelle de la dynamique des populations de coraux en relation avec les conditions environnementales, et l’identification des traits d’histoire de vie des principaux taxa. Trajectoire des populations et résilience corallienne (Chapitre IV) Ce dernier volet porte sur la simulation des trajectoires des assemblages coralliens selon différents scenarios de perturbations et sur l’évaluation de leur capacité de résilience.
Dynamique des communautés récifales face aux perturbations
Contexte scientifique et objectifs
La dynamique des populations est gouvernée par une combinaison de facteurs intrinsèques propres aux espèces considérées, et de facteurs extrinsèques relatifs à l’environnement dans lequel elles se trouvent. Tandis que les facteurs intrinsèques orientent la dynamique des populations dans une fenêtre de variation délimitée par des limites physiologiques ou métaboliques des espèces (e.g., une vitesse de croissance ou un taux de fécondité), les facteurs environnementaux exercent, selon leur nature et leur intensité, un forçage plus ou moins important sur la trajectoire des populations (e.g., une perturbation peut entraîner une mortalité importante au sein d’une population). Les récifs coralliens de la Polynésie française montrent des historiques riches et variés en termes de perturbations naturelles (Tableau 1). Ces perturbations influencent grandement la structure, la dynamique et le fonctionnement des communautés coralliennes (Figure 11), et se répercutent souvent sur de nombreux organismes situés le long de la chaîne trophique via des voies d’interactions directes et indirectes (Berumen & Pratchett 2006 ; Graham et al. 2008). Dans un système complexe tel celui des récifs coralliens, l’effondrement d’une communauté ou d’un groupe trophique peut engendrer un bouleversement dans l’ensemble de l’écosystème via des voies de régulation bottom-up (régulation proie-prédateur ; Ellison et al. 2005 ; Halford & Caley 2009), top-down (régulation prédateur-proie ; Estes et al. 1998 ; Myers et al. 2007 ; Heithaus et al. 2008 ; Prugh et al. 2009), ou encore wasp-waist (régulation proie-prédateur et prédateur-proie à la fois, par des organismes situés en milieu de chaînes trophiques ; Cury & Shannon 2004 ; Bakun 2006), surtout lorsqu’un groupe ayant une fonction écologique clef est affecté.
Résumé |