Dynamique des petits poissons pélagiques (Sardinella aurita et Ethmalosa fimbriata)
Biologie, écologie et exploitation de Ethmalosa fimbriata au Sénégal
Biologie
D’un point de vue morphologique, les sexes sont séparés chez l’ethmalose ou alose Bonga E. fimbriata (Figure 8) et il n’existe pas de caractère extérieur apparent de dimorphisme sexuel (Albaret 1999). Les relations taille-poids selon les sexes n’ont pas mis en évidence de différence significative (Gerlotto 1979). La sex-ratio, exprimée en proportion de mâles par rapport aux femelles, est en général égal à 50 % (Charles-Dominique et Albaret 2003). Certaines études révèlent cependant, des proportions de mâles nettement inférieures à celles des femelles, en particulier dans le fleuve Gambie (Figure 1), dans la lagune Ebrié en Côte d’ivoire et au Nigeria (Charles-Dominique 1982; Panfili et al. 2004). Le poids des gonades atteint chez les femelles des 17 valeurs maximales de 4 à 6 % du poids total du corps en période de reproduction (CharlesDominique et Albaret 2003). Il est inférieur chez les mâles. Figure 8: Photographie de Ethmalosa fimbriata (Bowdich, 1825), nom vernaculaire Cobo en wolof, de la famille des clupéidés, largement consommée au Sud du Sénégal (Petite côte et Casamance) (Crédit photographique B. S. Baldé 2018). La première maturité sexuelle et la reproduction se produisent toujours pendant l’écophase intermédiaire dans des environnements où la variabilité est plus élevée. Il existe, vraisemblablement, une croissance différentielle suivant les sexes chez E. fimbriata. Les tailles moyennes à l’intérieur d’échantillons homogènes sont en règle générale inférieures de 0,5 à 1 cm chez les mâles par rapport aux femelles (Charles-Dominique et Albaret 2003). Selon Wague et Mbodj (2002) pour une même espèce habitant des milieux différents, la croissance et la taille de première maturité sexuelle peuvent être très différentes. La taille à la première maturité sexuelle est très variable pour l’espèce, allant de 8,3 à 18,5 cm selon les zones. En effet, E. fimbriata réagit à la pollution (Albaret et Charles-Dominique 1982; Charles-Dominique et Albaret 2003; Guyonnet et al. 2003) et à la surpêche (Laë 1997) avec une réduction de sa taille de première maturité sexuelle. La localisation de l’aire de ponte et la durée de la reproduction d’E. fimbriata sont souvent délicates à préciser comme c’est souvent le cas chez les clupéidés et la plupart des auteurs n’excluent pas une reproduction plus ou moins continue (Panfili et al. 2004, 2006). Ethmalosa fimbriata se reproduit essentiellement en lagune et en estuaire, mais une reproduction en mer serait possible chez cette espèce (Charles-Dominique 1982). Au niveau du Sine Saloum (Figure 1), l’activité sexuelle s’étale généralement de janvier à septembre avec des pics de ponte de mars à août, avec deux poussées en mai et en juin, dans des eaux de salinité 3,5-35 ‰ et de 18 température 22-31 °C (Panfili et al. 2004; Döring et al. 2017). Les larves sont plus abondantes dans les eaux du fleuve dont la salinité oscille entre 5 et 10 ‰. La plage de tolérance à la salinité est plus large pour la maturation que pour la ponte et le développement larvaire. Les deux derniers se produisent dans une fenêtre environnementale plus étroite, à l’exclusion de l’eau douce et des salinités très élevées. En résumé, E. fimbriata se reproduit dans des eaux de salinité très variable, comprise entre 3,5 et 38 ‰. La température ne semble jouer un rôle limitant, qu’en deçà d’une valeur de 22 °C (Charles-Dominique et Albaret 2003). Une telle euryhalinité (et dans une moindre mesure eurythermie) de la reproduction fait figure d’exception chez les poissons, pour lesquels les conditions hydrologiques sont, en règle générale, très strictes au moment de la reproduction, même pour les espèces euryhalines ou eurythermes. Une telle adaptation aux conditions extrêmes du milieu est peut-être un facteur de résilience important pour E. fimbriata. La taille maximale de l’espèce a été enregistrée par Postel (1950) dans l’estuaire du Sine-Saloum (longueur totale = 47 cm, FL = 38,5 cm, poids = 1,150 kg).
Distribution géographique
L’alose Bonga, E. fimbriata , est une espèce tropicale dépendante de l’estuaire, distribuée de la Mauritanie à l’Angola (Charles-Dominique 1982) et est le clupéidé le plus répandu dans les eaux saumâtres des estuaires côtiers ouest-africains (Charles-Dominique 1982). Ethmalosa fimbriata est une espèce euryhaline qui fréquente les zones littorales, en général proches de l’embouchure des grands fleuves, pouvant passer une partie ou toute sa vie dans les eaux mixohalines intérieures (fleuves, estuaires, deltas, lagunes). Elle pénètre saisonnièrement loin à l’intérieur des terres, remontant notamment les fleuves Sénégal et Gambie jusqu’à à 140 km et 380 km de leurs embouchures respectivement (Scheffers et al. 1971). Les adultes peuvent, passer une période plus ou moins longue de leur vie en zone mixohaline (Charles-Dominique 1982). Le régime alimentaire d’E. fimbriata passe de l’alimentation zooplanctonique chez les jeunes poissons à un régime plus microphage (avec plus de phytoplancton) chez les adultes (Fagade et Olaniyan 1972). Ce changement de régime alimentaire entre les juvéniles et les adultes est dû au fait que, la filtration des branchies se modifie à mesure qu’E. fimbriata grandit. Ce qui entraine une diminution de la taille du maillage du filtre branchial et ainsi une modification du régime alimentaire (Fagade et Olaniyan 1972). Ces résultats ont été confirmés par les travaux effectués dans l’estuaire du Sine Saloum (Diouf 1996), dans les lagunes Lagos au Nigéria (Fagade et Olaniyan 1972) et Ebrié en Côte d’Ivoire (Nieland 1980). Cependant, Fagade et Olaniyan (1972) au Nigéria et Gningue et al. (2008) au Sine Saloum (Sénégal) ont également signalé la présence d’ostracodes, de larves de bivalves et de gastéropodes dans les contenus stomacaux d’E. fimbriata. 19 Figure 9: Localisation de Ethmalosa fimbriata à travers le monde. Les couleurs de l’aire de répartition indiquent le degré d’adaptation de l’habitat qui peut être interprété comme des probabilités d’occurrence. (https://www.aquamaps.org/receive.php?type_of_map=regular, consulté le 31/05/2018). La forte euryhalinité d’E. fimbriata pourrait être liée à la modulation des caractères adaptatifs aux conditions de salinité, variables selon la phase de la vie considérée : les juvéniles sont plus fréquents dans les eaux oligohaline (Charles-Dominique 1982) et les adultes fréquentent ou supportent les zones plus salines. Ethmalosa fimbriata peut, en fait, vivre dans une gamme étendue et variable de salinité entre 5 et 90 ‰ (Charles-Dominique 1982; Abowei 2009). Bainbridge (1963) a observé que la répartition des espèces de cette espèce montre deux principales zones de concentration, l’une entre l’embouchure du fleuve Sénégal et la côte de la Sierra Leone, l’autre le long des côtes du Nigeria et du Cameroun jusqu’à l’embouchure du fleuve Congo (Figure 9). Ethmalosa fimbriata est limitée aux eaux peu profondes (profondeur < 20 m). Bien qu’ils vivent la plupart de leur vie dans les estuaires, les spécimens se reproduisent en pleine mer près de la côte. Durand et al. (2013) ont identifié une différence génétique entre les stocks d’E. fimbriata habitant les côtes de Guinée, de Mauritanie et du Sénégal. Cette différence serait due à une restriction du flux génétique des eaux profondes des fosses Cap Timiris (au large de la Mauritanie), et de Kayar (au large du Sénégal) ainsi que de la région des Bijagos (entre la Guinée et la Casamance) (Corten et al. 2017) qui empêchent la dispersion des poissons entre les zones (Gourène et al. 1993). Au Sud du Sénégal, les résultats récents de Döring et al. (2018) montrent des composantes distinctes du stock de géniteurs d’E. fimbriata. En effet, il existe une distinction nette entre les éléments reproducteurs sur la côte, l’embouchure du Saloum et l’intérieur du cours moyen du fleuve. Cette différence est probablement due aux caractéristiques hydrologiques distinctes de l’estuaire, qui sont nettement différentes des conditions néritiques
Exploitation halieutique
Ethmalosa fimbriata est principalement exploitée par la pêche artisanale en Gambie, au Sénégal et plus récemment en Mauritanie (pour les farines de poisson) (Corten et al. 2017). Selon la dernière évaluation du stock d’E. fimbriata réalisée par Food Agriculture and Organization (FAO) (FAO 2016) sur la période 2008-2014, l’espèce, considérée comme un seul stock de pêche, est considérée surexploitée dans le nord-ouest africain (Gambie, Mauritanie et Sénégal). C’est la troisième espèce de poisson marin la plus exploitée au Sénégal, après S. aurita et S. maderensis (Figure 10), comprenant 19 500 tonnes de débarquements en 2015 (Thiao et al. 2016). En 1950, les captures d’E. fimbriata au Sénégal réalisées pour la plupart par des engins de pêche dits «éperviers», étaient estimées à 2 500 tonnes (Postel 1950). Selon Bousso (1994), cet engin de pêche est utilisé par une seule personne qui patauge dans des eaux peu profondes (c’est-à-dire sans bateau). Cependant, depuis 1950, une flotte artisanale s’est développée au Sénégal qui a rapidement développé sa capacité de pêche et sa technologie (Diankha et al. 2017). De 2004 à 2013 (Figure 11), les pêcheurs artisans du sud du Sénégal utilisaient principalement des sennes (45 % des débarquements) et des filets maillants encerclant (52 % des débarquements). La senne tournante est un engin de pêche non sélectif qui capture les petits poissons, tandis que le filet maillant encerclant prend principalement E. fimbriata (Bousso 1994). Figure 10: Total des captures (en tonnes) de Ethmalosa fimbriata (en noir) et nombre de sorties de pêche (ligne avec cercle) entre 1981 et 2011 (Source CRODT adaptée par Baldé et al. 2018). 21 Figure 11: Débarquement annuel de Ethmalosa fimbriata le long de la côte sud du Sénégal (2004 à 2013). Senneurs (gris), filets maillants encerclant (beige), autres engins (ligne noire), y compris filets maillants de surface, ligne palangre glacière, filets maillants de fond, ligne simple non motorisé, filets maillants dérivants, sennes de plage et trémails (Source CRODT adaptée par Baldé et al. 2018). Pour le secteur de l’économie côtière, la pêcherie d’E. fimbriata génère 24 200 emplois directs et indirects (8 100 pêcheurs, 6 631 transformateurs et 9 500 vendeurs de poissons) au Sénégal (Kébé et al. 2015). Au Sénégal, E. fimbriata contribue grandement à l’alimentation des sénégalais, qui consomment entre 7 et 25 kg de poisson par habitant. En effet, la population locale consomme 90 % des débarquements, d’une valeur de 11 milliards CFA (http://www.spcsrp.org/fr, consulté le : 16/11/2017). Malgré l’importance de la contribution de l’espèce à la sécurité alimentaire du Sénégal, l’ampleur et la dynamique de son exploitation sont encore largement inconnues
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