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Méthodes d’estimations de la production primaire aquatique
Nos connaissances actuelles sur la production primaire aquatique sont principalement basées sur des algorithmes qui reposent sur des mesures de la concentration en chlorophylle a (chl a) à partir d’images satellites, dont l’emprise offre une vision de sa répartition spatiale (Gaxiola-Castro et al. 1999; Platt et al. 2008; Tan and Shi 2009). Bien que ces méthodes puissent être validées au niveau des zones stables et homogènes, elles ne permettent pas de mesurer la production primaire au niveau des zones dynamiques telles que les côtes, les rivières ou les estuaires. En effet, la présence de matières en suspension (dissoutes et particulaires), qu’elles soient organiques ou inorganiques, entrainent des erreurs dans l’interprétation de la couleur de l’eau. De plus, le fort degré d’hétérogénéité spatiale et temporelle des compartiments de producteurs primaires dans ces zones peut engendrer des erreurs d’estimation en fonction des échelles considérées (Shaffer and Onuf 1985; Underwood and Kromkamp 1999). En effet, les images satellites représentent une image figée du compartiment des producteurs primaires alors que celle-ci est la résultante de nombreux processus qui influencent la variabilité spatiale et temporelle de la biomasse et du taux de croissance des organismes photosynthétiques à une échelle très fine (Cloern et al. 2014; Fig. 3).
Figure 3. La productivité primaire est le produit de la biomasse des cellules photosynthétiques (régulée notamment par son import et son export, sa mortalité par broutage ou sénescence, sa sédimentation en profondeur ou la disponibilité des nutriments) par le taux de croissance de ces cellules (régulé par la lumière, la température et les concentrations en sels nutritifs de l’environnement). D’après Cloern et al. (2014).
Les mesures satellites n’étant pas adaptées aux observations côtières (Moreno-Madrinan and Fischer 2013), les mesures de production primaire dans ces environnements sont basées sur des mesures directes. Deux méthodes traditionnelles de mesure directe ont été développées pour estimer la production primaire. La plus utilisée est la méthode d’incorporation d’un isotope radioactif du carbone, le 14C, introduite par Steeman-Nielson (1952) et modifiée par Babin et al. (1994). Pour pallier aux contraintes de radioprotection, un isotope stable du carbone, le 13C peut également être utilisé. Cette méthode, décrite dans le chapitre 2, permet de mesurer directement l’incorporation de carbone inorganique dans la matière organique. Cependant, cette méthode nécessite des temps d’incubation relativement longs pouvant atteindre plusieurs heures. Une autre approche est basée sur le suivi de l’évolution de l’oxygène produit lors du processus de la photosynthèse. Cependant, cette méthode nécessite également des temps d’incubation longs et sa sensibilité s’est avérée faible. Elle est plus adaptée à des mesures en laboratoire (Falkowski and Raven 2007b). Les longs temps d’incubation de ces deux méthodes engendrent des données à faible fréquence d’acquisition et donc spatialement et temporellement espacées, ne permettant pas d’appréhender les variations à court-terme des processus photosynthétiques. De plus, ces méthodes semblent soumises à l’« effet bouteille ». Ce phénomène fait allusion à l’évolution du milieu dans un environnement confiné tel que les bouteilles d’incubation. En effet, pendant les heures d’incubation, des limitations peuvent se créer et les populations bactériennes évoluent. Cela engendre un changement de la composition de la population, une augmentation de la consommation par les bactéries et donc une dérive des paramètres étudiés (Pernthaler and Amann 2005; Hammes et al. 2010).
A partir des années 1970-80, de nouvelles méthodes de mesure des processus photosynthétiques ont été développées à partir de la fluorescence chlorophyllienne des cellules photosynthétiques (Samuelsson and Oquist 1977; Cullen and Renger 1979; Vincent et al. 1984; Falkowski et al. 1986; Schreiber et al. 1986). Pour comprendre le principe de la fluorescence, il est nécessaire d’approfondir le processus de la photosynthèse évoqué plus tôt. Lorsque les pigments chlorophylliens des centres réactionnels (RC) des photosystèmes sont excités par les photons, ils émettent des électrons pour revenir à leur état fondamental. En dehors de l’émission d’électrons, il existe deux autres voies de désexcitation, une partie de l’énergie absorbée est alors réémise sous forme de chaleur et de fluorescence (Fig. 4). L’émission et la variation de la fluorescence proviennent essentiellement du PSII (Krause and Weis 1991). L’ensemble des voies de désexcitation étant dépendantes, toute variation de la fluorescence traduit une variation du transport des électrons. Lorsque les pigments sont à l’obscurité, on admet que les RC du PSII sont ouverts. Lorsque la molécule de chl a « P680 », situé au centre du RC du PSII, est excitée par un photon, elle transmet un électron à un premier accepteur, la quinone A (QA), qui est réduite et le RC est alors fermé, il n’accepte plus d’électron. L’électron est ensuite transmis au second accepteur, une quinone B (QB), qui va ensuite rejoindre un pool de plastoquinones qui seront utilisées pour la synthèse d’ATP. Lorsque QB est réduite, QA est oxydée, le centre réactionnel est à nouveau ouvert. La fermeture des centres va entraîner l’augmentation de la fluorescence, une fluorescence minimale (F0) est ainsi mesurée lorsque tous les centres sont ouverts et une fluorescence maximale (FM) lorsque tous les centres sont fermés (Kolber and Falkowski 1993). Figure 4. Modèle résumant les transferts d’énergie au niveau du PSII. La lumière incidente (E) est absorbée par les antennes collectrices (LHC) d’une chlorophylle avec une section d’absorption (σPSII) et va migrer par résonnance en excitant les molécules de cette chlorophylle (Chl*) jusqu’à un centre réactionnel (RC). Si le centre réactionnel est ouvert (A), P680 va être oxydée (P680+) et le premier accepteur d’électron (QA) sera réduit (QA-). Sous ces conditions, la fluorescence est minimale (F0). Si au moment où le photon est absorbé, QA est réduit [i.e. le RC est fermé (B)], l’énergie absorbée peut être renvoyée sous forme de fluorescence, augmentant la fluorescence jusqu’à un niveau maximal (FM). La valeur de fluorescence F observée à un niveau d’irradiance E est une moyenne de F0 et FM pondérée par la fraction de RC ouverts et fermés et correspond au quenching photochimique (qP). D’après Kolber & Falkowski (1993).
Deux méthodes sont couramment utilisées pour mesurer la fluorescence variable du PSII. La différence entre ces deux méthodes porte sur la fréquence et l’intensité des flashs utilisés pour fermer les RC du PSII (Kromkamp and Forster 2003) :
– La méthode ST pour « Single Turnover », principalement utilisée dans les fluorimètres de type « FRRF » (ex : Fast Repetition Rate Fluorometers Act2; Chelsea Instruments Ltd., West Molesey, England), réduit progressivement le pool de QA de F0 jusqu’à un niveau FM, à l’aide d’une succession de flashs courts d’une durée de quelques microsecondes (≈ 2 µs) et d’intensité modérée.
– La méthode MT pour « Multi-Turnover », principalement utilisée dans les fluorimètres de type « PAM » (pour Pulse Amplitued Modulated ; Walz GmbH, Effeltrich, Germany), utilise un flash plus long (≈ 600 ms) et plus puissant qui réduit les accepteurs primaires, QA, mais également les accepteurs secondaires, QB, et le pool de plastoquinones menant à un FM plus important.
Ces deux méthodes permettent d’estimer le rendement quantique maximal du PSII (FV/FM) qui traduit, en partie l’état physiologique des organismes (Parkhill et al. 2001). Ce rendement diminue avec l’augmentation des intensités lumineuses en raison de l’équilibre qui s’instaure entre l’énergie allouée pour la photosynthèse (i.e. quenching photochimique (qP)), et celle allouée pour la dissipation de l’excès d’énergie (i.e. quenching non-photochimique (qN ou NPQ)). Combinées avec des mesures de la « section d’absorption optique du PSII », le a* (Dubinsky 1992) ou de la « section d’absorption fonctionnelle du PSII », le σPSII, (Kolber et al. 1998), ces deux méthodes permettent de calculer un taux de transport d’électrons (ETR ; Electron Transport Rate) dont les détails de calculs sont donnés dans le chapitre 2. Le développement constant de nouvelles générations de fluorimètres permet de combiner ces deux méthodes de fluorescence et d’affiner les mesures d’ETR. Cependant, bien que ces méthodes aient l’avantage d’être flexibles, sensibles, non-invasives et permettent d’estimer les paramètres photosynthétiques à haute fréquence, elles ne permettent pas de mesurer directement le carbone fixé (Kolber and Falkowski 1993; Barranguet and Kromkamp 2000).
Le couplage des méthodes de mesure des paramètres photosynthétiques à partir de la fluorescence avec les méthodes d’incorporation du carbone s’est avéré être une alternative intéressante pour estimer la production primaire à haute fréquence spatiale et temporelle. En effet, ce couplage permet de connaitre le nombre d’électrons nécessaires à la fixation d’une mole de carbone, φe,C, et permet ainsi de transformer des données de fluorescence en terme de carbone à haute fréquence spatiale et/ou temporelle (Barranguet and Kromkamp 2000; Marchetti et al. 2006; Hancke et al. 2008b; Napoléon and Claquin 2012). Cependant, le φe,C est spatialement et temporellement inconstant en raison des multiples facteurs physicochimiques et écologiques qui vont influer la fixation de carbone et le flux d’électrons des microalgues (Barranguet and Kromkamp 2000; Morris and Kromkamp 2003; Behrenfeld et al. 2004; Napoléon et al. 2013b; Lawrenz et al. 2013)
Facteurs de régulation de la production primaire
En réponse aux changements physicochimiques de l’environnement (nutriments, température, lumière), les producteurs primaires vont subir des modifications physiologiques, morphologiques et moléculaires qui vont affecter la photosynthèse et par conséquent la biomasse et la production. Ces variations de la production primaire engendrées par des critères physicochimiques peuvent se répercuter sur l’ensemble des compartiments du réseau trophique, ce sont des cascades dites « bottom-up ».
La lumière est le facteur le plus déterminant pour les producteurs primaires. L’échelle temporelle de variation de l’irradiance s’étend de la microseconde due aux mouvements des vagues à l’interface air-eau, jusqu’aux variations des cycles climatiques en passant par les variations saisonnières et interannuelles de l’intensité lumineuse. Cependant, le niveau de variation le plus important à une profondeur donnée reste le rythme circadien (Falkowski 1984) qui influence fortement les processus photosynthétiques. En effet, quand les conditions sont optimales en termes de température et de nutriments, la production primaire et les capacités photosynthétiques sont directement liées à l’intensité lumineuse incidente et à la photopériode (Cole and Cloern 1987; Behrenfeld et al. 2004). Ainsi, les variations journalières de la production sont généralement expliquées par les variations de l’intensité lumineuse en lien avec le rythme circadien (Prézelin 1992). A côté du rythme circadien, l’hydrodynamisme qui définit la profondeur critique (modèle de Sverdrup (1952)) et la turbidité qui influence les propriétés optiques de la colonne d’eau (Smith and Mobley 2008) sont les forçages clés qui vont contrôler les paramètres photosynthétiques (Anning et al. 2000; Behrenfeld et al. 2002; Mangoni et al. 2009) par la mise en œuvre des processus de photoacclimatation (Macintyre et al. 2002; Behrenfeld et al. 2004; Van De Poll et al. 2009).
La photoacclimatation est un processus qui permet aux organismes autotrophes de modifier leur appareil photosynthétique et donc leur photosynthèse pour s’acclimater aux variations lumineuses (Dubinsky and Stambler 2009). Le mécanisme de régulation le plus visible correspond à une modification de la concentration pigmentaire (Falkowski 1984; Dubinsky et al. 1986; Falkowski and Raven 2007a). Ainsi, lors de l’acclimatation aux fortes intensités lumineuses, la concentration en chl a par cellule diminue alors que lors de l’acclimatation aux faibles intensités, la concentration en chl a par cellule atteint son maximum. Macintyre et al. (2002) ont pu observer un contenu en chl a 12 fois plus important chez la chlorophycée Dunaliella sp., en passant des fortes aux faibles intensités lumineuses. Cependant, aux faibles intensités, l’augmentation du nombre de molécules de chl a est associée à une réorganisation des membranes au niveau des thylakoïdes qui engendre un auto-ombrage des chloroplastes entre les membranes et donc une diminution de la section d’absorption optique (a*), phénomène appelé « package effect » (Falkowski and Raven 2007a; Dubinsky and Stambler 2009).
Une autre source de variation de l’absorption est une modification de la composition pigmentaire. Les pigments microalgaux comprennent des groupes ayant des propriétés chimiques et physiques différentes (Kirk, 1994). De façon générale, les pigments peuvent être divisés en trois groupes : les chlorophylles a, b et c (~10 sortes; Zapata et al. 2006), les caroténoïdes (>30 sortes de carotènes et leurs dérivés oxygénés connus sous le nom de xanthophylles ; Jeffrey & Vesk 1997) et 3 sortes de phycobiliprotéines (allophycocyanines, phycocyanines et phycoérythrines ; Rowan 1989). Parmi ces pigments, un premier groupe est représenté par les pigments accessoires photosynthétiques qui absorbent l’énergie à des longueurs d’onde différentes de celles de la chl a, et qui transfèrent une partie de cette énergie absorbée aux chl a, pour la photosynthèse (Majchrowski and Osthowska 2000). Un second groupe est représenté par des pigments accessoires non photosynthétiques dits « photoprotecteurs » (Karentz 1994; Majchrowski and Osthowska 2000). Ces pigments sont principalement des caroténoïdes qui absorbent l’énergie des faibles longueurs d’onde (400-500 nm) et des ultraviolets (360-400 nm). Ils agissent comme des écrans solaires (Laurion et al. 2002) en fournissant une protection contre le stress photo-oxydatif qui pourrait être induit par ces faibles longueurs d’onde de forte énergie (Karentz 1994).
Deux autres réponses font partie des processus de photoacclimatation. D’une part, la capacité des cellules à modifier la taille de leurs antennes collectrices et d’autre part, celle de modifier le nombre de leurs photosystèmes actifs, ces deux capacités n’étant pas forcément liées. Ainsi, lors d’une acclimatation à de fortes intensités, la taille des antennes collectrices des photosystèmes peut être diminuée et/ou le nombre des photosystèmes actifs réduit. Ces deux réponses se traduisent par une diminution de la section d’absorption optique (a*) ou fonctionnelle (σPSII) des photosystèmes. Un autre processus de photoacclimatation est la dispersion de l’excès d’énergie sous forme de chaleur. Ce processus est réalisé par différents pigments qui diffèrent en fonction des phylums comme la zéaxanthine via le cycle des xanthophylles pour les algues dites vertes, brunes et quelques rouges (Demmig-Adams 1990; Gévaert et al. 2003), la diatoxanthine par les diatomées et les dinoflagellés via le cycle diadinoxanthine-diatoxanthine (Lavaud et al. 2004), ou via l’accumulation de zéaxanthine par les cyanobactéries et certaines algues rouges ((Demmig-Adams 1990). Dans le cadre du cycle des xanthophylles, sous fortes intensités, la violaxanthine est transformée en zéaxanthine avec comme forme intermédiaire l’anthéraxanthine. Dans cet état, la zéaxanthine étant instable, l’énergie absorbée est principalement dirigée vers la dissipation thermique. En revanche, sous des intensités lumineuses plus faibles, la violaxanthine est suffisamment stable pour transférer l’énergie aux chl a pour la photosynthèse (Dubinsky and Stambler 2009).
Cependant, même si ces différents processus de photoacclimatation permettent de limiter les dommages au niveau de l’appareil photosynthétique lors de l’exposition aux fortes intensités lumineuses ou au contraire d’optimiser la photosynthèse aux faibles intensités, ils sont couteux en énergie et leur mise en place va donc avoir des conséquences sur la croissance des cellules.
Le microphytobenthos est soumis à d’autres types de variations de l’intensité lumineuse, en rapport direct avec les caractéristiques physiques du milieu benthique. Les zones intertidales, tout particulièrement, sont soumises aux périodes d’illuminations nycthémérales mais également aux périodes d’immersion de la marée sur la zone intertidale. De plus, la lumière subit une atténuation importante dans le sédiment (Ploug et al. 1993) et la couche photique ne dépasserait pas ~2 mm selon Paterson et al. (1998). Le microphytobenthos s’adapte donc à des intensités très fluctuantes d’autant plus que la nature du sédiment peut faire varier l’atténuation de la lumière d’un facteur pouvant être 3 fois plus important dans les sédiments cohésifs tels que la vase par rapport au sable (Ploug et al. 1993; Kühl et al. 1994). De la même façon, la concentration en chl a et la présence de biofilm à la surface du sédiment peut atténuer la pénétration de la lumière dans la couche euphotique (Ploug et al. 1993; Kühl et al. 1994). Les cellules photosynthétiques microphytobenthiques sont cependant capables de s’adapter aux dépôts frais de sediments, à l’immersion et aux variations de l’intensité lumineuse. Certaines cellules, dites épipéliques sont capables de se déplacer pour éviter l’enfouissement qui limiterait la photosynthèse. D’autres, dites épipsammiques sont étroitement fixées aux particules sédimentaires. Ainsi, la majorité des cellules épipéliques sont mobiles et présentent un rythme de migration verticale lié aux cycles des marées et à la photopériode (Admiraal 1984; Serôdio et al. 1997; Kromkamp et al. 1998; Paterson et al. 1998; Underwood and Smith 1998; Underwood and Kromkamp 1999). Ce processus propre aux cellules microphytobenthiques peut être considéré vis-à-vis de la lumière comme un processus de photoacclimatation à part entière.
Les nutriments
Les nutriments sont essentiels au développement des producteurs primaires et leurs limitations vont affecter à la fois la photosynthèse et la biomasse de ces organismes. Il existe deux grands groupes de nutriments, les macronutriments nécessaires en grande quantité et les micronutriments indispensables au bon fonctionnement des cellules mais nécessaires en petite quantité (Raven et al. 2007). Chez les algues, la plupart de ces nutriments sont considérés comme des éléments essentiels pour tous les phylums. Cependant certains sont essentiels uniquement pour une partie des groupes. Par exemple, la silice (Si), constituant le frustule des diatomées est indispensable à ce groupe qui représente les plus importants producteurs primaires marins (40% de la production nette marine (Nelson et al. 1995; Sarthou et al. 2005)).
La limitation en sels nutritifs affecte les paramètres photosynthétiques (Behrenfeld et al. 2004; Mangoni et al. 2009; Napoléon et al. 2013b) en entrainant des altérations au niveau de l’appareil photosynthétique et des capacités de photoacclimatation (Raven and Geider 2003). Les limitations en azote et en phosphore vont affecter les capacités de photoacclimatation du phytoplancton en affectant notamment la synthèse protéique, les phospholipides des membranes et les métabolismes énergétiques (Kolber et al. 1988; Geider et al. 1997; Guerrini et al. 2000; Lynn et al. 2000; Young and Beardall 2003; Behrenfeld et al. 2004; Napoléon et al. 2013b). La figure 5 tirée de Behrenfeld et al. (2004) résume comment la concentration en sels nutritifs influence la régulation des premières phases de la photosynthèse notamment en jouant sur les ratios NADPH (reductants) et ATP et les conséquences de ces régulations sur les métabolismes du carbone et de l’azote. Selon ce schéma, proposé à la suite d’une importante synthèse de travaux, l’efficacité de l’utilisation de la lumière par les pigments (à la longueur spécifique d’absorption des pigments) est plus élevée dans des conditions de forte intensité lumineuse et de forte concentration en sels nutritifs et plus basse sous faible lumière dans des conditions limitées en sels nutritifs. Dans les écosystèmes eutrophes, riches en sels nutritifs, les cellules phytoplanctoniques disposent ainsi des ressources nécessaires pour optimiser leur efficacité et leur capacité photosynthétique ce qui explique les forts taux de croissance et l’accumulation de biomasse qui sont observés dans ces écosystèmes.
Figure 5. Conceptualisation de l’influence de la lumière et des nutriments sur l’efficacité de l’utilisation de la lumière par les pigments. Dans chaque cadre, le pool de pigments représente la capacité de collecte de la lumière pour l’ensemble des unités photosynthétiques, qui varie en parallèle avec la somme du pouvoir réducteur nécessaire à l’assimilation de l’azote (N), la fixation du carbone et la synthèse de l’ATP. Une augmentation de la lumière diminue les besoins de la cellule en pigment pour une demande de pouvoir réducteur donnée, ce qui augmente le rapport carbone/pigment. Une diminution des nutriments provoque une diminution du pouvoir réducteur pour les trois voies de synthèse mais la diminution de l’ATP est proportionnellement inférieure à la diminution du N ou du C. D’après Behrenfeld et al. (2004).
Le microphytobenthos, ne dépassant pas le bord du plateau continental, est moins impacté par les limitations en nutriments que le phytoplancton. L’importance de cette limitation va surtout dépendre du type de sédiment colonisé. En effet, les sédiments vaseux sont souvent très concentrés en nutriments dissous en comparaison aux sédiments sableux qui vont être plus oligotrophes (Admiraal 1984; Heip et al. 1995; Underwood and Kromkamp 1999). Ainsi, il apparaitrait que les nutriments joueraient un rôle sur la production primaire et la biomasse du microphytobenthos uniquement dans les environnements très pauvres (concentrations en nitrate dans le sédiment < 20 µmol.L-1), ce qui est rarement le cas dans les zones néritiques (Underwood and Kromkamp 1999).
Bien que les nutriments puissent jouer un rôle déterminant sur la biomasse et la production primaire, l’apport en nutriment ne suffit pas à caractériser des écosystèmes comme productifs ou non. En effet, lorsque les conditions de croissance en termes de nutriments sont optimales, la croissance et la production peuvent être limitées par d’autres facteurs environnementaux et en particulier par la lumière et la température.
Température
Bien que les optimums de températures changent en fonction des espèces considérées et notamment de leurs origines, la température est également un facteur limitant pour la production primaire, comme pour l’ensemble des réactions biochimiques (Raven and Geider 1988; Davison 1991; Claquin et al. 2008; Thorel et al. 2014). En effet, les microalgues montrent une grande variété de réponses physiologiques en réponse aux variations de température (Thompson 2006). En particulier aux faibles températures, la diminution de l’activité des enzymes qui interviennent dans la photosynthèse engendre un ralentissement de celle-ci et en conséquence, limite la production primaire (Falkowski et al. 1992; Morgan-Kiss et al. 2006).
Les variations de température jouent un rôle particulièrement important sur les taux de photosynthèse du microphytobenthos en zone intertidale. En effet, à l’échelle saisonnière les températures sur le sédiment peuvent varier entre 0 et 35 °C suivant la saison considérée et de 20 °C à l’échelle journalière avec au cours des cycles de marée une variation pouvant atteindre 3 °C par heure lors de l’émersion (Underwood and Kromkamp 1999). Il a ainsi été montré une forte relation entre la production microphytobenthique et la température (Blanchard et al. 1996). Par ailleurs, la dessiccation des biofilms soumis à de fortes températures pourraient fortement impacter la production par le microphytobenthos (Underwood and Kromkamp 1999). Il est ainsi important de prendre en compte le facteur température lors de l’étude de la dynamique de production d’un écosystème, que ce soit à l’échelle journalière comme à l’échelle saisonnière.
Consommateurs primaires
En addition aux cascades bottom-up, la dynamique de la production primaire peut également être affectée par des cascades dites « top-down ». Ces dernières impliquent une régulation des producteurs primaires par les compartiments trophiques supérieurs (Sommer and Stibor 2002; Caraco et al. 2006; Sommer and Sommer 2006) ou encore par les virus (Fuhrman 1999). Ainsi les copépodes et le micro-zooplancton (flagellés et ciliés), principaux consommateurs du phytoplancton ainsi que les brouteurs et les filtreurs, principaux consommateurs du microphytobenthos, peuvent, s’ils se retrouvent en forte abondance, limiter la croissance, diminuer la biomasse et donc réguler la production primaire. Il a également été montré que les pathogènes viraux infectent un grand nombre de producteurs marins dont les diatomées et les cyanobactéries. La présence de particules virales pourrait en effet, sous certaines proportions, réduire la production primaire de 78% (Suttle et al. 1990). Ce résultat montre que l’infection virale pourrait également être un facteur de régulation important des communautés phytoplanctoniques et de la production primaire dans les océans.
Diversité et capacité de production
Les espèces n’ayant pas les mêmes capacités d’acclimatation et de production, La structure de la communauté phytoplanctonique peut également avoir un rôle sur la dynamique de la production primaire (Côté and Platt 1983; Videau et al. 1998; Duarte et al. 2006; Jouenne et al. 2007; Mangoni et al. 2009; Claquin et al. 2010). Cependant la relation entre biodiversité et production, ou biodiversité et productivité, est très peu étudiée (Mittelbach et al. 2001; Gamfeldt and Hillebrand 2011; Napoléon et al. 2014) et très variable (Napoleon et al. 2012). Des travaux ont montré une relation positive, négative, unimodale (en « cloche ») ou encore une absence de relation évidente entre biodiversité et productivité (Napoleon et al. 2012). Comme expliqué dans Napoléon (2012), la relation positive, la plus souvent décrite dans la littérature peut s’expliquer par les mécanismes suivants : (i) la probabilité qu’une espèce très productive soit présente augmente avec la diversité d’une communauté ; (ii) une complémentarité entre les espèces peut s’opérer au sein des communautés phytoplanctoniques très diversifiées (Tilman et al. 1997; Loreau 1998). En revanche, les relations unimodales observées signifient que d’importants niveaux de productivité sont associés à une faible richesse taxonomique. Cette relation peut s’expliquer, dans les milieux très productifs où la ressource est limitante (Huston and DeAngelis 1994; Duarte et al. 2006), par la dominance de certains taxa qui excluraient certaines espèces par compétition. L’absence d’un modèle unique traduit une réalité écologique ou révèle la complexité des mécanismes sous-jacents et la difficulté à les caractériser. En effet, l’une des principales difficultés dans l’exploration de la relation diversité/productivité reste la caractérisation de la biodiversité.
Historiquement, la diversité du phytoplancton eucaryote a été évaluée par identification au microscope des caractéristiques morphologiques. Il est cependant admis que le nombre d’espèces décrites grâce à ces observations sous-estime largement l’ampleur réelle de la diversité du phytoplancton (Not et al. 2012). Au cours de la dernière décennie, l’évaluation de la diversité environnementale à l’aide d’approches moléculaires a mis en évidence une diversité massive non décrite, y compris de lignées entières (Massana and Pedrós-Alió 2008; Vaulot et al. 2008), que ce soit pour les eucaryotes comme pour les procaryotes. La combinaison des analyses phylogénétiques et morphologiques moléculaires ne cesse d’augmenter, particulièrement pour le phytoplancton de petite taille qui s’avère être très abondant (Fig. 6) et pour lequel très peu de caractères morphologiques distinctifs sont disponibles (Not et al. 2012).
En effet, les cellules phytoplanctoniques ne sont pas seulement phylogénétiquement très variées (Fig. 2), mais couvrent également une large gamme de taille intra- ou intergroupes. Ce spectre de taille s’étend sur plus de trois ordres de grandeur, allant du pico-plancton (0,2 à 2 µm) au mésoplancton (0,2 à 2 mm) en passant par le nanoplancton (2.0 à 20 µm) et le microplancton (20 à 200 µm). Les cellules phytoplanctoniques sont principalement solitaires mais de nombreuses espèces (la plupart des espèces de diatomées, quelques dinoflagellés et haptophytes) ont également la possibilité de former des chaînes ou des colonies. Bien que des exceptions existent, les plus grandes classes de taille du phytoplancton marin sont généralement dominées par les diatomées et les dinoflagellés, tandis que les classes plus petites regroupent des cyanobactéries et des nano et pico eucaryotes appartenant aux Cryptophytes et aux Prasinophycées » (groupe paraphylétique de Chlorophytes). En pratique, cette large gamme de tailles impose de coupler différentes méthodologies d’observation (microscopie optique et électronique, cytométrie en flux, outils moléculaires) pour caractériser la structure des assemblages phytoplanctoniques. La taille des cellules affecte également de nombreuses caractéristiques fonctionnelles du phytoplancton et la répartition dans les différentes classes exerce un contrôle majeur sur les cycles biogéochimiques et les réseaux trophiques (Li 1994; Worden et al. 2004; Vaulot et al. 2008). Par exemple, en raison de leur large rapport surface/volume qui facilite l’absorption des nutriments, les petites cellules sont particulièrement bien adaptées aux eaux stables et oligotrophes (pauvres en éléments nutritifs), alors que les cellules plus grandes ont généralement de meilleures aptitudes pour les milieux dynamiques et eutrophes (Malone and Neale 1981; Côté and Platt 1983; Raven 1998; Montecino and Quiroz 2000; Jouenne et al. 2007). Parce que l’environnement marin présente des structures physicochimiques hétérogènes dans l’espace et le temps, la taille des cellules est une caractéristique importante à considérer. De plus, cette répartition est un bon indicateur de la modification des masses d’eau dans lesquelles se trouvent le phytoplancton (e.g. Thyssen et al. 2011). La variabilité de taille et de physiologie du phytoplancton est donc une variable supplémentaire pouvant affecter la production primaire. Bien qu’il ait longtemps été admis que la production en zones côtières était assurée par des cellules de grandes tailles, certaines études mettent en avant les petites classes de taille. Par exemple, il a été montré, sur les côtes chiliennes, que la production primaire des cellules de petites tailles (< 8 µm) était significativement supérieure à celle des cellules plus grandes (> 8 µm) et que la productivité (i.e. P/B) est moitié moins importante lorsque 80% de la communauté phytoplanctonique est > 8 µm que lorsque 50% de la communauté est < 8 µm (Montecino and Quiroz 2000).
Table des matières
PARTIE 1 : INTRODUCTION GENERALE
1. La production primaire, un processus clé
2. Méthodes d’estimations de la production primaire aquatique
3. Facteurs de régulation de la production primaire
4. Diversité et capacité de production
5. Excrétion d’exopolysaccharides : rôle et importance
6. La production primaire dans les estuaires
7. L’estuaire de Seine
8. Problématique et objectifs
PARTIE 2 : MATERIEL ET METHODES
A. Etudes in situ
1. Site d’étude
2. Compartiment phytoplanctonique
3. Compartiment microphytobenthique
B. Etude en laboratoire
PARTIE 3 : DYNAMIQUE DE LA PRODUCTION PRIMAIRE PHYTOPLANCTONIQUE
Electron requirements for carbon incorporation along diel light cycle in three marine diatom species
1. Introduction
Results
Discussion
4.1. Physiological responses to the light regime
4.2. Dynamics of φe,C
Annual phytoplankton primary production estimation in a temperate estuary by coupling PAM and carbon incorporation methods
Methods
Results
Discussion
4.1. Phytoplankton biomass and the dynamics of photosynthetic parameters ..
4.2. Carbon and ETR relationship
4.3. Phytoplankton primary production along the Seine Estuary
4.4. Estimation of annual phytoplankton primary production in the Seine estuary 123
5. Conclusion
PARTIE 4 : DYNAMIQUE DES EXOPOLYSACCHARIDES EN ESTUAIRE
Dynamics of phytoplankton productivity and exopolysaccharides (EPS and TEP) pools in the Seine Estuary (France, Normandy) over tidal cycles and over two contrasting seasons
1. Introduction
2. Methods
3. Results
4. Discussion
4.1. Dynamics of biological parameters in the Seine estuary in relation with environmental parameters
4.2. Dynamics of EPS in the Seine estuary in relation with environmental parameters
4.3. Dynamics of EPS in the Seine estuary in relation with biological parameters
4.4. Potential contribution of allochthonous primary producers to the S-EPS pool
5. Conclusion
Dynamics of TEP and EPS pools and phytoplankton community structure along the salinity gradient of a temperate estuary (Seine, France)
1. Introduction
2. Methods
3. Results
4. Discussion
4.1. Phytoplankton taxonomic composition and spatial and temporal dynamics
4.2. TEP dynamics and distribution in relation with biological, physical and chemical processes
4.3. EPS dynamics and distribution in relation with biological, physical and chemical processes
5. Conclusion
PARTIE 5 : DYNAMIQUE DE LA PRODUCTION PRIMAIRE MICROPHYTOBENTHIQUE
Improvement of PAM fluorescence data analysis for microphytobenthos by integrating light attenuation induced by sediment grain-size and vertical distribution of microalgal biomass 186
1. Introduction
2. Materials and methods
3. Results
4. Discussion
Microphytobenthic primary production estimation in heterogeneous mudflats of an anthropized estuary (Seine estuary, France).
1. Introduction
2. Materials and methods
3. Results
4. Discussion
4.1. Photoacclimation strategies
4.2. Influence of biological and environmental parameters
4.3. Microphytobenthic primary production in the Seine Estuary
5. Conclusion
PARTIE 6 : SYNTHESE GENERALE, DISCUSSION ET PERSPECTIVES
1. Dynamique des paramètres environnementaux
2. Dynamique des communautés
3. Dynamique des paramètres photosynthétiques
4. Dynamique de la production primaire
5. Dynamique des excrétions d’exopolysaccharides
6. Comparaison inter-estuarienne
7. Limites et perspectives de l’étude
REFERENCES
Liste des figures
Liste des tableaux
Liste des communications